"Écrire (au plus) une page (A4) en commençant par la formule empruntée à André Breton : "il me fait jouer de mon vivant le rôle d’un fantôme" (dans "Nadja")." (consigne de Jean-Michel Devésa)
« Il me fait jouer de mon vivant le rôle d’un fantôme ». Le matin dans le reflet éteint de la glace, je ne me reconnais pas. Je ne sais plus où donner de la tête ni non plus à quel Saint me vouer, ni encore moins quel être vivant et malheureux hanter. Homme ou femme, bon ou mauvais. Après tout qu’importe ! Puisque je ne suis plus ni l’un ni l’autre, perdu dans des conjonctures qui me dépassent corps et biens ; et qui, à y regarder de plus près, dépassent toute notion d’entendement. Alors laissons-nous aller à notre déraison, au fil du rasoir ou bien à celui de notre inspiration. Regardons froidement la Mort en face ! Et qu’elle vienne ! Qu’elle vienne ! Quand ce jour viendra, promis je ne tremblerai pas, je poserai mes doigts sur le chien du fusil, Cerbère de métal et de feu, et je me tirerai une balle proprement comme les étoiles filantes tracent leur course en plein ciel ! Puisqu’il faut bien partir un jour... De toute façon, dans notre état mortel et subliminal rien ne nous fait peur, ni le Néant, ni même la Nuit ; puisqu’après tout, nous n’avons plus rien à perdre sinon tout à gagner. Mélancolique fantôme de ma vie, regarde donc un peu ce que je suis devenu ! Ce que tu as fait de moi ! Tout ce mal et ces pensées sombres qui s’insinuent à l’intérieur de moi et jusque dans mon sang. La bile noire des humeurs chère aux anciens, source de création et de génie ; mais en attendant, que de souffrances inutiles, que de douleurs profondes et de cicatrices à mes bras… Pourtant je l’appelle de toute mon âme, de tout mon cœur, cette douleur, cette étrange sensation qui me fait à la fois sentir éteint et vivant. Après tout, à quoi bon ? Pourquoi vouloir s’évertuer à être moi-même, pourquoi vouloir s’obstiner à être un autre, si au bout du compte, l’un comme l’autre n’ont plus ni raison ni enveloppe corporelle, ni chair ni compassion ? Ni encore moins de désir charnel ? J’ai parfois l’inexplicable intuition d’être composé d’une multitude d’atomes hétéroclites qui gravitent en dehors de toute logique ou règle élémentaire, et plus surprenant encore, défiant indubitablement toute gravité. À quoi bon après tout l’apesanteur ? Sinon à nous sentir plus pesants encore et entraver d’autant plus nos mouvements. La notion de Folie l’emporte alors sur la notion de Raison, voire même sur tout le reste. Et me voilà soudain, Cavalier sans tête, déambulant dans les landes désertes sans cœur ni passion. Ni même sans nulle part où aller. Comme un pauvre fou à qui l’on aurait ôté tout espoir de rémission, autant dire un désespéré ! Et Dieu sait que ce sont ceux-là les plus dangereux, car là encore, ces derniers n’ont absolument rien à perdre mais tout à gagner. Ce sont ses chiens fous ! Sans garde-fou, sans garde-chiourme ni barrière. Prêts à sauter dans le ravin escarpé gueule la première ou à décapiter l’ennemi en place publique sans plus de jugement ni aucun ménagement. Justice expéditive du couperet qui tombe sur la nuque aussi tranchante qu’un sabre… Ou plutôt suis-je une âme en peine à me lamenter sur mon sort ou bien sur moi-même. Sans en retirer aucune joie sinon la douleur de l’existence, et de cet oxygène que l’on respire et que l’on recrache à pleins poumons. Cris du nouveau-né qui pleure et qui veut retourner dans le ventre protecteur maternel et encore chaud. C’est d’ailleurs ce que nous cherchons à faire inconsciemment toute notre vie. Les choix que l’on fait nous sont dictés par notre Alma Mater, par un ventre rond, gorgé de sève et de soleil. Pour pérenniser l’espèce comme on dit, mais reste à savoir de quelle espèce intelligente on parle ici… Car en y repensant, j’émets de sérieux doutes sur la question. Je me liquéfie, je me décompose, je retourne à la poussière puisque je suis né poussière. Un jour je vis, un jour je meurs, c’est ainsi. Organisme organique solide composé d’air et d’eau, les veines affleurant sous les nerfs de la peau. Bien reliées sous la ligne du cerveau et d’un cortex filant plus ou moins droit. Ce sont autant de routes qui fixent sur la pellicule du réel ce que nous sommes. Autant dire des vérités aléatoires perdues dans un monde précaire. Mais au moins NOUS SOMMES, puisque nous avons le mérite d’exister, d’attenter à nos jours, de couper le fil qui nous relie à la Grande Roue du Destin. De cette Mort intransigeante qui pèse sur nos destinées comme une épée de Damoclès. Mais la tête ? La tête ? Est-elle toujours bien solide et à sa place sur ses épaules ? Le regard droit plongé au fond d’un miroir, les yeux fuyants cherchant au loin une réalité qui sans doute ne viendra jamais. Oui ; à bien des égards il me fait devenir complètement fou à en perdre la tête définitivement, au sens propre comme au figuré. Et nul espoir de retour possible ! Les lignes que l’on franchit restent immobiles et silencieuses derrière nous. Comme interdites… Mais au fond, ce destin tragique et triste à la Maïakovski ; n’est-ce pas tout simplement ce que je suis venu chercher dans ces lieux obscurs et froids ?
XK
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