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Photo du rédacteurKama Datsiottié

Arrache-moi le cœur ! - PPL FABLI

Mention spéciale du Petit Prix Littéraire FABLI ⭐️

Consigne : Écrivez un texte de la forme de votre choix sur la citation suivante :

« Nous traversons le présent les yeux bandés. » - Milan Kundera

Mon présent est par trop anxiogène, les informations à la télé me filent la nausée si bien que j’ai fini par la débrancher. J’ai comme un flingue posé en permanence sur les tempes. Je décompte les secondes dans ma tête et je joue à la roulette russe en remettant ma vie en jeu à chaque fois, à quitte ou double. Ça cogne et ça cogne encore plus fort à l’intérieur de moi. Cri de douleur. Je ferme les yeux et dans le noir artificiel prodigué par les portes closes de mes paupières, je vois de façon subliminale le tableau de Munch du même nom. Je tends l’oreille coupée d’un tableau dalinien et dans le poste radio j’entends hurler Gaëtan Roussel :


Arrache-moi les yeux Que je ne puisse plus voir

Arrache-moi les... La douleur jusqu'au bout de moi

Arrache-moi le cœur Que je ne puisse plus avoir peur


Kof kof kof ! Putain je vais y rester sérieux ! Je suis là au-dessus de mon évier et je crache mes poumons. Même l’air que je respire m’est douloureux. Quelle chiotte ! Cette saloperie de Covid22 m’a pas loupé. Je recrache littéralement du sang par filets visqueux entiers, mélangés à des glaires. Ou bien est-ce ce sirop que je prends en automédication qui me met dans cet état-là. Ou bien l’abus de sirop...

À force d’avoir peur de tomber malade, on finit parano, on se frotte les mains toutes les cinq minutes à s’en arracher la peau. jusqu’au sang et jusqu’aux os. Et même quand on finit par l’apercevoir on se dit qu’on a sans doute pas assez frotté. Moi je fais de la prévention, ce n’est pas de l’eau de javel que j’ingurgite par bidons entiers mais des litrons de pinard. Du bas de gamme en plus, à m’en retourner l’estomac et à en tacher mes T-shirt devenus à force un peu trop crades. Je tombe en totale décrépitude, je me fonds dans le décor et il n’est pas bien brillant.

Au plafond des volutes de fumée entrent en lévitation. Elles semblent hésiter sur la direction à prendre et sur la suite des événements. Le Cancer peut bien attendre, même s’il frappe à la porte, ce n’est pas aujourd’hui qu’il m’emmènera. Sa petite sœur la Faucheuse a pris son ticket avant lui. Chacun son tour enfin ! Un peu de discipline que Diable ! Ma voisine du dessous qui tire les cartes et lit dans les lignes de la main, m’a expliqué que ce n’était plus qu’une question de temps. Elle a même refusé que je la paye vue la mauvaise nouvelle. Je me suis alors contenté de la payer en nature. Comme toujours. Ça nous rend service à tous les deux. Des étreintes charnelles et furtives ça réchauffe un tant soit peu nos corps froids, gélatineux et flasques comme de la viande morte.

D’ailleurs j’ai perdu l’appétit depuis quelques jours, je n’ai plus le goût à rien. Le médecin qui me suit m’a prescrit des compléments alimentaires en sticks liquides car je me liquéfie à vue d'œil. J’en deviens presque transparent. Je ne rentre plus dans mes vêtements, j’ai dû faire des trous dans le cuir de ma ceinture afin de ne pas me retrouver le cul à l’air dans la rue. De toute façon j’ai même plus envie de sortir, si je sors c’est pour m’acheter ma bibine et faire le verre. Le médecin m’explique que c’est bien, ça me fait prendre l’air. Moi je dis que c’est qu’un con. Mais bon. Chacun s’en fera sa propre opinion.

À chaque fois que j’y vais il me dit que j’ai rien du tout, et que ça doit sans doute être dans ma tête ! Mais quel con bon Dieu ! C’est qu’il doit pas m’entendre tousser et siffler comme un asthmatique ou un cancéreux des poumons en phase terminale. Je lui dis que je ne dors plus, que j’ai des cernes de panda, que je suis essoufflé, ne serait-ce que pour me lever du lit, il me répond mais non, mais non, levez-vous et marchez ! C’est à force d’efforts que vous vous relèverez. Aidez-vous et Dieu vous aidera ! Et patati et patata, il me débite son chapelet de conneries qui pendent de sa bouche comme des saucisses knacki industrielles. Je le vomis ! C’est à peine s’il m’envoie pas marcher sur l’eau cet ahuri ! Et le pire dans tout ça, c’est que s’il me le demandait j’irai, même si je ne sais pas nager. J’ai besoin d’un putain de miracle. J’en ai marre de brûler des cierges à l’église. La fumée qu’ils font en se consumant noircit d’autant plus mes poumons, et les encrasse de façon invisible à l’œil nu !

Les radios et autres scanners n’ont rien donné ! Mais moi je sais ! Je sais putain que je suis en train de crever ! Y a vraiment que moi pour m’en rendre compte ? Hypocondriaque qu’ils m’ont dit, ras-le-bol de le voir cet homme-là, il prend la place de patients vraiment malades et atteints de la Covid22. Mon œil ! Je vais y laisser ma peau vous verrez ! Sinon pourquoi je tousse mes bronches à chaque bouffée d’oxygène que j’avale.

Les yaourts ultra protéinés ne passent plus. Mon tube digestif s’est rétréci de façon drastique et ça me brûle de l’intérieur. J’ai envie de m’arracher tout ça ! M’arracher la peau et jouer au Docteur Maboul avec moi-même, sans prendre de gants et de pincettes, jouer du bistouri et du cutter. M’éventrer sans anesthésie et bidouiller là où ça ne va pas là-dedans. Cette petite partie de moi qui me fait atrocement souffrir et que je suis seul à ressentir. Cet organe douloureux comme disait Paul Éluard dans son recueil de poèmes Capitale de la douleur, comme l’a chanté un peu plus tard Daniel Darc dans son album Crève-Coeur avant de réussir sa TS, ou encore comme l’a prophétisé Kama Datsiottié atteint des mêmes symptômes et donc du même mal dans XXI.

Oui abréger mes souffrances, c’est ce que je voudrais pouvoir faire. Mais encore faut-il qu’on m’en laisse toute latitude et liberté. Les médecins refusent de me voir m’en aller. Ils ne désespèrent pas de me sauver. Tu parles ! Ils en veulent à mon portefeuille, voilà tout ! C’est de l’acharnement thérapeutique, ni plus ni moins. Je suis tout au plus un cobaye pour eux, une bête curieuse dans un vivarium, une anomalie médicale à leurs yeux qu’il faut étudier plus en détail, afin de la diagnostiquer et d’y apposer leur joli nom de famille pour la postérité ! Comme les Alzheimer, les Tourette, les Parkinson, les machins choses avant eux ! Putain mais alors, c’était Covid comment le gars qu’il s’appelait déjà ? Marc non ? Marc Covid ? Non ça c’était Dorcel ou Dutroux, là où on va tous aller du reste. Au fond du fond, à bouffer les pissenlits par la racine !

Ha bon sang, voilà que je perds la boule maintenant ! Ramenez-moi de toute urgence à l’hospice, à l’hosto ou à l’asile, afin que je puisse jouer à Docteur Maboul avec tous les autres ! Tous les dégénérés du bulbe comme moi, et que j’opère enfin ma transformation ! Que je me taillade le visage, que je m’arrache le sexe pour en changer ou que je me taille les veines pour mieux me tailler. Ou passez-moi donc la camisole de force ! Afin que je ne puisse pas me faire du mal, ou bien sans doute aux autres. Il est vrai que ça pourrait être tentant. Voire amusant. Ce n’est pas comme si l’idée ne m’avait pas effleuré.

Quitte à partir, autant pas partir seul. Les princes vikings et les pharaons égyptiens faisaient grand bruit et grand massacre autour d’eux avant de toucher l’éternel. Ça ouvre les portes comme on dit, ça soulage l’âme là où ça fait mal. De toute façon la morphine, la C et l’héro n’ont plus sur moi aucun effet. Le shit et la beuh non plus. Le LSD, c’est pas mieux. La picole encore, ça adoucit mes ganglions quelque peu. J’ai mis un bandeau mouillé autour du crâne et sur les yeux pour faire baisser la fièvre. Mon thermomètre a rendu l’âme cette nuit et je vais pas tarder à le rejoindre. J’ai l’air d’un Van Gogh pété au crack.

Je pourrai me couper le bras que je ne le sentirai même pas. Je suis dans une autre dimension. Je débloque complètement et j’évolue avec grande lassitude dans ce monde-ci, où tout va trop vite. La vie, la médecine, les avis des médecins, la maladie. Tout est obsolescence programmée et nous allons pauvres de nous vers notre propre déliquescence ! Chienne de vie que cette vie, Louise Attaque voudrait s’arracher les couilles et le cœur, moi pour ma part, ce sont les yeux que je voudrais pouvoir m’arracher. Je suis même à deux doigts de le faire, regardez ! Pour accompagner mon verre de Martini et les glaçons qui flottent dedans, car hélas pour moi je n’ai plus de citron. L’est passé dans la cuillère au-dessus des flammes du briquet. À danser une valse avec le Diable en Enfer ou à chevaucher un Dragon de feu.

Ce n’est pas vraiment du Martini du reste, mais une sous-marque bon marché de chez Lidl, et à dire vrai, je ne suis pas vraiment malade.

Et vous ?

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