top of page
Photo du rédacteurKama Datsiottié

Cathartique

Dernière mise à jour : 29 mars 2022

Un moment où la souffrance a pour moi été un acte cathartique a été ma dépression que j’ai faite lorsque j’avais vingt ans. Je suis littéralement tombé dans l’alcool et l’autodestruction. En fac d’histoire sur Nantes, j’étais totalement déscolarisé, des problèmes sentimentaux et familiaux en plus à se greffer par-dessus, en un mot, j’avais vraiment plus le goût à rien. Bref la profonde déprime qui nous fait broyer du noir et plonger pour de bon dans un gouffre sans nom.

J’étais alors en cité U. Elle avait pourtant un joli nom, Launay-Violette qu’elle s’appelait. Elle avait beau avoir un nom de fleur ça n’empêchait pas que j’avais vraiment envie de me foutre en l’air. Je traînais mon âme en peine dans mon neuf mètres carré triste et vide. Un petit réduit qui avait tout du boui-boui. Histoire de tenir bien au chaud le cafard qui me rongeait comme un ver puisque je me faisais l’effet d’un fruit pourri.

Je lisais aussi pas mal de poésie, je crois même que c’est ce qui m’a sauvé corps et biens. J’avais acheté trois recueils bon marché vendus dix francs à l’époque pour la petite anecdote, de trois poètes qui allaient bientôt devenir mes maîtres en Poésie : Baudelaire, Rimbaud et Verlaine. Ces trois livres désormais ne me quittaient plus, ils avaient pris possession des murs blancs et de la table de chevet.

Ça a eu en tout cas un effet bénéfique sur ma santé mentale. Bien sûr il a fallu du temps pour que ça fasse effet, c’était une thérapie inconsciente et de longue haleine. J’écoutais aussi pas mal de musique, je picolais pour noyer mon chagrin et moi avec. Je voulais régurgiter tout mon mal-être, je me suis alors mis à écrire tout mon malaise et à vomir tout mon soûl. De la poésie pour l’essentiel.

Au début c’était juste pour le fun, mais très vite j’ai compris que ça avait un effet exutoire sur moi. Au lieu de me faire du mal, je torturais les mots dans tous les sens. Je prenais mon pied même si c’était douloureux. Le mal par le mal comme je dis toujours.

C’était toujours mieux que de me tailler la peau ou me taillader les bras, oui dans un sens, j’étais véritablement à fleur de peau. J’étais renfermé sur moi-même, je ne voulais plus sortir ni voir personne. Les seules sorties que je m’autorisais c’étaient les courses à la supérette du coin pour acheter ma tise bon marché. Des bouteilles de mousseux dégueux, du muscadet à donner des aigreurs d’estomac et de la vodka à l’odeur de désinfectant que je coupais néanmoins avec du jus d’orange pour tenir à distance les ulcères. Je faisais en quelque sorte de la prévention. Et par-dessus tout ça, bien évidemment quelques glaçons…

Arrivé un moment, à force de me mettre dans tous mes états et chaque jour un peu plus minable que la veille, j’ai fini par accumuler sur la table qui me tenait lieu de bureau plusieurs poèmes. J’ai commencé alors à les agencer, à les organiser entre eux, à les taper au propre, car le plus souvent je n’arrivais même pas à me relire comme si c’était quelqu’un d’autre qui les avait écrits à ma place, ou comme si une quelconque entité avait pris possession de mon corps.

Pour ce faire, j’avais rapatrié sur Nantes la machine à écrire de ma mère dont elle ne se servait plus et à vrai dire ne s’était jamais véritablement servie. C’était à chaque fois le même rituel. Je me levais tard le matin ou plutôt en début d’aprèm, je partais en titubant faire les courses car il n’y avait plus rien à boire, je mangeais un bout et surtout je buvais beaucoup pour soigner ma gueule de bois. Je m’ambiançais tout seul sur de la musique rétro des années soixante qui tournait en boucle, ou bien encore du rap, je lisais de la poésie, j’écrivais jusqu’à tard dans la nuit, jusqu’à ce que je ne tienne plus debout ou que mes paupières se ferment d’elles-mêmes en prenant soin de laisser la lumière allumée derrière moi pour éloigner tous mes démons.

Il fallait bien avouer qu’en plus de la dépression, l’inspiration était elle aussi au rendez-vous, ça avait quelque chose de magique ! Très vite j’ai commencé dans mon esprit à associer les deux. C’était mon mode de fonctionnement et je ne voyais pas comment écrire sans être complètement ivre ou juste après en phase descendante. Dans un de ces moments creux d’accalmie, vous savez comme lorsque l’on est pris dans l’œil du cyclone ou bien de calme avant la tempête.

De fait, de fil en aiguille, l’alcool aidant et les mois passants, j’ai fini par guérir tout seul et sortir de ma longue et interminable gueule de bois, en plus de ça, cerise au kirsch sur le gâteau, j’avais pondu mon tout premier recueil de poésie que j’intitulais sobrement et en latin s’il-vous-plaît « dans sa vingtième année » (IN ANNO AETATIS SUAE XX) pour signifier la mort de son auteur : Kama Datsiottié, je simulais en quelque sorte ma propre mort ou encore celle du poète maudit comme pour laisser loin derrière moi cette mauvaise période de ma vie. Ou comme l’on brûle un personnage de paille pour mieux danser autour.

Le recueil est resté enfermé à double tour pendant presque seize années dans un tiroir de mon esprit auquel j’avais volontairement jeté la clé. Puis un beau jour le déclic, je me décide à reprendre mes études sur Angers en Licence Lettres Modernes afin de me donner un violent coup de pied au cul. Je décide de reprendre ma vie en main après un divorce douloureux et les aléas du quotidien.

Dans la foulée j’exhume le recueil et me décide enfin à l’envoyer à des éditeurs et à leur en parler en tâtant le terrain lors de Livres Paris en mars 2019. Le feeling passe avec Claire Garnier, la directrice des éditions Illador, je lui envoie mon manuscrit, elle est conquise.

Un an plus tard je fais mon entrée en Poésie de façon officielle et officieuse avec XXI, bien que pourtant j’avais poussé la porte quelques seize années auparavant. Depuis je bois un peu moins mais j’écris toujours autant. La dépression est loin derrière moi même si parfois j’ai de sérieux coups de mou et des tonnes de doutes.

Sauf que je n’attends plus qu’une chose désormais, non pas de me foutre en l’air mais bel et bien de confirmer mon entrée en Poésie par un recueil et puis par un autre. À quarante piges il est bien temps, non ?



11 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


​Envie d'en lire plus ?

Cliquez sur les mots-clés à la fin de l'article...
bottom of page