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- Le cauchemar d'Hilda (7/7)
Scène de dénouement : C’est la fin ! J'ai tout perdu! Salim refuse mon amour, il ne veut plus de moi ! Mes sentiments ne valent rien pour lui. IL est égoïste et indomptable. Je n’ai pas pu le fasciner avec mes paroles mielleuses malgré l’écoulement des années ni d’anéantir l’effet de Tamara sur lui. Ce qui m’attriste c’est que pendant tout mon discours, il ne m’a jamais offert un regard affectif. Il me repousse ainsi que mon amour. Pendant toute ma vie, j’étais au centre d’attention de tout le monde. J’aimais être la seule et l’unique être adoré sur terre et j’ai tout eu : le travail de mon rêve qui me rapporte beaucoup d’argent, une famille à laquelle je suis un sujet d’honneur et de fierté, une amie loyale qui sait m’écouter et qui m’aidait à surmonter mes peines quotidiennes. Mais ! je l’ai trahie ... (Elle pleure) J’ai trompé mon amie en inventant un mensonge pour voler son amant ! Moi, qui possède tout sauf l’amour de Salim, je demeure la plus malheureuse des êtres ! J’ai cru qu’un mensonge peut éteindre le feu de leur amour mais en vérité, j’ai ruiné la vie de deux êtres innocents pour satisfaire mon amour propre (Elle s’élève et s’approche du pont) Je ne mérite plus de rester en vie. (Elle prend un carnet et un stylo et commence à rédiger une lettre). Cette lettre montrera aux amants qu’ils sont nés l’un pour l’autre et que mon mensonge ne doit jamais aviver une haine entre eux! Je vais m’effacer de leurs vies pour ne plus causer de malheur à eux. (Elle plie la lettre et la met sous une pierre) Tout sera révélé au grand jour ! Les amoureux renaîtront et revivront de nouveau une longue histoire d’amour. Moi, incapable de supporter une telle douleur, je n’ose pas vivre dans le monde des innocents. (Une dernière larme tombe de ses yeux et elle se jette au pont). Hilda se réveille de son cauchemar, le visage mouillé de sueur et le corps tressaillant de peur. Elle quitte son lit et part à la maison de son amie Tamara pour calmer ses irritations et lui demander confusément le pardon…
- Mad World
I'm insane In a mad body! Please forgive me! In one word, I'm a very bad guy Always saying and writing insanities... In my mind: Never you But I! I'm always drinking Vodka, Red wine and beers and I'm flying too high as a drunked black croW or a cursed poet Totally curshed and crashed. But I do my best I try to find the way, The road for FORGIVE and FORGET all the miraculous things From my before lifes! Violence and Warm, craziness and laziness! More I drink and I love you less and less... My brain is down in illness. My heart is loness. In this World No gods for bless... I'm lost between DREAMS and LONELINESS But you always stay by my side for the Worst and the best During all this time. And maybe I love you for that… Unless I never told you. I'm thinking that, Sometimes When I make suppositions While I've no more alcohol and When I'm Depressed, Destressed, Decomposed, Destroyed by things of life... But remember that: You take part of my life! So probably you’re right When you say This WORLD is MAD But this is my World And you live on it too! Crédit : photo prise par mes soins lors de Jour et Nuit poésie à Vicq-sur-Breuilh, le samedi 18 juin 2022. @Kamadatsiottie #Kamadatsiottie
- Le cauchemar d'Hilda (6/7)
Scène 6 : (Hilda crie en suivant Salim, les larmes aux yeux) Retourne ô ingrat ! Tu ne rencontreras l’amour sincère nulle part! Ma malédiction te suivra jusqu’à la fin de ta vie! Tamara t’a cassé le cœur, et toi, par vengeance, tu me casses le mien ! Tu as un cœur de glace ! Non, je ne vois plus un homme! Mes yeux voient un monstre incarné dans un corps humain! Ta vie n’a plus de sens! Ton existence infâme est insignifiante. (Elle l’arrache du pull et mord sa main violemment) Tu aimes la souffrance ? Je te sers des tourments ! (elle mord fortement avec ses dents, Salim, insensible au départ, il commence à crier) OUI! Hurle ! Je veux que tout le monde t’entende ! (Elle appuie encore plus fortement, il crie) Pas encore ! Je n’entends pas bien !....... Chante ! (elle mord jusqu’à lui faire jaillir du sang. A ce moment-là, Salim s’arrache d’elle et la jette par terre) (Hilda crie) je te l’avais dit ! Tu es vil, un faible, tu ne supportes même pas ma peine ni mes chagrins. Comment es-tu censé comprendre mes ressenties ? Va ! Lâche ! C'est moi qui te quitte. Jamais tu ne me rencontreras ! Adieu.
- Instant fugace
Je suis à la recherche De l’instant fugace Celui qui ne dure jamais longtemps Et qui nous tient Et nous retient Jusque dans l’attente D’un autre moment
- Le cauchemar d'Hilda (5/7)
Scène 5 : (Hilda court entrelacer Salim qui parait toujours choqué et avili, elle pleure ou feint de pleurer) Oh ! Mon cher Salim Pardonne-moi ! Il m’est aussi gravement difficile de te voir dans cet état déplorable, ça me perce le cœur ! Je te croyais toujours fort et inébranlable. Pourquoi donner tant d’émotions aux gens vils et indignes ? C’est leur faute de te trahir et ta vertu est d’être sensible et innocent tel un ange. Ces qualités sont rares à trouver chez quiconque et c’est ce qui fait de toi un homme précieux à mes yeux. (Elle s’approche à lui) Je t’aime Salim (Il cache ses oreilles par sa main) Bien que ton amour m’ait été un supplice, je me réjouis de le réserver à ce jour-ci. (Il lève sa tête brusquement) Oui. J’attendais et j’étais fort certaine qu’un jour viendra où tu connaîtrais mon amour. Car il est si grand, si resplendissant et si loyal qu’il serait injuste de vivre sans que tu le connaisses. Accepte de m’aimer à la façon avec laquelle tu as aimé Tamara ! Fais-moi la plus heureuse des êtres ! Aide-moi à ressentir le goût de la vie grâce à ton amour ! (Elle se jette à ses pieds en sanglotant) Je t’aime Salim. Fais-moi confiance et ouvre-moi ton cœur (Elle s’élève et s’approche de lui dans le but de l’embrasser. Salim la repousse légèrement et s’en va.)
- Rencontre avec Étienne Kern, Prix Goncourt du premier roman 2022 pour Les Envolés
Étienne Kern est professeur de lettres en hypokhâgne et khâgne à Lyon. Après l’écriture de plusieurs essais, dont Le Crâne de mon ami. Les plus belles amitiés littéraires de Goethe à García Márquez (Payot, 2018) écrit avec Anne Boquel et Le Tu et le Vous. L’art français de compliquer les choses (Flammarion, 2020), il sort son premier roman, Les Envolés, parut chez Gallimard en septembre 2021, pour lequel il a reçu le Prix Goncourt du premier roman 2022. Les Envolés raconte l’histoire de Franz Reichelt, tailleur pour dame, Icare des temps modernes, qui s’est jeté du haut de la Tour Eiffel le 4 février 1912 pour tester un parachute confectionné par ses soins. La vidéo de sa mort (https://www.youtube.com/watch?v=e6YGLpzN7bE) est le point de départ d’un roman délicat et touchant que je conseille à tous. Qu’est-ce qui vous a touché chez Franz Reichelt et dans son histoire ? Ce qui m’a touché… Sa mort, tout simplement. Le fait qu’il meurt en direct. C’est absolument saisissant de voir mourir l’un des nôtres. Et à un second niveau, plus profondément, les résonances personnelles que cela peut avoir pour moi. Comme je le dis dans le livre, mon grand-père est mort en tombant d’un balcon. Ce scénario de la mort par chute est très ancré dans ma personne, dans mon histoire. Cela a donné un sens singulier à ces images pour moi. Est-ce son histoire qui vous a donné l’envie d’écrire un roman ou cherchiez-vous déjà un sujet quand vous avez découvert la vidéo ? Je crois que le rêve d’écrire un roman était ancien mais virtuel. Il demeurait vraiment virtuel jusqu’à la rencontre avec ce personnage et ces images. Le décors du Paris de la Belle époque et la biographie de Franz Reichelt ont-ils été un cadre structurant ou une bride à votre imagination ? Ce qui a été une forme de barrière, de contrainte, c’était le respect de la chronologie : de faire coïncider la chronologie historique attestée par les documents et la chronologie fictionnelle. Par contre, les images, les photographies qu’on a, les renseignements étaient plutôt un tremplin et même une facilité, j’en ai conscience ; c’est quand même plus facile de mettre en mot une histoire réelle et documentée que de partir de zéro. Jusqu’à quel point vous permettiez de laisser la fiction prendre le pas sur la réalité ? La question est intéressante. Je pense qu’il y a un problème moral qui est posé par l’appropriation d’une figure historique réelle par la fiction. Je me console en me disant que je ne me suis pas emparé d’un personnage hyper connu en cherchant à garantir la visibilité de mon texte grâce à sa notoriété et que je suis allé trouver une sorte d’inconnu, ou en tous cas d’inconnu célèbre mais pas connu en lui-même, pour essayer de lui redonner un petit peu d’épaisseur humaine. C’est une question à laquelle je suis très sensible. Dans La passion d’Orphée, Philippe Vilain consacre un chapitre à ce qu’il appelle les « Wikinovels » ; les romans écrits avec Wikipédia, les docu-fictions ; en disant que c’est une forme de facilité quand un projet esthétique n’est pas le plus important. Selon Philippe Vilain, quand il s’agit simplement de romancer un épisode historique en cherchant à se lancer avec la notoriété du sujet choisi, il y a quelque chose d’un petit peu, à la fois facile, et puis un peu malhonnête. Vous avez écrit plusieurs essais qui se présentaient déjà sous une certaine forme narrative. Est-ce que cette expérience vous a aidé pour écrire Les Envolés ? Oui, il y a une forme de continuité à mes yeux dans le récit, dans aussi les contraintes d’écriture, l’art du paragraphe et la tentative de susciter de l’intérêt chez le lecteur. Mais il y a quelque chose de très différent : quand on écrit un essai, on est sur des rails. Une fois que le travail documentaire est fait, qu’on a hiérarchisé les informations, on se cache derrière un savoir qu’on met en forme, qu’on orchestre. C’est assez reposant alors que la fiction nous met à nu, parce qu’on se cache moins, on se dévoile par définition. Elle nous confronte aussi à une forme d’infini parce qu’on peut évidemment écrire ce qu’on veut, sur ce qu’on veut, de la manière qu’on veut, et c’est justement infini donc terrifiant. Si tout est faisable, il faut faire des choix, essayer de hiérarchiser ce qu’on écrit et prendre les meilleures décisions d’écriture. C’est très éprouvant, très épuisant, très exigeant alors que l’essai est plus reposant. D’ailleurs, j’ai remarqué que c’était beaucoup plus fatiguant d’écrire ce roman, même s’il est très court, que d’écrire des essais qui va solliciter des ressorts plus profonds. Je me doute que les cours et la correction des copies vous prennent beaucoup de temps. Quel est celui que vous consacrez à l’écriture et quel est votre rythme de création ? J’aimerai pouvoir vous dire que j’ai une routine d’écriture hyper contraignante alors qu’en réalité, je fais comme je peux, donc un peu n’importe comment, un peu tout le temps, dans les interstices de la vie professionnelle, avec des pics d’écriture au printemps au moment où mes chers khâgneux passent le concours et où on a moins d’heures de cours. Mais c’est très variable et j’ai quand même traîné le texte pendant quatre ans à des rythmes très divers. J’aimerais être plus discipliné pour la suite mais je ne sais pas si j’y arriverai. Dernière question : Avez-vous des lectures à nous recommander ? J’ai été particulièrement touché par Ultramarins de Mariette Navarro aux éditions Quidam. Et hasard, c’est une ancienne élève de là où j’enseigne ! J’ai beaucoup, beaucoup aimé un roman de Thomas Giraud qui s’appelle Avec Bas Jan Ader à La contre allée. Il a d’ailleurs beaucoup de parenté avec mon texte parce que c’est aussi un homme qui chute. C’est un livre très puissant et très original. J’ai beaucoup aimé Aussi riche que le roi d’Abigail Assor, chez Gallimard. C’est un premier roman qui se passe au Maroc et qui raconte l’histoire d’une bande d’amis centrés autour d’une jeune fille qui cherche la liberté. C’est un livre très beau et très incarné avec une dimension psychologique balzacienne ; un très beau roman. Allez, un dernier titre : Par les écrans du monde de Fanny Taillandier, au Seuil. C’est un roman sur le 11 septembre envisagé à partir de plusieurs points de vue avec des personnes victimes de l’attentat et l’un des terroristes qui détourne un avion. C’est un roman très ambitieux, très intéressant dans sa composition, à la fois très poétique et très ancré dans la modernité avec une réflexion sur le rapport à l’image. Le 11 septembre, pour nous, ça a d’abord été une série d’images répétées en boucle sur tous les écrans du monde, par les écrans du monde, qui donne le titre à ce livre. Merci beaucoup à Étienne Kern pour son temps, ses réponses et la joie de cette rencontre !
- Le cauchemar d'Hilda (4/7)
Scène 4 : (Hilda parle d’un ton attendri, presque suppliant) Salim, regarde-moi dans les yeux. C’est moi, ton Hilda, la femme avec qui tu as passé l’enfance et l’adolescence. Crains-tu d’accomplir toutes les périodes de ta vie dans le bain de son amour et de sa tendresse extrême ? (Elle lève la main, touche son menton et essaie et lui tourner la tête afin qu’il la regarde) Sache qu’il y a un grand cœur qui t’aimait et qui continue à t’aimer. Pour ton bonheur, je tenterai l’impossible. Même quand je te voyais avec Tamara et que mon cœur se déchirait en mille morceaux, je n’osais pas intervenir. L’égoïsme n’est pas le défaut des âmes sincères telle que moi de sorte que je préférais le silence et de m’effacer dans l’unique but de te voir heureux. Mais, regarde l’état où tu es ce soir, à cause de la prétendue aimable Tamara ! (Hilda d’un ton attendri) Oh ! Je sais que tout cela est douloureux à pouvoir supporter. La vérité n’est pas toujours agréable à entendre. (Silence court) Nos ennemies d’aujourd’hui ont été nos favoris, jadis ! (Silence court) (Elle se lève et parle fermement) Il faut faire face à la réalité ! La femme que tu projetais d’aller chercher pour faire d’elle une épouse n’est pas digne de ton nom. Ouvre-toi bien les yeux, c’est moi qui devrais être ta conjointe à la vie et à la mort ! (Salim se lève de sa chaise dans l’intention de partir tandis que Hilda l’attrape par la main violemment) Où comptes-tu aller ? Tu veux la voir ? Avoir des explications ? Ou est-ce que tu vas la supplier peut-être pour qu’elle te mente et qu’elle te falsifie la vérité ? Ah ! Tu fais l’imbécile maintenant ! Tu vas courir pleurer sous ses pieds afin qu’elle t’accepte de nouveau en amant idiot et trompé ! C’est bien cela que tu veux devenir, hein ? Une espèce de lèche botte aux pieds de celle qui t’a humilié sans pitié ni déférence à tes sentiments ! Mais tu sais quoi ? tu mérites la souffrance que Tamara t’a fait subir. (Elle rit) le loup a joué de la brebis et la brebis meurt de chagrin ! (Elle applaudit sournoisement) Bra-a-a-a-vo ! Quelle tragédie ! Je suis touchée, je suis émue, je suis impressionnée par ton spectacle. (Silence) Tu m’inspires pitié et dégoût ! (Salim la regarde stupéfait)
- Au nom du père
Je dois beaucoup de choses à mon père. En premier lieu ce que je suis devenu aujourd’hui, à savoir un psychanalyste parisien renommé. En sus, ou plutôt devrais-je dire, en dépit de mon instabilité chronique, ou à moins que ce ne soit grâce à elle. Et pourtant, je reviens de loin. Voici mon histoire : Il faudra tuer le père... Combien de fois ai-je lu dans des livres cette petite phrase qui a tout sauf rien d’anodine. Ou entendue dans la bouche de mes patients. Parfois il m’arrive de dresser une pathologie à l’égard des auteurs que je lis. Déformation professionnelle sans doute. Toujours est-il que je le fais bien malgré moi… Je voudrais pouvoir déconnecter moi aussi des fois. Tuer le père : ça peut paraître quelque peu abrupt et violent au prime abord que cette maxime, pourtant elle est on ne peut plus vraie. D’ailleurs, à force de l’entendre dans les chansons de Saez (1), j’en ai presque perdu le nom de l’auteur véritable (2). Toujours est-il que les chiens ne font pas des chats. C’est ce qu’on apprend en fac de psycho et on nous en rebat les oreilles à longueur de journée : le rapport conflictuel père/fils. C’est notre sacro-sainte doctrine et n’y voyez rien de religieux ou de superstitieux là-dedans. Ce complexe œdipien qui date de l’Antiquité a été mis en avant par Freud. C’est notre père spirituel à tous. Il avait de fait vu juste en prenant le texte originel de Sophocle Œdipe Roi comme un texte fondateur de la psychanalyse. Tout découle de là. De notre amour frustré puisqu’interdit pour notre mère, et de l’éloignement froid et proportionnel de notre père, son manque d’amour, pour ne pas dire sa violence même. La vie nous fait nous dresser l’un contre l’autre comme des rivaux. En vérité la relation père/fils est une impossible cohabitation. En grandissant, cela est d’autant plus flagrant. Passé l’âge de douze ans (et les premiers émois solitaires masturbatoires), le père se voit soudainement mis en danger et donc a fortiori menacé, par la propre chair de sa chair, au fur et à mesure que pousse sur le menton de son tendre rejeton une étrange menace duveteuse. Passé ce moment-là, tout devient conflictuel, pénible et douloureux. Surtout pour le plus jeune d’entre eux, à savoir le fils qui constitue pourtant et paradoxalement à ce moment précis, son Moi adulte. Pour ma part, cela a pris la forme sournoise d’un harcèlement moral lancinant. Bien entendu, je n’en avais pas encore foncièrement conscience. Je me disais que c’était dans l’ordre des choses sans doute et donc une situation tout à fait normale que ce rapport houleux et conflictuel père/fils. Je n’osais pas en parler autour de moi. J’avais éminemment tort... Remarquez bien l’attelage que j’opère dans ma démonstration ici, je ne dissocie jamais les deux, car pour faire un fils il faut un père et inversement pour faire un père il faut un fils. De même, une fille ne rencontrera jamais ce genre de heurts avec son père, il y a une sorte de neutralité tacite et d’inversion spontanée qui s’opère alors avec la mère. Quoique, en règle générale, les mères s’entendent plutôt bien avec leurs filles (sauf exceptions contraires à la règle). La notion de conflit parent/enfant est donc par voie de faits exclusivement masculine. Et c’est bien là tout le nœud du problème. La psychanalyse aidant à tirer le bout de la pelote pour remonter à l’origine même du trauma qui s’inscrit également dans une sorte de fatalité. Un peu comme la belle Hélène tisse sur son fil chaque jour le même ouvrage, en le défaisant à loisir une fois la nuit venue. Après, en grandissant, j’ai fait ma propre introspection, ma propre analyse là-dessus. L’âge aidant on devient foncièrement plus sage et donc clairvoyant. La clairvoyance est d’ailleurs un thème majeur dans l’œuvre de Sophocle, Cocteau (3) ou encore Voltaire, qui ont repris à leur compte ce mythe œdipien. C’est l’oracle que l’on consulte. C’est le devin Tirésias qui est pourtant aveugle. Ce sont les yeux crevés par Œdipe lui-même, fou de douleur, une fois qu’il y voit paradoxalement plus clair. Lorsqu’il se rend compte du destin cruel tendu par les dieux comme une toile d’araignée qu’il n’a pas su éviter, puisque entre leurs mains, il n’est qu’un simple jouet. Cette notion de fatalité, du reste, m’a accompagné toutes ces années, et je l’ai portée comme un fardeau, comme Jésus portant sa croix ou bien encore comme Sisyphe poussant inlassablement son rocher en haut d’une montagne ou bien Prométhée, attaché à un rocher dont le foie est dévoré chaque jour par un aigle cruel. Encore et encore. Encore et toujours. Ceci dit, ces mythes fondateurs sont comme ceux d’Œdipe, ils sont là pour nous expliquer quelque chose de fondamental, il s’agit ni plus ni moins de la mémoire universelle de l’humanité, de notre mémoire collective ; et on doit en tirer nos propres enseignements. Elle agit de façon didactique et élévatrice sur nous-même. Elle est pas belle la vie ? Voilà ce que mon paternel me rabâchait à longueur de journée. Lorsque je mettais les pieds sous la table et partageais avec lui le repas familial, en compagnie de ma mère, de mon frère cadet et de ma petite sœur. J’étais par la force des choses le premier de la fratrie, en d’autres termes, c’est moi qui payais les pots cassés. Ceci explique sans doute cela, et tous les soins particuliers que mon père m’apportait. Du reste, mes parents ne se gênaient pas pour me dire que je n’étais qu’un vulgaire brouillon (mais le pensaient-ils vraiment ? Ou plutôt, se rendaient-ils compte du mal qu’ils me faisaient en lançant ce genre de remarque sur le ton de la plaisanterie, qui n’avait pourtant rien de drôle). Elle est pas belle la vie, elle est pas belle la vie ! quand plus tard étudiant en fac d’histoire, faute d’ambition et/ou de motivation, ma mère me passait un sac de provisions pour la semaine de cours sur Nantes en Cité U à Launay-Violette. De quoi me couper définitivement l’appétit. Dis-moi ce que tu veux qu’elle me disait. Je ne manque de rien que je répondais inlassablement. Donne-moi ce que tu veux, je ne vous réclame rien… Si tu veux me donner, donne, sinon, pas grave. Pour couper court à toute discussion afin d’échapper aux sarcasmes et aux remarques désobligeantes et rabaissantes de mon père au moment même où je sortais de la cuisine avec le sac plein de nourriture. Cette foutue motivation que mon père avait pris lui-même le soin de m’enlever à coups de punitions injustes et d’absurdité. Ainsi que le goût du rire et toute envie de sourire… Néanmoins je ne mouftais pas, je faisais profil bas… Je prenais sur moi et c’est sans doute ce qui m’a à la fois paradoxalement fragilisé et endurci. Bon sang, combien de fois ai-je pleuré le soir venu, protégé par l’apparente et protectrice obscurité, en haut de mon lit superposé, et songé à fuguer. Tout laisser derrière moi. Ne laisser aucune trace. Ne pas revenir en arrière. Combien de fois alors, en repensant à ma mère, à mon frère et à ma sœur, j’ai aussi pleuré, et n’ai pas eu d’autres alternatives que de rester. Encore aujourd’hui j’écris quelques poèmes et textes pour épancher mes peines. Les cicatrices sont toujours béantes et je fais en sorte de les laisser ouvertes. Volontairement. Pour pouvoir puiser en elle ma propre inspiration. Voici deux poèmes que j’ai écrits durant ces dernières années et qui parlent pour eux-mêmes : Tuer le père Il faudra tuer le père Un jour où l’autre pour briser nos chaînes qui nous entravent l’esprit comme une maladie congénitale ou une dégénérescence totale qui finira par nous clouer tétraplégique sur un fauteuil les tares les souvenirs les remords les pleurs nos peurs il faudra balayer tout ça devant sa porte et midi ! et minuit ! sans oublier son parapluie pelleter la neige qui nous submerge et efface toutes traces de nos pas dans le blizzard hurlant les chaussures crissant et s’enfonçant profondément pourtant dans cette chair molle du passé lourde de sens immaculée attendre angoissé dehors et frigorifié le retour de la mère sur son cyclomoteur guetter chaque instant l’oreille aux aguets dans un espace de semi-liberté regarder la nuit venue les étoiles dans le ciel défiler comme dans un vieux film en noir et blanc et croiser ses yeux à lui une fois la porte ouverte le regard sévère la main lourde toujours la petite veine sur les tempes et sa grosse voix qui ordonne pleine de colère pour un oui ou pour un non pour un bonjour oublié ou plein d’insolence un regard jeté de travers les genoux au sol les mains sur la tête comme un enfant crucifié à des lois sévères et imbéciles injuste enfance avilissante éducation la main dans le dos pour se brosser les dents ne pas s’appuyer sur l’évier ne pas recevoir d’appels resté enfermé dans sa chambre bien docile comme un chien aboie dans sa niche et se mord la queue le front baissé le regard effrayé courant sur le sol pour fuir son regard à lui le martinet les coups les frustrations les humiliations ne pas parler à table faire pénitence écouter les hurlements du silence entrecouper l’instant ses menaces de le retrouver un jour pendu dans le garage garder en tête cette image tout comme le harcèlement moral de profiter de la vie au détriment d’autrui d’être un parasite un moins que rien un pédé et toujours la même ritournelle en guise de chanson : « elle est pas belle la vie ? » l’entendre pleurer le soir entre les draps comme un homme brisé le manque de repère les brise-lames lâchés à bride abattue dans les quarantièmes rugissants comme un cheval sauvage rendu fou ou bien piqué par une mouche et galopant sur la plage à la rencontre des vagues passer un cap celui de l’adolescence oui un jour il faudra tuer le père pour devenir un homme ou bien quelqu’un reproduire les mêmes schémas négatifs boire tout son soûl jusqu’à en devenir fou et oublier d’où l’on vient et où l’on va ne pas aller travailler rester couché du soir au matin sans repère sans volonté sans unité particules de nous-même éclatées détruites annihilées mais on n’oublie pas on n’oublie rien les cicatrices sont béantes boire un coup à sa santé enfin lever un toast jusqu’au ciel ! En prenant la lune pour témoin aujourd’hui mon père a 62 ans il est toujours en vie je n’ai pas eu le courage et j’ai préféré la fuite comme un lâche mon paternel vous voyez avait raison je ne le vois plus depuis un an et c’est tant mieux je ne me réveille plus en sueur la nuit submergé par l’angoisse les cauchemars qui nous assaillent l’esprit tourmenté sans une seconde de répit le corps moite le cœur lourd je ne l’appelle pas à quoi ça sert tout ça ? Tous ces bons sentiments ? Jouer à faire semblant de toute façon nous n’avons jamais rien eu à nous dire au fond nous sommes comme deux étrangers que l’amour d’une mère a séparés... Cendre et poussière Blessé dans la chair De ma chair Je suis un homme tombé Au combat Le visage défiguré Des cicatrices Plein les bras À fleur de peau Ou à couteaux tirés Le sourire dessiné À la craie Sur le fil du rasoir Le nœud pap’ En guise de corde Ou bien suis-je Une bouteille de gaz Prête à exploser Comprenez bien Que je suis mal dans ma peau Je suis un écorché Les nerfs à vif À me battre contre moi-même Dans un combat perdu d’avance Devant ma vie Ma mère se désespère C’est que je dois sans doute Être par trop Désespéré Mélancolique Et une cause perdue Je suis bon à enfermer Comme Antonin Artaud À me passer la camisole de force Pour me soigner à grands renforts D’électrochocs J’ai des pulsions parfois Des envies de meurtre De tuer le père Solder mes comptes avec Mon géniteur Ou bien Sans doute Me tuer moi-même Me mettre hors-la-vie Pour plus souffrir Dans la chair de ma chair Dans mes entrailles béantes Mes yeux sont asséchés de larmes Le mascara coule Sous les paupières Et les cicatrices à mes bras S’ouvrent terrifiantes Pour m’attirer au fond d’un gouffre Je me perds Dans l’alcool À toucher le fond Parmi mes semblables Les paumés Dans les bas-fonds Les marginaux assoiffés Défilent dans ma maison Ainsi que les filles de joie Mais aucun corps chaud Ne me réchauffera Aucune chaleur humaine Aucun amour Aucun je t’aime Je dois sans doute avoir une araignée noire Au plafond À tisser sa toile Dans laquelle je m’empêtre À chaque jour que Dieu fait Et que mon soûl défait Jusqu’au lendemain Avec d’horribles visions Des migraines atroces Et sans nom La tristesse est pour moi une consolation Ça veut dire entre autres que je suis vivant Mais pourtant Je n’arrive plus à trouver la paix Je n’arrive plus à fermer les yeux Sans faire de cauchemars L’insomnie me gagne Et la déchéance gagne sur moi C’est un cercle vicieux Un serpent de feu Qui se mord la queue De même Ma mâchoire veut mordre Dans la viande tendre De cette main Que tu me tends Tu veux me venir en aide Me sauver Me relever de la rue Mais pour quoi faire ? Je suis mon propre prédateur Mon principal ennemi Et je vise l’autodestruction À petit feu À doses de lendemains À la gueule de bois Qui déchantent À me tordre de douleur Par terre Devant la cuvette des chiottes À dormir dans mon propre vomi Et à nettoyer chaque jour Les traces de mon inaptitude De mon inconséquence Et sans doute même De ma Folie Mais c’est ainsi Je ne peux pas lutter contre ça Je dois m’efforcer de ressembler À ce reflet qui me fait face Devant la glace Et que tu vois en moi Un fantôme de solitude Ou bien encore Un clown triste Qui me fait la grimace Et qui hurle profondément En trouant le silence obscur de la Nuit Comme le cri de Munch Putain ! Bas les masques ! Je ne suis pas une bonne personne Je suis un être fragile Égoïste Abject et froid Pars pendant qu’il en est encore temps ! Ou sinon je ne réponds plus de rien Tu pourrais même alourdir La liste des dommages collatéraux Puisque je veux entraîner dans ma chute Un maximum d’innocents Pour me rendre le rire encore plus cruel La Folie plus acceptable On retrouverait ton cadavre Un beau jour Au fond d’un jardin Dans un fossé Au fond d’un ravin Ou bien dans une cave Enterré Et à moitié nu Au fond je suis un chien fou La mâchoire carrée Et les crocs en avant Prêt à mordre À croquer dans cette chienne de vie À déchiqueter cet enfant que tu me tends Et dont tu prétends que je suis le père Mais je n’ai ni père ni mère Je les ai moi-même étranglés de mes propres mains Afin de me tuer moi-même Tuer le mal à la racine Ne pas laisser la Pieuvre géante planter Ses tentacules sombres en moi Non décidément Rien Ne me sauvera Je suis irrécupérable Je peux crever la bouche ouverte Me noyer dans la mélancolie Ou bien dans l’alcool Plus personne ne s’en souciera J’ai fait le vide autour de moi À jouer au Caïd Que je ne suis pas Mais au fond j’ai faim J’ai soif de vivre J’ai peur Peur du noir Peur de la Mort Peur de ce qu’il y a après Et de découvrir qu’en fait Après Il n’y a plus rien Plus rien d’autre Que la lumière qui s’éteint Et que tout s’efface à rebours Le petit fil de ma vie merdique Sans ambition Sans joie aucune Sans amour et sans regret Jusqu’à remonter à Mes souvenirs d’enfant Avant le drame familial Quand tout allait bien Je peux donc aller la conscience tranquille Mes pulsions me dévorent de l’intérieur J’imagine déjà les flammes Jaillir de moi Déchirer la Nuit Comme dans un feu de joie Et vous danserez tous bien en rond Tout autour de moi Je retournerai alors à la matière Le cœur et l’esprit enfin apaisés Cendre et poussière… Je me plais à cultiver ces failles, car je me destine à une carrière à la Céline, à la Winkler ou bien encore à la Cyrulnik. Cumuler les deux activités : d’un côté mon métier de psychanalyste (que je dois en grande partie à mon père, à force de souffrance et d’observation) et de l’autre, celui de mes aspirations littéraires récentes, notamment en matière de poésie (et qui résulte aussi des traumas de mon enfance). L’écriture pour moi est une forme exutoire et une sorte de guérison. Je transforme le négatif de la pellicule de ma vie en quelque chose de positif, de façon résiliente. A savoir un recueil de poèmes, pour mieux enterrer mes vieux démons du passé. Toutefois je ne ferme pas la porte à double tour pour autant, je la laisse entrouverte. Afin de ne pas oublier. Et d’y puiser à loisir, l’angoisse, la peur, la folie ou bien encore la mélancolie. Toutes ces souffrances sont pour moi génie ! Ce sont les humeurs des Anciens à l’Antiquité. La bile noire et amère de la mélancolie qui pousse à la poésie et à la création poétique. Je est un autre se plaisait à dire Rimbaud (4), et moi aussi j’ai fait en sorte de me dérégler totalement et d’opérer ainsi ma transformation. Au fond, c’est grâce à mon enfance et à mon adolescence conflictuelles que je suis devenu l’homme que je suis aujourd’hui. En un mot, cela m’a construit. Bien que pourtant mon parcours de vie soit chaotique. Comme disait Bukowski (5) lui-même, des fois je me sens minable car son sang coule dans mes veines (en parlant de son père qu’il haïssait tant lui aussi). A bien des égards je pense exactement la même chose, mais aussi à une certaine reconnaissance, car j’ai pleinement conscience qu’il m’a façonné (à son image sans doute et bien involontairement). Je suis brun et dégarni comme lui, les mêmes yeux verts et clairs mais hélas myopes, les jambes arquées, la pilosité prononcée, la même barbe aux reflets roux, blancs et gris. Sa connerie est imbriquée dans mes gènes. Je suis les mêmes chemins de traverse et détestables que lui, l’alcool, la violence intérieure, et parfois même la Folie ! Seulement lui n’était qu’ouvrier, et moi je suis psychanalyste donc j’arrive quelque peu à me soigner, de plus l’écriture est pour moi cathartique. C’est en quelque sorte l’exutoire que mon père n’a jamais eu. Non, lui n’a eu que les mauvais travers de l’alcool et il a mal tourné comme le vin, qu’il avait le plus souvent mauvais. J’étais son éternel ennemi qu’il devait par-dessus tout neutraliser. De peur sans doute que je lui vole sa femme, et donc accessoirement ma mère, ou bien encore que je lui plante un couteau dans le dos. Il en avait l’intuition (sans doute soufflée par l’oracle de Delphes). Comme si cela était gravé à l’intérieur des gènes père/fils. Le complexe d’Œdipe ni plus ni moins, qu’ont analysé les plus grands psychanalystes avant moi, en s’appuyant sur les travaux de Sigmund Freud. De fait, enfant et adolescent, il ne s’en prenait jamais à mon jeune frère, encore moins à ma sœur (puisqu’elle était fille et non homme), bien au contraire, il lui passait tout, le moindre caprice, la moindre insulte même. Il lui mangeait littéralement dans la main. Elle avait du reste sa chambre pour elle toute seule. Tandis que nous, nous partagions notre petite chambre à deux. Elle était sa petite préférée en quelque sorte. Et même encore maintenant. Nous, ses fils, un simple regard de travers et ça devenait l’enfer. Elle se permettait tant de choses que jamais nous n’aurions osé nous permettre. Il ne s’est du reste pas caché récemment en nous disant qu’il s’en foutait de nos enfants (les miens et ceux de mon frère), et que pour lui ne comptaient que les enfants de ma sœur ! Pardi ! Des filles. Cela ne m’aurait pas étonné. Je me suis d’ailleurs souvent posé la question si mon père n’avait pas quelques penchants incestueux pour les petites filles… Enfin bref. Je me suis détaché de mon tourmenteur et de mon bourreau depuis quelques années maintenant. Je m’en porte d’autant mieux. Plus aucuns cauchemars et nuits blanches à mon actif. Depuis deux ans que je ne le vois plus, littéralement je revis. Je n’ai pas épousé ma mère, encore heureux, et j’ai été ravi qu’elle rencontre un autre homme et divorce de mon père, même si au début je voyais leur séparation d’un bien mauvais œil, sans doute du fait de l’endoctrinement que j’avais reçu durant tout ce temps. Lorsque je me brosse les dents encore aujourd’hui, je garde toujours cette fâcheuse habitude résiduelle de mon enfance de mettre ma main libre dans le dos afin de ne pas m’appuyer sur le rebord de l’évier (car cela aurait pu le casser, imaginez !). Je me suis mis en couple néanmoins avec une Bretonne, qui rappelle à bien des égards les origines de ma tendre mère. Brune comme elle par ailleurs. Ma belle-sœur quant à elle est petite et brune et tout le portrait craché de ma mère, à croire que mon frère lui aussi souffrait du même syndrome. D’ailleurs, quand je suis parti (un peu forcé, car à 18 ans il fallait quitter le nid !), mon frère se réjouissait de récupérer la chambre pour lui tout seul. Je l’avais alors mis en garde, que le prochain souffre-douleur sur la liste, ce serait lui. Le prochain rival affectif de notre paternel. Il ne me croyait pas mais il a vite déchanté… Lui aussi a très vite pris son envol peu de temps après. Face à l’enfer qu’il vivait. C’est la vie que voulez-vous, ou bien l’énigme du Sphinx. A contrario d’une mère poule un peu trop aimante, envahissante, et je dirai même presque étouffante, le père n’en devient que plus jaloux, haineux et odieux avec sa progéniture, car se sentant délaissé par sa propre femme, il reporte toute son amertume sur l’objet de cet amour maternel. Bref, vous m’aurez compris, Freud avait raison (6). Nous sommes tous des Œdipes en puissance. J’en suis en quelque sorte la preuve vivante ! Bien que pourtant je ne sois ni parricide ni incestueux, et que contrairement à Œdipe lui-même, j’ai eu pleine conscience de ce tourment au moment même où je le vivais, de par mon sens de l’observation et ma clairvoyance… Ce n’était pourtant pas faute d’en avoir été averti (par l’oracle ou bien encore la prophétie) ! La voix dans le début de la Machine infernale de Cocteau : « Il tuera son père. Il épousera sa mère. » / Ou encore dans la scène IV de l’acte V d’Œdipe de Voltaire : « Le voilà donc rempli cet oracle exécrable dont ma crainte a pressé l’effet inévitable ! Et je me vois enfin, par un mélange affreux, Inceste et parricide, et pourtant vertueux. » Mais en réalité il faut prendre cette invitation (voire nécessité) à tuer le père dans le sens imagé. Selon Freud en vérité, pour devenir un homme, il faut tuer le père de façon symbolique. S’émanciper de sa tutelle et de la menace invisible qu’il représente pour notre propre épanouissement personnel. En somme, le père est à la fois un modèle paternel et un obstacle existentiel. C’est là toute l’ambiguïté de la relation père/fils, et il y aurait encore tellement de choses à dire que ces dix pages n’y suffiraient pas. Je vous laisse donc là toutes à mes réflexions, en espérant également avoir suscité les vôtres. Si par malheur (ou sans doute bonheur), vous vous sentiez l’envie de parler à quelqu’un d’éminemment compétent, n’hésitez pas à prendre rendez-vous à mon cabinet médical sis rue Vaugirard. Ma secrétaire se fera une joie de vous accueillir. Je consulte exclusivement les mardis et jeudis de douze à huit. En sus, si vous venez avec un exemplaire de ce livre-ci, je me ferais une joie de vous le dédicacer et d’appliquer une réduction de vingt pour cents sur votre consultation. Avec mes amitiés les plus déontologiquement intéressées… Dr Kama Datsiottié Crédits : Oedipus and Antigone d’Antoni Brodowski (1828) - Musée nationale de Cracovie (Pologne), huile sur toile, 293 cm x 191 cm (1) Jours étranges (1999) et Jeunesse lève-toi (2008), chansons de Damien Saez (2) Sic Sigmund Freud, mais aussi un livre d’Amélie Nothomb, Tuer le père, Albin Michel, 2011 (3) La Machine infernale (1932) de Jean Cocteau / Œdipe de Voltaire (1718) / Œdipe roi de Sophocle (- 425) (4) Lettre au Voyant (15 mai 1871, lettre envoyée à Paul Demeny) (5) Born into this ( 2004, film documentaire de John Dullaghan) (6) L'Interprétation des rêves, paru en 1900
- Red flag
La journée s’annonçait parfaite : une virée entre amies au bord d’un lac avec pique-nique, baignade et plage au programme. Je n’aurais jamais cru qu’elle puisse prendre un tournant si terrible. Déjà dans la voiture, alors que je conduisais, j’avais remarqué sa présence sans en penser grand-chose. Je me souciais plus du volume sonore de la radio que je baissais quand nous traversions un village que de le savoir dans notre sillage. Une fois sur place, nous nous aperçûmes qu’il nous avait bel et bien suivi depuis notre départ. Il était là, quasi omniprésent, à guetter les ombres de tout le monde pour étendre son rayon d’action. Nous nous installâmes, bien en vue, sur la petite plage de sable et sortîmes salades et fourchettes. Il veillait à distance, attendant son heure. Ce n’est que lorsque nous nous allongeâmes sur nos serviettes, après notre immersion dans l’eau du lac, qu’il passa à l’attaque. Je regrette de n’avoir pas su me protéger mais qui aurait cru qu’il serait aussi violent ? Il était brûlant de rage et nous en fîmes les frais. J’aurais dû le savoir. J'aurais dû être plus vigilante. Ce n’était pas la première fois qu’il m’attaquait. J’avais recroisé sa route plus tôt dans l’année et à cause de cela, je pensais être immunisée. C’est vrai qu’il a une personnalité de feu, le genre qui nous attire irrémédiablement alors que nous savons pertinemment qu’il est fatal de s’approcher. Quiconque le côtoie de trop près réduit son espérance de vie. Et bien que personne ne s’aventure à le regarder dans les yeux, moi, et beaucoup d’autres, ne peux m’empêcher de souhaiter l’avoir à mes côtés. Notre relation est autant salutaire que toxique. Je garde encore la trace rouge des coups, là où il m’a frappée, sur le ventre, le dos, la nuque, la poitrine et les cuisses. La peau des épaules et des genoux de mon amie était si affectée qu’elle ne souffrait plus de marcher ni de se frotter à du tissu. Son emprise avait été trop forte. Cher soleil, si je le pouvais, je te rendrais coup pour coup.
- Le cauchemar d'Hilda (3/7)
Scène 3: (Salim se trouve dans un état désolant. Les yeux baissés, il rentre dans une profonde rêverie et il a l’air ne plus écouter les paroles de Hilda. Celle-ci prend sa main gauche et la caresse en le regardant) Ô Salim, mon cher Salim! Je sais ce que tu ressens maintenant. C’est bien douloureux de savoir que notre innocente Tamara jouait de nos sentiments. Ce n’est pas ta faute de l’avoir tant aimée. Elle t’a laissé croire qu’elle est bonne et niaise mais, en réalité, elle t’a trompé. Elle t’a charmé par ses fausses manières pour atteindre des plaisirs secrets. Quelle infâme témérité! (Salim cache ses mains, il ne supporte pas d’entendre un mot de surplus) Réveille-toi cher Salim ! la femme que tu as aimée n’existe plus ! La vraie Tamara que nous la connaissons, maintenant, a ses fantaisies et nous a manipulés. Ainsi, elle est malhonnête et indigne de ton amour. (Ton attendri) Mais….. Salim………Je regrette que tu sois aussi imprudent et surtout aveugle de ne pas vouloir déceler le vrai amour de ta vie ! Depuis longtemps, tu cherchais l’amour dans des faux endroits. N’as-tu pas songé que le vrai amour puisse exister tout proche de toi et que tu l’humilies par ton insensibilité ? (Silence) Cet amour dont je te parle est l’unique remède à tes souffrances. Il est né dans un cœur qui t’aimait depuis l’enfance, notre enfance. Il vit dans une âme timide et hésitante qui se brûle à petit feu et qui s’était réduite à une médiatrice entre toi et la fausse Tamara. (Elle appuie fortement sur son bras) Regarde bien autour de toi Salim! Existe-il quelqu’un près de toi ici et maintenant, sur le pont ? Non ! Personne. C’est exactement la même chose depuis treize ans ! Personne n’a été et n’aurait dû être aussi proche de toi comme moi. J’étais toujours là, vouée volontairement à ton amour. J’étais éprise de toi depuis longtemps et je rougis de ne pas trouver le courage de te révéler ce secret qui pesait sur moi péniblement. (Elle pose la main de Salim sur son sein) Écoute bien le battement de ce pauvre cœur, il s’agite follement à chaque fois qu’il te voit. Je contemplais ta relation avec Tamara dans un silence sourd car j’étais interdite devant tes choix. Mon amour était tel que je ne pouvais pas t’obliger à la quitter pour m’aimer. Maintenant, c’est à toi de décider notre sort Salim ! (Elle se prosterne à ses pieds) Je te prie d’être sage et correct dans tes démarches. (Salim l’écoute stupéfait et immobile. Il est incapable de décider ni de répondre, une seule idée le hante, il veut partir) Scène 4 : (Hilda parle d’un ton attendri, presque suppliant) Salim, regarde-moi dans les yeux. C’est moi, ton Hilda, la femme avec qui tu as passé l’enfance et l’adolescence. Crains-tu d’accomplir toutes les périodes de ta vie dans le bain de son amour et de sa tendresse extrême ? (Elle lève la main, touche son menton et essaie et lui tourner la tête afin qu’il la regarde) Sache qu’il y a un grand cœur qui t’aimait et qui continue à t’aimer. Pour ton bonheur, je tenterai l’impossible. Même quand je te voyais avec Tamara et que mon cœur se déchirait en mille morceaux, je n’osais pas intervenir. L’égoïsme n’est pas le défaut des âmes sincères telle que moi de sorte que je préférais le silence et de m’effacer dans l’unique but de te voir heureux. Mais, regarde l’état où tu es ce soir, à cause de la prétendue aimable Tamara ! (Hilda d’un ton attendri) Oh ! Je sais que tout cela est douloureux à pouvoir supporter. La vérité n’est pas toujours agréable à entendre. (Silence court) Nos ennemies d’aujourd’hui ont été nos favoris, jadis ! (Silence court) (Elle se lève et parle fermement) il faut faire face à la réalité ! La femme que tu projetais d’aller chercher pour faire d’elle une épouse n’est pas digne de ton nom. Ouvre-toi bien les yeux, c’est moi qui devrais être ta conjointe à la vie et à la mort ! (Salim se lève de sa chaise dans l’intention de partir tandis que Hilda l’attrape par la main violemment) Où comptes-tu aller ? Tu veux la voir ? Avoir des explications ? Ou est-ce que tu vas la supplier peut-être pour qu’elle te mente et qu’elle te falsifie la vérité ? Ah ! Tu fais l’imbécile maintenant ! Tu vas courir pleurer sous ses pieds afin qu’elle t’accepte de nouveau en amant idiot et trompé ! C’est bien cela que tu veux devenir, hein ? Une espèce de lèche botte aux pieds de celle qui t’a humilié sans pitié ni déférence à tes sentiments ! Mais tu sais quoi ? tu mérites la souffrance que Tamara t’a fait subir. (Elle rit) le loup a joué de la brebis et la brebis meurt de chagrin ! (Elle applaudit sournoisement) Bra-a-a-a-vo ! Quelle tragédie ! Je suis touchée, je suis émue, je suis impressionnée par ton spectacle. (Silence) Tu m’inspires pitié et dégoût ! (Salim la regarde stupéfait)
- Qui j'suis ?
J’écris de la poésie Depuis que j’suis tout petit Même si depuis J’ai pas beaucoup grandi Y a deux ans mon premier recueil est sorti Mais hélas pour moi Personne le lit ça me rend triste ça me rend aigri Des fois j’ai l’impression d’être un chanteur aphone Ou bien une guitare sans cordes J’ai trahi l’enfant qui vivait à l’intérieur de moi Et j’te jure, parfois, j’entends des voix Aussi, si aujourd’hui j’écris des slams C’est pour foutre la paix à mon âme // Paix à mon âme ! Pour avoir la possibilité un jour De monter à Paname Croquer dans la grosse pomme Et me tailler la part du gâteau Sauf que j’ai pas le physique ! La gueule de l’emploi Et la tête de Greta Garbo ; Pourtant Buko Avec son gros nez rouge de poivrot Sortait de la poésie comme s’il en pleuvait ! Il en pissait Il en chiait Il en transpirait ! Mais aujourd’hui dans ce monde 5.0 C’est vidéo sur vidéo Sur les réseaux sociaux, Sourire démago, Décolleté provocant ; De la prostitution déguisée au plus offrant ! Et encore j’suis tigen Mais désolé les gens Si j’suis qu’un mec paumé Qu’écrit des textes déjantés... J’en ai marre putain ! J’ai 40 ans Et j’ai trahi l’enfant Que j’étais avant. Celui qu’avait plein de rêves Dans la tête, Des idées. Sérieux, ça me débecte ! Alors pour me calmer les nerfs Je déclame ce slam // Paix à mon âme ! Fraîchement converti à l’Islam J’suis même pas sûr qu’Allah là-haut M’fasse une place dans son Paradis Avec les saintes vierges Puisque moi j’ai choisi l’Enfer, Celui qui nous fait vider les packs de bières ! C’est plus facile de se laisser couler Que de se battre et se démener, Solution de facilité ! Mais vous savez quoi, Moi j’suis content d’être là De vous dire ce slam Affûté comme une lame / De rasoir Sur un fil raide Ou bien une corde à linge ! Faut faire tourner Le joint Comme les têtes Faut Ramasser les miettes ! Mon nom à moi c’est Robi alias Kama Comme le désert d’Atacama Non pas le Kama pervers du Kama Sutra Ou bien celui de Sumatra Mais le Kama de camarade ! Toujours le poing levé Droit dans ses bottes et ses idées ! Kama Datsiottié Je suis plusieurs fois tombé Et me suis toujours relevé Indestructible dans son ébriété Le contre exemple même de la sobriété ça fait vingt piges que j’écris de la poésie Et c’est pas fini Ma poésie c’est folie ! C’est à la mort A la vie Moi je la vis Comme une maladie Comme le vent soufflant sur les plaines de Bohême Moravie Hey gros ! Tu m’en vois ravi Tu te ravises Et c’est ton âme que je ravis Et les flammes que je ravive En dansant sur les cendres Comme un fakir hindou Défoncé au crack ! Mon blaze, j’te rappelle, c’est Datsiottié Il est vrai que j’ai toujours aimé voyager ! Et mon slam s’étend Libre comme l’air Sur les steppes d’Ukraine et de Russie Les vastes étendues de Sibérie Et de Mongolie Il se déploie Dans le désert de Gobi Ou d’Arabie Il étend ses ailes Comme un faucon Et fond sur sa proie // Taïga ! Toundra ! Steppes arides Étendues désertiques Sans oublier le pôle Arctique Et l’Antarctique Avant qu’ils fondent comme des glaçons... Mon parcours de vie ? Poésie de l’Infini ! Qui j’suis ? Mon nom est personne Et sans vous je ne suis rien ! Poètes et poétesses de Lybie Et d’Ethiopie, Éditeurs d’Harar et d’Abyssinie, Je vous envie ! Le bateau ivre c’est moi ! Je divague au gré des vagues De l’amertume Oui putain Ma vie, c’est poésie Ma poésie, c’est folie ! Paix à mon âme ! Allez c’est bon je vous laisse maintenant Mon slam est fini // Souhaitons-lui bon vent !
- Petite annonce comme ça en passant
Poète désespéré Et par trop désespérant Cherche désespérément Éditeur pour l’éditer. M’éditer mon recueil de poèmes C’est mon rêve abhorré C’est mon désir avorté En un mot comme en cent C’est à méditer Méditation Ou bien Automédication En intraveineuse Ou bien dans le gosier Je me mets des litrons entiers Dans le cornet Névrose poétique Logorrhée boulimique Chienlit verbale Que l’on prend par derrière En anal Par incubation Tant et si bien Que je dégueule littéralement de la prose C’est à chier Il est vrai Je dirai même à gerber Néanmoins la poésie est dans de sales draps Et se sublime dans la beauté du Mal Alors je fais du sale Quand c’est bien sombre et bien crade Dans un bouge miteux Ou bien dans un rade Toi-même tu sais Charles Le slam c’est une paix intérieure Sur une mer déchaînée C’est la fée verte C’est l’absinthe C’est l’opium C’est salam ! Je lance une bouteille à la mer Dans cette bouteille en verre J’y ai mis ma plume et tout mon cœur Fissuré comme de la pierre C’est une bouteille à l’amer Dans celle-ci Je bois tout mon soûl Putain ! L’alcool me rend fou ! Dans celle-là C’est un slam Qui galère et qui rame Sur le radeau de la Méduse Médusée Et désabusée Ma vie de galérien En 2x8 à l’usine A me crever le cul Au cul de la machine Alors le week-end c’est relâche C’est abus sur abus C’est le contenu de cette bouteille que j’ai bu Jusqu’à tituber En étant imbus de ma personne Et en foutant des trémolos dans mon ego J’espère pas vous avoir déçu J’suis un bon à rien Un moins que rien Je bois Je bois Je vois Soudain je me fais Voyant Après un long dérèglement des sens Je perds le contrôle Tout à fait totalement Et alors j’écris Et alors je crie ! Ce qui ne nous tue pas Nous rend plus fort A ce qui paraît Moi je dis Que mon mental est tellement fort Que j’ai dû plusieurs fois Frôler la Mort ! Moi au fond je demande qu’à souffrir De la solitude Des larmes De la douleur De la violence Mon malheur est mon fer de lance ! Allez crie mon cœur ! / Crie ! // Hurle ! / Hurle leur ta douleur ! // Noie-toi dans la rancœur ! // Faudrait remettre de l’huile Dans le moteur, Tout est grippé, Covidé ! Ou s’acheter une arme Pour finir comme Maïakovski ! Moi je vis Et toi tu meurs D’une tumeur dans le cerveau J’en ai bien peur... Moi c’est la cirrhose qui m’aura Le Diable à vrai dire M’a dans le collimateur... Poète maudit Qui attend son heure. Allez c’est maintenant ou jamais Je me jette à l’eau Mais j’en mets pas dans mon vin Ni même dans mon moulin La bouteille est vide Je suis au bout du rouleau Mon slam est fini Allez Ciao !
- J'attends
Comme un cri dans la nuit Dans le creux des oreilles vides Sur le mur des lamentations Ma bouche hurle au silence A qui répond l’écho livide des malchances / Puisque ma vie est souffrance Je fais ce que j’ai de mieux à faire / J’écris // Je me débats à cor et à cri Dans ce monde à la sécheresse humide Des larmes plein la rétine Et le cœur sec comme de la pierre / D’ailleurs mon nom à moi c’est Pierre / On est tous des Pierre en puissance / Des pierres qui roulent du haut de la montagne Poussées par Sisyphe Et qui dévalent inlassablement les mêmes pentes abruptes A se précipiter tête la première Dans le précipice du Vide // Mais rien n’est pressé J’ai tout mon temps / Alors je fais ce que j’ai de mieux à faire / J’attends // Mais j’attends quoi ? // Le dégel ou la Saint-Glinglin ! C’est une valse à trois temps C’est une valse à quatre temps / Plus le temps passe Et moins j’ai le temps // Poète désespéré Cherche désespérément Editeur pour le publier / Poète maudit Criant dans la nuit Comme Modigliani En déchirant le silence Et les règles de la bienséance / Tic-tac tic-tac sur la grande horloge du salon // A 40 ans Moi je dis qu’il est bien temps / Mais à défaut d’écrire bien J’ai au moins une qualité Je suis patient / Alors j’attends // J’attends...
- Bus 20
Sept heures passées de trois minutes. C’est bientôt l’été et ça se ressent. Il ne fait pas encore chaud, il est trop tôt, mais ça ne saurait tarder. La canicule est exceptionnelle pour un mois de juin. Le bus appartient aux travailleurs·ses. Celles et ceux qui se lèvent tôt pour un job alimentaire, et même pas bien payé. Ces personnes sont trop courageuses, trop altruistes. Elles n’ont surtout pas le choix. Que pensent-elles des millionnaires qui gagnent leur salaire mensuel en une heure, voire moins ? Elle entre, ferme son poing et le tape affectueusement sur son poing à lui, à elle, à elle, à lui. Tou·te·s sourient. Respect, bienveillance et gentillesse sont de mise ; leurs patron·ne·s se comportent-iels également de la sorte ? Les pubs qui défilent dans la rue paraissent si loin d’elles et eux, de leurs préoccupations. Tel parfum de luxe. Telle nouvelle appli de rencontres à la mode. Telle voiture électrique pour la modique somme de deux-cent euros par mois. La dame près de la fenêtre parle de ses séances de conduite. Les sourires sont sincères ; le cœur l’est tout autant. Ainsi défile leur vie : travailler en grande surface ou à l’usine. On ne leur demande pas d’être originales·aux, on ne leur demande pas de faire preuve de créativité. On leur demande d’être des machines précises et cadencées. Personne ne fait ces métiers par passion. Mais ils seraient nécessaires, apparemment. Alors iels s’oublient. Iels font ce qu’on leur demande, se courbent sous les critiques et se plient aux requêtes des client·e·s. J’aimerais leur dire qu’il n’est pas trop tard pour tout lâcher, vivre leurs rêves tant qu’iels le peuvent et avant de mourir. Je ne bouge pas. Je ne dis rien. J’observe et je m’agrippe de toutes mes forces à mon bonheur. Celui-ci ne me quittera plus, je me le suis promis. Je ne le céderai jamais contre quelques billets.
- Le Pacte des Enfers (2/2)
ACTE II Scène 1 Après quelques jours de voyage, Bulmur et Olympe arrivent au cap Ténare en Laconie, aux portes des Enfers. Mais devant ces dernières, Cerbère, le chien à trois têtes, dort paisiblement. Comme promis à Olympe, Bulmur entonne un chant qui ensorcèle Cerbère et permet aux deux voyageurs d’entrer. L’oiseau répète l’opération devant Charon, passeur des âmes, et les trois Érinyes, juges des âmes. Bulmur sur son épaule, Olympe s’engage dans le royaume des Morts mais un garde et une servante d’Hadès accourent déjà vers eux. SERVANTE. (À Bulmur) Toi, ici ?! Tu n’es plus le bienvenu, démon ! OLYMPE. Bulgur, de quoi parle-t-elle ? BULGUR. Je t’assure, cela doit être une erreur... SERVANTE. Il n’y a pas d’erreur possible, Bulgur ! Mon maître t’a banni des Enfers il y a des siècles ! OLYMPE. Bulgur, explique-toi ! Comment te connait-elle ? Qu’as-tu fait ? SERVANTE. Garde ! Emmène cet oiseau hors de ma vue et qu’on ne le revoit plus ! Le garde réussit à attraper l’oiseau et s’éloigne avec Bulgur en train de se débattre. SERVANTE. (Remet ses cheveux en place) À nous, dame des Vivants. Le roi Hadès désire te voir et connaître la raison de ta présence aux Enfers sur-le-champ ! Suis-moi, s’il te plaît ! La servante guide Olympe à travers le royaume des Morts jusqu’à la demeure d’Hadès et Perséphone. Elle la conduit ensuite dans une grande salle dans laquelle Hadès est assis sur un grand et luxueux canapé. SERVANTE. (Fait une révérence) Votre Majesté, la jeune femme des Vivants qui s’est introduite dans les Enfers sans autorisation : Olympe. HADÈS. Intéressant. Et comment cette jeune femme s’y est-elle prise ? SERVANTE. Elle était avec Bulgur, votre Majesté ! HADÈS. Laisse-la parler d’elle-même ! Que fait un démon banni des Enfers avec toi, Olympe ? Parle ! Olympe lui raconte sa rencontre avec Bulgur et ce qu’il s’est passé jusqu’à maintenant. HADÈS. Je vois. Je ne sais pas ce qu’il a derrière la tête, et à vrai dire ce n’est plus mon problème. Passons : c’est bien ta mère que tu es venue chercher, n’est-il pas ? OLYMPE. Oui, votre Majesté. Comment le savez-vous ? HADÈS. Je suis un dieu, mon enfant... Depuis combien de temps est-elle ici ? OLYMPE. C’est le premier anniversaire de sa mort, votre Majesté. Peut-elle repartir avec moi ? HADÈS. L’Amour plus fort que tout, n’est-ce pas ? (Ricane) Soit. Gaïa peut retourner sur terre avec toi, mais sous certaines conditions. Vois lesquelles avec mes ensorceleuses personnelles : tu as deux possibilités. (À la servante) Lucia, mène-la dans la salle des sorts, je te prie. La servante fait la révérence avant de conduire Olympe dans la salle des sorts. Scène 2 Olympe entre dans la salle des sorts pendant que la servante part chercher Gaïa. À l’intérieur, Caloxis et Selkyra sont en train de concocter une potion quand Caloxis s’arrête. CALOXIS. Entre mon enfant, n’aies pas peur. Tu es donc celle qui souhaite ramener une Morte sur la terre des Vivants... T’a-t-on expliqué comment ce pacte fonctionne ? OLYMPE. Non. CALOXIS. Bien, dans ce cas assieds-toi. (Olympe s’exécute) Pour qu’un Mort puisse revivre parmi les Vivants, son absence doit être comblée aux Enfers jusqu’à qu’il revienne. Pour cela, tu as deux options au pacte, dont je vais t’expliquer la première... SELKYRA. ... et moi la seconde. CALOXIS. Si tu choisis ma proposition, Gaïa pourra rejoindre ton foyer pendant que tu resteras m’aider à résoudre un problème. Si tu trouves une solution qui fonctionne, alors tu pourras toi aussi rejoindre ton foyer. OLYMPE. Quel est ce problème ? CALOXIS. Eh bien, tu n’es pas sans savoir que les Enfers sont traversés par plusieurs fleuves, dont le Léthé, qui encercle une île. Sur cette île vit le peuple des Délaissés, des Vivants qui ont été exclus de ton monde il y a fort longtemps. Le royaume des Morts ne pouvant les accueillir parce qu’ils étaient encore en vie, ils ont dû construire leur propre communauté sur l’île. Le problème, c’est que les eaux du Léthé engloutissent tous leurs souvenirs à chaque fois qu’ils en boivent et ne recrachent que leur identité. Ton rôle, si tu me choisis, sera donc simple : remédier aux pertes de mémoire fréquentes des Délaissés. OLYMPE. Mais... Cela prendrait des mois, voire des années ! Aurai-je vraiment le temps de profiter du retour de ma mère ? SELKYRA. Moi, je peux te faire profiter de son retour dans l’immédiat... Tu rentreras avec elle, mais elle devra laisser six parties d’elle dans les Enfers : les souvenirs qu’elle a de vous et cinq malédictions qui t’affecteront toi ou ton père. Elle ne pourra plus vous toucher, vous voir, vous entendre, rire avec vous et ressentir ce que vous appelez l’Amour pour l’un de vous. À toi de choisir quelles malédictions s’abattront sur qui. OLYMPE. (À part) Si je comprends bien, j’ai le choix entre ne plus revoir ma mère du tout et la revoir mais avec des handicaps... Je me demande si cela vaut vraiment le coup, en fin de compte... (Elle réfléchit) Non, je ne peux pas faire ça à mon père. Il souffre tant et je suis incapable d’alléger sa douleur... Quel genre de fille cela ferait de moi si je lui amputais ce plaisir ? Il a le droit de la revoir... et moi aussi. Il me faut choisir Selkyra. Mais dans ce cas, de quels sens dois-je me priver et lesquels dois-je enlever à mon père ? Il mourra de chagrin si ma mère ne peut l’aimer et le toucher à nouveau, c’est certain... Et puis, comment lui dira-t-il son amour si elle ne peut l’entendre ? Je dois abandonner ces sens. Si cela peut redonner le sourire à mon père, alors je m’en passerai. CALOXIS. As-tu pris ta décision, jeune Vivante ? OLYMPE. Absolument. La proposition de Selkyra me paraît plus juste. SELKYRA. Bien, alors je t’écoute. À qui attribues-tu les malédictions dont je t’ai parlé ? OLYMPE. Je voudrais que ma mère puisse toucher, entendre et aimer mon père. Je souhaiterais par conséquent qu’elle me voie et qu’elle rie avec moi. SELKYRA. Ce qui signifie qu’elle ne pourra ni t’entendre, ni t’aimer, ni te toucher et qu’elle ne rira pas en présence de ton père, qu’elle ne verra plus. C’est ton dernier mot ? (Olympe hoche la tête) Alors que Gaïa vienne ! Gaïa et la servante entrent dans la pièce. En la voyant, Olympe se jette dans les bras de sa mère avant même que Selkyra ne puisse agir. OLYMPE. (Désespérée, en pleurs) Maman, je t’aimerai pour toujours ! GAÏA. Olym... La magie de Selkyra brise ces courtes représailles et extrait de la femme cinq sphères lumineuses qui se répartissent dans deux boites : trois dans l’une, deux dans l’autre. Gaïa repousse violemment Olympe et des marques de brûlures apparaissent aux endroits où Olympe l’a tenue. Elle regarde sa fille d’un air désolé tandis que Selkyra ouvre un placard, prend un verre d’eau et le lui fait avaler. SELKYRA. C’est un échantillon du Léthé que je gardais pour ce genre de pacte. Comme Caloxis te l’a expliqué, ses eaux font perdre la mémoire à ceux qui les boivent. Si par malheur l’un de vous révèle à Gaïa ce qu’elle a oublié, je le saurai et l’autre devra en payer les conséquences. Est-ce clair ? Les larmes aux yeux, Olympe acquiesce sans un mot. SELKYRA. Maintenant retournez sur la terre des Vivants ! La servante raccompagne Gaïa et Olympe jusqu’à l’extrémité du royaume des Morts et les deux femmes rentrent chez elles. Scène 3 Quelques jours plus tard, Olympe glisse sa clé dans la porte d’entrée du foyer, l’ouvre et y rentre, suivie de Gaïa. OLYMPE. Ne bouge pas d’un iota, je vais chercher papa. Ne l’entendant pas, Gaïa suit Olympe alors qu’elle s’enfonce dans le foyer. OLYMPE. (À part) Mince, il faut que je m’habitude... (À Atrée) Papa ? Je suis rentrée ! Et j’ai une surprise... ATRÉE. (Apparaissant au bout d’un couloir) Ah ma chérie, tu m’as manqu... Lorsqu’il aperçoit sa femme, Atrée ne finit pas sa phrase et se fige sur place. ATRÉE. Ga... Gaïa ? C’est bien toi ? GAÏA. Mon amour ? Où es-tu ? ATRÉE. Je suis là, devant toi ! Olympe, comment... OLYMPE. J’ai voyagé jusqu’aux Enfers et Hadès m’a permis de ramener maman à la maison, sous conditions... ATRÉE. Lesquelles ? OLYMPE. Elle ne peut ni te voir, ni rire avec toi. Mais va la serrer dans tes bras... Elle saura que tu es là. Atrée se précipite vers sa femme et l’étreint de toutes ses forces. Olympe sourit avant de commencer à partir. ATRÉE. Tu ne viens pas nous rejoindre ? OLYMPE. Non papa, je n’ai pas le droit. Elle ne peut pas m’entendre, me toucher... ou m’aimer. ATRÉE. Comment ? Mais c’est horrible ! OLYMPE. Ce sont les conditions que l’on m’a imposées aux Enfers. ATRÉE. (À Gaïa) Mon amour, dis-moi que ce n’est pas vrai ! Dis-moi que tu l’aimes, notre... OLYMPE. Non ! Elle ne sait pas qui je suis, elle n’a plus de souvenirs ! Elle... ne se souvient même pas de toi, papa. Elle sait juste qu’elle t’aime... ATRÉE. Ne t’en fais pas, je lui raconterai tout. J’y passerai des nuits entières, s’il le faut ! OLYMPE. Surtout pas ! Tu ne dois jamais lui rappeler quelque chose de son passé, tu m’entends ?! JAMAIS ! ATRÉE. C’est injuste ! OLYMPE. Écoute, c’est comme ça que j’ai pu ramener maman ! C’est le pacte ! Vois ça comme un retour à zéro... On pourra toujours recréer des souvenirs avec elle, mais on ne doit plus évoquer les vestiges du passé. Je peux compter sur toi ? ATRÉE. Oui... C’est d’accord. OLYMPE. Alors, si tu veux bien, je vais me reposer dans le jardin. Olympe prend congé, laissant ses parents seuls. ATRÉE. (L’embrasse) Mon amour, tu m’as manquée... GAÏA. Là où j’étais, il me manquait une partie de moi, mais je ne savais pas laquelle. Maintenant que je l’ai trouvée... (L’embrasse à son tour) Je veux en profiter. Atrée la prend par la main et l’entraîne vers leur chambre. Scène 4 Alors que Gaïa et Atrée pénètrent dans la chambre, Bulgur, qui avait réussi à s’échapper des Enfers et s’était caché dans la chambre d’Atrée en attendant le retour des deux femmes, sort de sa cachette. BULGUR. Enfin je te retrouve, Gaïa ! ATRÉE. Odieuse créature ! Comment oses-tu revenir ici après ce que tu lui as fait ?! BULGUR. Ne crois que je me montre par plaisir, mais ta jolie petite femme m’a volé quelque chose ! (À Gaïa) Rends-la moi ! GAÏA. Mais... Qu’ai-je donc volé ? Et qui est cet oiseau, mon amour ? ATRÉE. Je ne peux rien te dire... BULGUR. Si, tu vas lui dire ! Puisqu’à l’évidence madame a perdu la mémoire... Bulgur s’apprête à entonner son chant charmeur, mais il n’en a pas le temps. Le désir de retrouver son épouse telle qu’elle l’a été fait céder Atrée à la tentation. ATRÉE. (Se tourne vers Gaïa) Mon amour... Nous avions une si belle vie de couple... L’oiseau que tu vois est le démon qui l’a gâchée ! Il t’a envoyée dans le royaume des Morts ! Le bocal dans lequel il dormait a explosé quand tu l’as ouvert, tu es morte sur le coup... Mais je ne comprends toujours pas ce qu’il cherche ! GAÏA. Moi je le sais... Je me souviens. (Fouille dans sa poche et en sort une plume) Ça ! BULGUR. Enfin ! Ma plume de sommeil... Gaïa regarde Atrée. D’un coup, elle lâche la plume de sommeil et s’enfuit de la chambre. Bulgur se précipite sur sa relique et disparaît. Scène 5 Dans le jardin du foyer. Olympe est assise sur l’herbe et n’a pas entendu l’altercation qui vient de se dérouler. Gaïa entre, bouleversée. OLYMPE. Maman... Tu vas bien ? GAÏA. Oui ne t’en fais pas, ma chérie. Et... moi aussi je t’aimerai pour toujours. OLYMPE. Quoi, tu peux m’entendre ?! (À part) Non... Il n’aurait pas... Elle s’approche de sa mère et l’enlace pour la calmer. Rien ne se passe. Gaïa accepte l’étreinte OLYMPE. Maman... Tu sais ce qu’un cyclope répond à un autre qui pleure à cause de son maquillage raté ? GAÏA. Que personne va le remarquer ? Olympe hoche tristement la tête, sachant que le rire de sa mère ne viendra jamais. OLYMPE. Exact... (À part) Mais alors... C’était cela que voulait dire Saga aux mots sages ? Que peu importe qui profite des parties manquantes de maman, rien ne sera jamais plus comme avant ? Ou bien que maman ne peut être heureuse si l’un de nous manque... ? (Elle sert sa mère plus fort) Maman, je t’aime. Et parce que je t’aime, je ne peux pas te laisser vivre ainsi. Tu n’es plus vraiment toi-même, de toute façon... Alors à quoi bon forcer le destin ? (Se détache d’elle) Viens, je te ramène aux Enfers. GAÏA. D’accord... Atrée entre dans le jardin. ATRÉE. Il n’en est pas question ! Je te l’interdis, Olympe ! OLYMPE. Tu me l’interdis ? Alors que tu as toi-même précipité maman dans sa seconde mort ? Allez, ôte-toi de notre chemin ! ATRÉE. Je ne te laisserais pas emmener l’amour de ma vie. Pas quand je viens de la retrouver ! OLYMPE. Elle n’est plus l’amour de ta vie ! Et ce par ta faute ! (Sanglote) À cause de toi, Selkyra va venir chercher maman et l’arracher loin de nous... Trois coups retentissent à la porte d’entrée. OLYMPE. Quand on parle du diable. ATRÉE. Non ! OLYMPE. Il faut que j’aille ouvrir, papa. Je n’ai pas le choix. C’étaient les conditions du pacte, et tu ne les as pas respectées... Olympe quitte le jardin pour aller ouvrir. Atrée et Gaïa la suivent. Scène 6 ATRÉE. (Lui attrape le poignet) Je t’en supplie, ma chérie ! Faisons comme s’il ne s’était rien passé ! Ignorons cette nouvelle venue ! OLYMPE. On ne peut pas, et tu le sais ! Lâche-moi ! Gaïa se précipite vers Atrée et Olympe. Elle fait tout pour qu’Atrée la lâche. GAÏA. Laisse ma fille tranquille ! ATRÉE. Mais mon amour... SELKYRA. Silence, tous ! Gaïa, il est l’heure. GAÏA. (À Olympe) Adieu, mon trésor... Je t’aimerai pour toujours. OLYMPE. Adieu, maman... Je t’aimerai pour toujours aussi. SELKYRA. Olympe... Tu sembles avoir oublié que si toi ou ton père lui remémorait ses souvenirs, l’autre paierait. OLYMPE. (En colère) Et alors ? Quelle sera cette sentence plus terrible que de perdre à nouveau ma mère ? SELKYRA. Ta punition sera de nous suivre (lui tend une obole) jusqu’aux Enfers. GAÏA. Elle dit ! Les trois femmes disparaissent en un clin d’œil, laissant Atrée, triste et seul.