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  • Photo du rédacteurLucille Lorieux

Rencontre avec Étienne Kern, Prix Goncourt du premier roman 2022 pour Les Envolés

Étienne Kern est professeur de lettres en hypokhâgne et khâgne à Lyon. Après l’écriture de plusieurs essais, dont Le Crâne de mon ami. Les plus belles amitiés littéraires de Goethe à García Márquez (Payot, 2018) écrit avec Anne Boquel et Le Tu et le Vous. L’art français de compliquer les choses (Flammarion, 2020), il sort son premier roman, Les Envolés, parut chez Gallimard en septembre 2021, pour lequel il a reçu le Prix Goncourt du premier roman 2022. Les Envolés raconte l’histoire de Franz Reichelt, tailleur pour dame, Icare des temps modernes, qui s’est jeté du haut de la Tour Eiffel le 4 février 1912 pour tester un parachute confectionné par ses soins. La vidéo de sa mort (https://www.youtube.com/watch?v=e6YGLpzN7bE) est le point de départ d’un roman délicat et touchant que je conseille à tous.



Qu’est-ce qui vous a touché chez Franz Reichelt et dans son histoire ?


Ce qui m’a touché… Sa mort, tout simplement. Le fait qu’il meurt en direct. C’est absolument saisissant de voir mourir l’un des nôtres. Et à un second niveau, plus profondément, les résonances personnelles que cela peut avoir pour moi. Comme je le dis dans le livre, mon grand-père est mort en tombant d’un balcon. Ce scénario de la mort par chute est très ancré dans ma personne, dans mon histoire. Cela a donné un sens singulier à ces images pour moi.



Est-ce son histoire qui vous a donné l’envie d’écrire un roman ou cherchiez-vous déjà un sujet quand vous avez découvert la vidéo ?


Je crois que le rêve d’écrire un roman était ancien mais virtuel. Il demeurait vraiment virtuel jusqu’à la rencontre avec ce personnage et ces images.



Le décors du Paris de la Belle époque et la biographie de Franz Reichelt ont-ils été un cadre structurant ou une bride à votre imagination ?


Ce qui a été une forme de barrière, de contrainte, c’était le respect de la chronologie : de faire coïncider la chronologie historique attestée par les documents et la chronologie fictionnelle. Par contre, les images, les photographies qu’on a, les renseignements étaient plutôt un tremplin et même une facilité, j’en ai conscience ; c’est quand même plus facile de mettre en mot une histoire réelle et documentée que de partir de zéro.



Jusqu’à quel point vous permettiez de laisser la fiction prendre le pas sur la réalité ?


La question est intéressante. Je pense qu’il y a un problème moral qui est posé par l’appropriation d’une figure historique réelle par la fiction. Je me console en me disant que je ne me suis pas emparé d’un personnage hyper connu en cherchant à garantir la visibilité de mon texte grâce à sa notoriété et que je suis allé trouver une sorte d’inconnu, ou en tous cas d’inconnu célèbre mais pas connu en lui-même, pour essayer de lui redonner un petit peu d’épaisseur humaine. C’est une question à laquelle je suis très sensible. Dans La passion d’Orphée, Philippe Vilain consacre un chapitre à ce qu’il appelle les « Wikinovels » ; les romans écrits avec Wikipédia, les docu-fictions ; en disant que c’est une forme de facilité quand un projet esthétique n’est pas le plus important. Selon Philippe Vilain, quand il s’agit simplement de romancer un épisode historique en cherchant à se lancer avec la notoriété du sujet choisi, il y a quelque chose d’un petit peu, à la fois facile, et puis un peu malhonnête.



Vous avez écrit plusieurs essais qui se présentaient déjà sous une certaine forme narrative. Est-ce que cette expérience vous a aidé pour écrire Les Envolés ?


Oui, il y a une forme de continuité à mes yeux dans le récit, dans aussi les contraintes d’écriture, l’art du paragraphe et la tentative de susciter de l’intérêt chez le lecteur. Mais il y a quelque chose de très différent : quand on écrit un essai, on est sur des rails. Une fois que le travail documentaire est fait, qu’on a hiérarchisé les informations, on se cache derrière un savoir qu’on met en forme, qu’on orchestre. C’est assez reposant alors que la fiction nous met à nu, parce qu’on se cache moins, on se dévoile par définition. Elle nous confronte aussi à une forme d’infini parce qu’on peut évidemment écrire ce qu’on veut, sur ce qu’on veut, de la manière qu’on veut, et c’est justement infini donc terrifiant. Si tout est faisable, il faut faire des choix, essayer de hiérarchiser ce qu’on écrit et prendre les meilleures décisions d’écriture. C’est très éprouvant, très épuisant, très exigeant alors que l’essai est plus reposant. D’ailleurs, j’ai remarqué que c’était beaucoup plus fatiguant d’écrire ce roman, même s’il est très court, que d’écrire des essais qui va solliciter des ressorts plus profonds.



Je me doute que les cours et la correction des copies vous prennent beaucoup de temps. Quel est celui que vous consacrez à l’écriture et quel est votre rythme de création ?


J’aimerai pouvoir vous dire que j’ai une routine d’écriture hyper contraignante alors qu’en réalité, je fais comme je peux, donc un peu n’importe comment, un peu tout le temps, dans les interstices de la vie professionnelle, avec des pics d’écriture au printemps au moment où mes chers khâgneux passent le concours et où on a moins d’heures de cours. Mais c’est très variable et j’ai quand même traîné le texte pendant quatre ans à des rythmes très divers. J’aimerais être plus discipliné pour la suite mais je ne sais pas si j’y arriverai.



Dernière question : Avez-vous des lectures à nous recommander ?


J’ai été particulièrement touché par Ultramarins de Mariette Navarro aux éditions Quidam. Et hasard, c’est une ancienne élève de là où j’enseigne !

J’ai beaucoup, beaucoup aimé un roman de Thomas Giraud qui s’appelle Avec Bas Jan Ader à La contre allée. Il a d’ailleurs beaucoup de parenté avec mon texte parce que c’est aussi un homme qui chute. C’est un livre très puissant et très original.

J’ai beaucoup aimé Aussi riche que le roi d’Abigail Assor, chez Gallimard. C’est un premier roman qui se passe au Maroc et qui raconte l’histoire d’une bande d’amis centrés autour d’une jeune fille qui cherche la liberté. C’est un livre très beau et très incarné avec une dimension psychologique balzacienne ; un très beau roman.

Allez, un dernier titre : Par les écrans du monde de Fanny Taillandier, au Seuil. C’est un roman sur le 11 septembre envisagé à partir de plusieurs points de vue avec des personnes victimes de l’attentat et l’un des terroristes qui détourne un avion. C’est un roman très ambitieux, très intéressant dans sa composition, à la fois très poétique et très ancré dans la modernité avec une réflexion sur le rapport à l’image. Le 11 septembre, pour nous, ça a d’abord été une série d’images répétées en boucle sur tous les écrans du monde, par les écrans du monde, qui donne le titre à ce livre.



Merci beaucoup à Étienne Kern pour son temps, ses réponses et la joie de cette rencontre !


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