Il faudra tuer le père
Un jour où l’autre
pour briser nos chaînes
qui nous entravent l’esprit
comme une maladie congénitale
ou une dégénérescence totale
qui finira par nous clouer
tétraplégique
sur un fauteuil
les tares
les souvenirs
les remords
les pleurs
nos peurs
il faudra balayer tout ça
devant sa porte
et midi !
et minuit !
sans oublier son parapluie
pelleter la neige qui nous submerge
et efface toutes traces de nos pas
dans le blizzard hurlant
les chaussures crissant
et s’enfonçant profondément
pourtant
dans cette chair molle
du passé
lourde de sens
immaculée
attendre angoissé
dehors et frigorifié
le retour de la mère
sur son cyclomoteur
guetter chaque instant
l’oreille aux aguets
dans un espace
de semi-liberté
regarder la nuit venue
les étoiles dans le ciel
défiler comme dans un vieux film
en noir et blanc
et croiser ses yeux à lui
une fois la porte ouverte
le regard sévère
la main lourde
toujours
la petite veine sur les tempes
et sa grosse voix qui ordonne
pleine de colère
pour un oui
ou pour un non
pour un bonjour oublié
ou plein d’insolence
un regard jeté de travers
les genoux au sol
les mains sur la tête
comme un enfant crucifié
à des lois sévères et imbéciles
injuste enfance
avilissante éducation
la main dans le dos
pour se brosser les dents
ne pas s’appuyer sur l’évier
ne pas recevoir d’appels
resté enfermé dans sa chambre bien docile
comme un chien aboie dans sa niche
et se mord la queue
le front baissé
le regard effrayé
courant sur le sol
pour fuir son regard à lui
le martinet
les coups
les frustrations
les humiliations
ne pas parler à table
faire pénitence
écouter les hurlements du silence
entrecouper l’instant
ses menaces
de le retrouver un jour pendu
dans le garage
garder en tête cette image
tout comme le harcèlement moral
de profiter de la vie
au détriment
d’autrui
d’être un parasite
un moins que rien
un pédé
et toujours la même ritournelle
en guise de chanson :
« elle n’est pas belle la vie ? »
l’entendre pleurer le soir entre les draps
comme un homme brisé
le manque de repère
les brises-lames
lâchés à bride abattue
dans les quarantièmes rugissants
comme un cheval sauvage
rendu fou
ou bien
piqué par une mouche
et galopant sur la plage
à la rencontre des vagues
passer un cap
celui de l’adolescence
oui un jour
il faudra tuer le père
pour devenir un homme
ou bien quelqu’un
reproduire les mêmes schémas négatifs
boire tout son soûl
jusqu’à en devenir fou
et oublier
d’où l’on vient
et où l’on va
ne pas aller travailler
rester couché
du soir au matin
sans repère
sans volonté
sans unité
particules de nous-même
éclatées
détruites
annihilées
mais on n’oublie pas
on n’oublie rien
les cicatrices sont
béantes
boire un coup à sa santé
enfin
lever un toast jusqu’au ciel !
En prenant la lune pour témoin
aujourd’hui mon père a 62 ans
il est toujours en vie
je n’ai pas eu le courage
et j’ai préféré la fuite
comme un lâche
mon paternel vous voyez
avait raison
je ne le vois plus depuis un an
et c’est tant mieux
je ne me réveille plus en sueur
la nuit
submergé par l’angoisse
les cauchemars
qui nous assaillent
l’esprit tourmenté
sans une seconde de répit
le corps moite
le coeur lourd
je ne l’appelle pas
à quoi ça sert tout ça ?
Tous ces bons sentiments ?
Jouer à faire semblant
de toute façon
nous n’avons jamais rien eu
à nous dire
au fond nous sommes comme deux étrangers
que l’amour d’une mère
a séparés...
XK (10.03.21, St Flo)
Crédits : Œdipe assassinant son père par Gustave Claude Etienne Courtois (1852-1923), huile sur toile, 63 x 120 cm, collection privée, vendu aux enchères à l'Hôtel Drouot (Paris)
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