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Interview de Georgi Zhechev
Dans le cadre du Master 1 FABLI, certains cours, qui s’intitulent « séminaires thématique internationale », sont dispensés par des professeurs d’universités étrangères. Le thème de cette année est « l’enquête ». Nous avons reçu les 17 et 18 mars Georgi Zhechev, linguiste bulgare et directeur du département français de l’Université de Sofia. Il est un spécialiste de la langue française et a notamment travaillé sur des questions d’intégration des langues minoritaires dans les politiques linguistiques et s’intéresse désormais à la modernité de la langue française à travers le « langage jeune ». Les deux cours que nous avons eu avec lui portaient sur la méthodologie de l’enquête en sociolinguistique.
Isabelle : Qu’est-ce qui vous a amené à intervenir dans notre Master ?
Georgi Zhechev : Je connaissais les deux co-directeurs du Master, Monsieur Devésa et Madame Mikhaïlova, depuis un certain temps et quand j’ai appris qu’ils avaient créé le Master FABLI (Fabrique de la littérature, ndlr), je me suis dit que c’était l’occasion de renouer le contact.
Par ailleurs, Monsieur Devésa et moi avons eu l’idée de créer un lien entre le Master de français de l’Université de Sofia et le Master FABLI de l’Université de Limoges. Nous avons donc réfléchi à des points de convergence et à des actions communes. D’où mon intervention dans le cadre des cours de séminaire international.
En quoi consiste le Master dont vous êtes responsable ?
Ce Master porte sur la francophonie comme objet d’étude et aborde différents aspects de cette notion : institutionnel, linguistique et littéraire/culturel. Dans le volet linguistique, nous nous intéressons au plurilinguisme comme phénomène actuel ; la sociolinguistique est une des approches de base mais il y a également un cours sur les langues minoritaires. Nous avons aussi un volet sur l’aspect interculturel, qui sert à créer le lien entre le travail du traducteur et l’interculturalité.
Nous étudions des littératures de différents endroits du monde (Afrique francophone, Québec, etc). Nous essayons de donner une vision variée de la francophonie dans la production littéraire.
Le français n’est pas la langue étrangère la plus répandue en Bulgarie mais on s’y intéresse.
Quel état des lieux de la francophonie en Bulgarie ?
Ce qui distingue la Bulgarie d’autres pays (de l’Europe de l’Est, par exemple), c’est une très longue tradition de sections bilingues où le français est non seulement enseigné mais est aussi une langue dans laquelle on enseigne une partie des disciplines scolaires.
Ces sections sont héritées des écoles religieuses, très prestigieuses dans la première moitié du XXe siècle. Puis, à l’époque communiste, il y avait une certaine méfiance à l’égard de ces ordres religieux venant des pays occidentaux. Ces écoles ont donc été fermées. Des personnes au sein de la direction du parti communiste avaient cependant apprécié cet enseignement du français et avaient regretté la fermeture de ces établissements. Ils ont donc créé sur leur modèle les sections bilingues dans les établissements de l’école publique bulgare. Depuis les années 1950, nous avons conservé ces sections françaises dans les lycées à Sofia mais aussi dans toutes les grandes villes de province.
Chaque année, nous avons de nouveaux francophones qui viennent dans les universités. Il y a donc des formations dispensées uniquement en français, comme certains cursus pour devenir ingénieur qui ont des conventions avec les écoles d’ingénieurs françaises ou belges. Il y a également des cotutelles de doctorat et des soutenances qui se font en français.
Il y a donc une francophonie réelle en Bulgarie.
Pourquoi cette francophonie ? Est-ce de l’ordre de la nécessité ou de l’amour de la langue ?
Je pense que c’est de l’ordre de l’amour de la langue pour commencer. Mais parfois, les gens se retrouvent dans une section française un peu par hasard, quand ils n’ont pas eu les résultats nécessaires pour l’allemand ou l’anglais par exemple. D’autres étudiants, dans les écoles d’ingénieurs notamment, voient le français comme un outil qui leur permet d’intégrer des réseaux européens.
Connaître le français et la culture française apporte un certain prestige.
Y a-t-il une filière dédiée à l’écriture ou qui met l’accent sur cela à l’Université de Sofia ?
Nous avons deux facultés de Lettres : celle pour les langues slaves (russe et bulgare), et celle pour toutes les autres langues. La première essaye d’introduire des cours d’écriture, je crois, comme le Master traducteur-rédacteur. Je sais que certains des professeurs qui y enseignent sont également auteurs et introduisent certainement des notions d’écriture créative. Mais nous n’avons pas de formation du type FABLI.
Que pensez-vous du Master FABLI ?
Je trouve que c’est une excellente idée. Les universitaires peuvent venir en aide à des gens qui envisagent de devenir écrivains, ce qui est rare et peut-être que ce sont des formations d’avenir qui vont se développer.
Pourquoi avez-vous choisi d’étudier le français et les langues minoritaires ?
Parce que ce sont les parents pauvres de l’étude sur les langues ; les communautés qui portent ces langues ont besoin d’être soutenues et je pense que c’est le rôle de la recherche de s’intéresser à elles et d’aider à les visibiliser. Ce sont des parts de cultures qui risquent de se perdre et ce serait dommage.
Mon parcours a toujours été lié à la langue française mais cela ne m’empêche pas de faire de la sociolinguistique en Bulgarie. Les dialectes n’ont pas de prestige dans mon pays ; ce n’est pas comme en France où les langues régionales font partie du patrimoine de la République. Chez nous, on se moque surtout de quelqu’un qui parle un dialecte.
Quels ont été et quels sont vos champs de recherches principaux ?
Depuis trois ans, je m’intéresse aux langues créoles. C’est lié, bien sûr, à mon attrait pour les langues minoritaires, mais aussi à l’Afrique : nous avons mis en place pour la première fois en Bulgarie une Licence consacrée à l’Afrique avec l’apprentissage de trois langues très présentes en Afrique (deux au choix parmi l’anglais, le français et le portugais). On propose également aux étudiants quelques cours de langues africaines comme le wolof ou le swahili. Ils ont également un cours sur les créoles car c’est là où langues africaines et langues des colonisateurs ont été tellement en contact qu’elles ont donné naissance à de nouvelles formes linguistiques.
Je m’intéresse actuellement aux « parlers jeunes » mais je suis encore dans une période préparatoire. Ce qui ressort de mes recherches pour le moment est qu’il y a beaucoup de controverses sur le statut de ce que l’on appelle le « parler jeune », au niveau de l’appellation notamment. C’est un domaine qui commence à se constituer au niveau de la sociolinguistique. Certains chercheurs disent que c’est un discours politique et non une réalité en termes de pratiques langagières ; mais c’est à voir, ce sont encore des questions que nous nous posons.
Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Je souhaite remercier les collègues du Master FABLI ; ça m’a fait très plaisir de venir ici et de découvrir les lieux.
Merci pour cet entretien !
C’est moi qui vous remercie.
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