“Inquiétant”. Écrire au maximum une page A4 “inspirée” par ce tableau inquiétant de Balthus. (consigne de Jean-Michel Devésa)
Albert presse le pas, espère qu’on ne le verra pas. Il n’a pas de chance, ce soir immortalise cette place. Il les voit prendre la pose et ça l’effraie un peu, juste assez pour qu’il se rappelle qu’il n’a pas voulu prendre de gilet. Voilà, c’est pour ça qu’il se tend et avance un tantinet rapidement, il se dépêche car il a froid. Quelle autre raison sinon pour motiver son empressement ?
On lui a toujours dit qu’il avait de l’allure, ce doit être quelque chose dans sa posture. Albert se tient droit et on remarque à peine qu’il part légèrement avant l’horaire convenu. Drôle de parade mais jusqu’ici très efficace. Personne ne vous trouve peureux si vous n’êtes pas voûté, recroquevillé. Ce n’est pas qu’il a peur d’être campé, c’est juste qu’il aime décider. Exactement, le contrôle le rassure et ce n’est pas lui qui a engagé ce peintre. À son âge, on n’a pas peur des images. Mais lui ça le gêne tout de même. Une légère raideur entre les épaules, discrète et pourtant toujours ponctuelle. Elle est là sans faute.
L’artiste a remarqué, il voit les gens en entier. Il y a longtemps qu’il sait regarder. Alors il n’a même pas besoin qu’Albert reste là. Après tout il est peintre, pas photographe. Ce sont ces détails dont il se régale. Pas d’inquiétude pour l’homme pressé, il ne sera même pas de face. Mais non, ce n’est pas pour trahir ce dos tendu, voyons. Et d’ailleurs il est dans le fond. C’est cette fille sans âge qui regarde le passant, elle captera toute l’attention. Simplement une lumière ou un chien pour remarquer Albert. C’est bien suffisant.
Demain, il a vu le tableau. Il a fallu sourire, il y avait des amis. Le peintre l’a regardé moqueur mais il s’est tu. Ce fou ne réalise pas qu’il a ancré tous ses défauts dans le passé, qu’il lui a volé son dos et l’a épinglé là ; qu’une fois traversé par l’aiguille, le papillon aura plus de mal à s’envoler.
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