Réécrire la microfiction Babylone de Régis Jauffret (consigne de Mme Milena Mikhaïlova)
Les vibrations du chant des baleines à bosse résonnent dans l’univers silencieux où je reste, bouche bée, sans bouger. Des bulles d’air s’échappent et remontent à la surface. L’immensité bleue absorbe lumière et couleurs jusqu’à les éteindre dans ses profondeurs. Je n’aurais pas imaginé trouver des instants de sérénité dans le calme violent qui rôde au gré des courants, là où même le son de ma propre respiration n’existe plus. Les tortues, les requins et les planctons dansent leurs rondes, passifs et élégants au-dessus de ma tête. Ils ne se doutent pas que je brise leur réseau trophique, que plus qu’une plongeuse familière, je suis une apnéiste au goût toxique.
Je n’avais pas rêvé de ce destin aquatique dont le sel assèche les souvenirs. Je n’avais pas rêvé d’habiter dans le liquide pacifique si ce n’est pour incarner Ondines et Néréides. Mais j’en suis réduite à jouer une sirène qui séduirait difficilement le plus faible des Argonautes, à endosser le rôle de Méduse à la chevelure folle et au regard pétrifiant. Le mythe se désagrège.
Autrefois, mon visage pixelisait toutes les télés, apparaissait dans les catalogues et les rayons des supermarchés. Objet de désir, je provoquais envie et admiration pendant que je défilais à l’infini, un sourire parfait plaqué sur mes lèvres roses. J’étais l’égérie d’une société, la réification de ses canons de beauté et de pensée, une tête à coiffer et à maquiller, un corps à habiller de tulle et de tissus synthétiques.
Et tout s’est terminé. On s’est lassé de mon visage inchangé, lassé de ma présence encombrante. Ce fut la fin des mains qui m’adulaient, me tenaient et m’embrassaient. Elles m’ont traînée dans la boue, jetée aux ordures, reléguée au rang de déchet. Les seuls à me regarder encore sont les poissons aux yeux vitreux qui peuplent l’Atlantide, cité engloutie, perdue et oubliée de la surface de la Terre. Je ne suis plus qu’une tête de poupée en plastique décapitée, le crâne couronné de coraux et d’algues, sacrée miss immondice des océans pour des centaines d’années.
Crédits photo : David Lorieux
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