Écrire une microfiction à partir de la chanson Le Soleil a rendez-vous avec la Lune (version live) de Charles Trenet. (consigne de Mme Milena Mikhaïlova)
Le détenu numéro 696 340 attendait que sa visite arrive en face de lui. Les doigts de sa main droite grattaient nerveusement les petites peaux autour des ongles de sa main gauche. Il n’avait pas eu de visite depuis le début de son incarcération. Il ne savait pas qui venait. Il avait pourtant échangé des appels avec sa sœur, mais elle ne lui avait rien dit. En même temps, il n’avait droit qu’à un appel toutes les semaines, et ça faisait trois semaines que sa sœur ne répondait pas aux plages horaires données pour les détenus. Il entendait le léger brouhaha de ses codétenus qui avaient eux aussi de la visite. Il ne pouvait ni les voir, ni voir leur visite.
Et puis du mouvement dans son champ de vision. L’ombre ne continua pas vers un autre box. Il releva un peu la tête mais s’arrêta en cours de route quand son visiteur s’assit en face de lui, de l’autre côté du plexiglass. Sa respiration se fit plus profonde quand il le vit. Il s’autorisa un sourire de joie. Il finit par attraper le combiné à son tour.
- Salut, dit le détenu, la voix serrée.
- Salut Elio, répondit la figure partiellement et faiblement éclairée par le petit néon au-dessus de lui.
Au son de sa voix, la respiration du rouquin à la tenue de la même couleur se stoppa. Il éloigna le combiné noir un instant, se frottant les yeux qui s’embuaient avec le bras qui le tenait. Il s’autorisa un petit rire. Qu’il avait rêvé de le revoir. De l’entendre ! Un sourire collé sur le visage, il se reprit, car il avait envie d’en entendre plus.
Ils échangèrent quelques banalités, timidement, comme si c’était leur premier rendez-vous. Elio ne pouvait pas s’empêcher de balancer ses jambes et de tapoter le sol avec ses pieds. Comme un enfant excité et heureux. Parce qu’il l’était. Jacy, son petit-copain, était en face de lui, et lui parlait. Ça faisait presque 1 an qu’il ne l’avait pas vu. Depuis le procès, en fait. Il apportait un peu de couleur à son quotidien. Il lui avait écrit des lettres, mais il n’avait jamais reçu de réponses. Là, il en avait. Même si son amour était plus silencieux et tendu que d’habitude. Pour détendre l’atmosphère grisâtre de la prison, Elio choisit de ressortir les beaux souvenirs qu’ils avaient ensemble.
- Tu te souviens de la chanson en français que je te chantais ? Le Soleil et la Lune ?
- Oui. Tu savais que ça me ferait rire avec ton accent. Tu as toujours su sécher mes larmes et écarter mes soucis quand j’étais hors de la réserve.
Un léger silence. Jacy se mordillait la lèvre inférieure. Puis lâcha :
- Seulement… J’ai dû les sécher seul quand tu es entré ici.
Ce fut l’effet d’une bombe en Elio. Après un battement, qui dura aussi bien un instant qu’un millénaire, le rouquin dit, timidement, sur une fausse assurance.
- Je suis désolé. C’était une décision stupide que j’ai prise. Et maintenant, je suis loin de toi. Et enfermé. Il n’y aura pas d’éclipse pour que la Lune et le Soleil se retrouvent avant un moment.
Jacy garda son air sérieux, mais triste, si triste. Avec la vitre qui les séparait, le détenu maintenant tendu ne pouvait pas savoir s’il avait les yeux humides. Et à travers le téléphone, il crut entendre sa voix trembler et infiniment triste. Était-ce une illusion, qu’il voulait désespérément croire ?
- Il n’y aura pas de prochaine fois, Elio. La Lune et le Soleil ne se reverront plus jamais.
Ce fut une autre bombe. Cette fois-ci, le susnommé quitta un instant son petit-ami des yeux et regarda le combiné avec insistance. Il devait y avoir de la friture. Ça devait bien arriver même à ces téléphones-là, non ? Il s’empressa de reprendre le morceau de plastique sinistre à son oreille, craignant de louper quelque chose, craignant d’avoir loupé les explications, souhaitant qu’il s’agissait d’une hallucination.
- Je suis… Je ne peux pas t’attendre. Tu dois assumer ta bêtise seul, puisque tu l’as décidé seul. Sans penser à nous. Tu as pensé à toi. Uniquement à toi. Je dois avancer alors que toi tu restes sur place.
- Jacy…
Ce dernier leva la main, paume face contre celui qu’il était venu voir, autoritaire. Pendant un instant, celui qui était affublé d’une combinaison orange cru qu’il allait la poser sur la vitre. Comme il souhaitait la sentir contre sa main, contre sa peau. Par ce geste, il était seulement invité à se taire.
- C’est toi qui a décidé de ton destin à l’instant où tu as décidé de rejoindre ce casse. De te porter garant de tes partenaires de crime. D’assumer leurs actions durant cette prise d’otage, même non voulue. De dire que c’est toi qui avait tiré. De dire que tu étais coupable, sur plusieurs chefs d’accusation. Ça ne sert à rien de défendre des morts. Même s’il s’agissait d’un arrangement avec la procureure.
En plus d’être prisonnier d’un lieu, celui qui était joyeux comme un enfant un jour de neige était maintenant prisonnier de son propre corps. Il voyait la sentence arriver. Il hurlait intérieurement. Sa gorge se dessécha rapidement et il voulut protester. Parler. Essayer de le faire changer d’avis. Pour eux. Mais rien.
- Au revoir, Elio.
Sa lune se leva, raccrocha et la figure assise et immobile cru apercevoir une larme rouler sur ses belles joues dont il ne pouvait que se souvenir de la douceur, avant que sa vue ne se brouille et qu’il lâche le combiné qui se fracassa contre la paroi du box, rebondissant par son fil entortillé.
C’était fini.
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