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Photo du rédacteurIsabelle Péré-Fam

Brouhaha


Je voudrais que tout s’arrête là,

Ne plus avoir à faire de choix,

Ne plus avoir à surmonter la vie,

Plus de guerrière, plus d’envies.

* *

*


Tu crois t’éteindre, puis tu revis

Et tu dois faire à nouveau face

A la réalité qui t’entoure

Par-ci, par-là un peu de bruit

Puis le brouhaha alentours

Tes sens sont à nouveau actifs

Les images te reviennent par flashs

Tu as du mal à les fixer

Réalité ou bien rêve ?

Tout est bel et bien brouillé

Quand tu reviens rien n’a changé

Ce corps est toujours le tien

Avec cet esprit torturé

Tu obéis, tu te consoles

On te promet la guérison

Pour peu que tu le veuilles encore

- et même quand tu ne le veux plus

Alors tu vaques de chambre en chambre

Pas encore fixe mais pas le choix :

Il faut guérir, tu le leur dois.

La malade : Je voulais mourir, vous savez. Je le voulais vraiment.

Psychologue : Pourquoi cela ?

La malade : L’étau autour de moi…qui grandissait, qui s’alourdissait ; vous ne comprenez pas ? Ce que l’on nomme « dépression », c’est bien plus qu’une maladie. C’est un couloir exigu qui ne se termine pas. Une sensation de Vide, une sensation de Trop. Une paralysie. Une fatigue extrême. On se voit changer mais on ne peut rien faire. On s’abîme à ressasser des choses, on s’abîme dans un monde si froid.

Je n’avais pas le choix. Je ne pouvais plus vivre.

Psychologue : On a toujours le choix.

Mourir c’est renoncer,

Il faut se battre pour vivre.

* *

*

Un livre au coin de l’étagère derrière la meute de psys. Antigone de Jean Anouilh.

Flash. Succession de pensées.

L’émotion à ma première lecture.

L’émotion à ma deuxième lecture.

Antigone…

Antigone !

Toi que j’admire tant

Ton courage et ta force

Ta façon de dire « Non ! »

Tu meurs pour tes idées, tes convictions.

La malade : Je suis comme Antigone. « Moi, je veux tout, tout de suite,- et que ce soit entier -, ou alors je refuse ! » Je ne veux pas de demi-mesure, pas de compromis. Je ne veux pas de petits bonheurs ni attendre pour être pleinement heureuse.

Psychiatre 1 : Antigone est un personnage de fiction, madame. Nous sommes dans la vie réelle.

La malade : Quelle différence ? Je veux pouvoir rêver, je veux être absolue. Ou rien. Ou la mort.

Psychiatre 2 : Vous ne pouvez pas décemment venir nous voir et nous demander de mourir, enfin ! Nous sommes des médecins, nous sauvons des vies.

Psychiatre 3 : Vous rendez-vous compte de votre égoïsme ? Et vos proches dans tout ça ; avez-vous pensé à leur peine ?

Que croyez-vous prouver à votre mort ? Qui croyez-vous être ?

Psychiatres 1, 2 et 3 en chœur :

Ces malades ne se rendent pas compte

De la chance qu’ils ont

D’être entourés et aimés

Ils voudraient tout, ne connaissent pas le manque

Nous travaillons sans cesse

Notre vie est épuisante

Nous ne nous plaignons pas :

Qu’ils en prennent de la graine.

Iels ne me comprennent pas :

Iels me pensent égoïste :

Vivez ce que je vis, on en reparlera.

Vous ne savez pas ce que c’est

Que de vouloir mourir

Et vous y essayer.

Puis échouer.

De nouveau condamnée à vivre

À vous faire insulter

Par des techniciens du cerveau

En blouse blanche

Qui ont pour toute sensibilité

Des manuels, des théories

Plein la tête

Et pas de tact

Et peu de cœur.

* *

*

La malade : « Vous dites que c’est si beau la vie. Je veux savoir comment je m’y prendrai pour vivre. »

Psychiatre 4 : Mais vous savez, madame, la vie ça n’est pas simple. La vie c’est difficile parfois ! Il faut apprendre à surmonter les obstacles, à ne pas tomber au moindre coup de vent. Il faudrait que vous arriviez à gommer votre forte sensibilité, à vous endurcir.

La malade : Ma sensibilité, c‘est ma force. Je souhaite rester candide et lutter par l’innocence contre la monotonie, le manque de bienveillance et la solitude du monde des adultes ! Et puis d’abord, j’en ai marre de prendre tous ces médicaments. Je suis épuisée.

Psychiatre 4 : Haha, tous mes patients me disent ça ! Mais vous avez besoin de ces médicaments. Sans eux vous essayeriez à nouveau de vous suicider. Soyez patiente.

La malade :

Je ne suis pas dans la vie, je le ressens bien.

Je ne suis pas dans la vie car je ne ressens rien.

Je ne sais percevoir ces moments de bonheur,

Tous ces moments censés réchauffer le cœur.

J’ai vécu trop longtemps sous l’énorme rocher

De mes peurs, des traumas, la tristesse, la solitude

Qu’aujourd’hui je peine à imaginer

La vie en dehors de cette médicamenteuse platitude.

C’est trop long. J’ai lutté douze ans…je n’en peux plus, c’est trop pour moi.

Psychiatre 4 : Vous voyez le verre à moitié vide, madame. Ne pouvez-vous pas le voir à moitié plein ? Vous avez une famille qui vous aime, vous êtes en France et avez accès à des soins psychiatriques. Beaucoup de gens n’ont pas votre chance.

* *

*

Les proches :

La vie en vaut la peine.

Tout le monde n’a pas la même vision de la vie que toi, il faut que tu l’acceptes !

Tu apportes chagrin, tristesse et colère ;

Nous voulons vivre, et vivre heureuses, même.

La malade : « Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte. » Moi je ne veux pas vivre, je ne le voudrai jamais ! Vous ne me forcerez pas, vous ne pouvez pas me forcer à aimer cette vie et à vouloir y rester !

Vous dîtes que vous m’aimez ? Vous voulez réellement m’aider ? Aidez-moi à mourir.

Fais mon deuil, ce n’est rien.

Mais avant,

Viens, viens me rejoindre

Là où l’espoir et la lumière se font rares

Là où les traumatismes sont nos meilleurs amis

Là où le cauchemar est permanent,

Où le deuil de toi-même n’est pas qu’optionnel.

* *

*

La malade : « Quelles pauvretés faudra-t-il qu’elle fasse elle aussi, jour par jour, pour arracher avec ses dents son petit lambeau de bonheur ? »

Miansérine 60mg

Témesta 3mg

Solian 10mg

Abilify 15mg

Haldol 3m…15mg

Tertian 15mg

Nozinan 15mg

Parkinane 15mg

Sertraline 50mg

Vous ne savez faire que ça : donner des substances. Vous n’écoutez pas, vous ne cherchez pas à comprendre.

Madame la psychiatre, c’est moi qui vous paye vos Louboutin. Monsieur le psychiatre, c’est moi qui vous paye votre Porsche. Vous me traitez comme de la merde ; vous devriez m’être reconnaissant.e.s d’être malade. Vous pouvez exercer grâce à moi. Vous gagnez tout votre fric grâce à des gens comme moi, que vous gavez, que vous anesthésiez, que vous ruinez à coup de médocs dangereux, inappropriés, surdosés. Vous faîtes un métier prestigieux mais vous n’avez pas une once d’humanité. C’est vous, les merdes. Vous êtes des grosses merdes à mes yeux.

* *

*

La malade :

« Qui devra-t-elle laisser mourir en détournant le regard ? »

Je vois des corps, des cœurs, des cerveaux, des âmes gâché.e.s par vous. Par vos médocs. Je vois des vies brisées par vos paroles et par vos décisions arbitraires. Je vois toute votre noirceur, toute votre mauvaiseté.

Je sais. Je sais que je laisse mes adelphes décrépir sous vos ordonnances. Et je ne fais rien. Je ne peux rien faire.

Je pourrais vous tuer ou brûler votre bureau. Mais ce serait moi la coupable.

Alors j’écrirai. J’écrirai sur ce que vous m’avez fait. Vous m’avez rendue plus malade que je ne l’étais. Et si je guéris un jour, ce sera grâce à moi. Uniquement grâce à moi. À ma force que vous ne savez percevoir. Et à mon innocence, que je conserverai coûte que coûte. Vous ne me la prendrez pas.

J’écrirai pour que les choses changent enfin.

Je ne me tuerai pas, j’écrirai.



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