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Photo du rédacteurGabrielle Lisowski

– Comment allez-vous Victor ?

Dernière mise à jour : 29 mars 2022

"La Musique des phrases". Écrire (au maximum une page A4) après avoir écouté "Casta Diva" chanté par Callas, l'objectif n'est pas d'illustrer cette "pièce" musicale mais de travailler la musique de votre écriture. (consigne de Jean-Michel Devésa)


– Comment allez-vous Victor ?


Victor croisa les jambes. Il fixa longuement du coin de l’œil la dame à la blouse blanche, puis sourit. Il décroisa les jambes, pour les recroiser dans l’autre sens. Là il était bien. Ses doigts malhabiles voulurent gratter sa barbe, mais la camisole blanche les retenait. Victor soupira brièvement devant cet échec, puis ne fit plus rien.


– Vous me paraissez pensif Victor, quelque chose vous tracasse ?


Le trentenaire songea un instant. Il repensa au goût qu’avait le flingue qu’il avait utilisé sur Pierre-Emanuel Juste. Froid, ferme, rond. Cela lui remit une fois de plus un sourire sur la bouche.


– Vous ne semblez pas comprendre, c’est pour votre thérapie que nous avons ces sessions. Vous avez pleinement le droit de vous exprimer ici, pas de jugement.


Je sais, avait-il envie de répondre. Je sais, aurait-il dû dire. Je sais, regretta-t-il de n’avoir pas dit. Il songea une fois de plus, et se revit sur scène. Tout était imprimé sous son crâne. Il revoyait les jeux de lumière, ressentait la tension de la foule, entendait les murmures des spectateurs. Pierre-Emanuel devant lui, avant que sa tête n’explose en confiture de fraise. Le pistolet de jeu avait été remplacé par un vrai à la dernière minute. Pas pour sa vengeance personnelle, c'eût été trop beau. Pour le spectacle. Pour le spectacle de toute une vie et de plusieurs, cinq-cents en tout. A jamais marqués par le braoum du pistolet. Bien fait.


– Bien, je vois que vous ne semblez pas prêt à parler, on va remettre ça à un autre jour.

– Vous savez ce qui est drôle ?


La dame à la blouse blanche haussa un sourcil. Elle ne semblait pas comprendre où voulait en venir le patient. Elle prit la parole.


– Qu’est-ce qui est drôle Victor ?


Ce dernier ne répondit pas, et se contenta de sourire, un peu avachi. Les rayons de lumière filtraient à travers les rideaux grillagés, comme des gouttes de café passent le filtre de la cafetière. Il avait envie de répondre que la vie elle-même était drôle, qu’elle méritait un rire franc. Pourtant, il ne dit rien. Sans vraiment savoir pourquoi. Il souriait, c’était là la seule chose dont il était certain. C’était déjà ça de pris.


Il respira doucement, et prit une inspiration.


– Ce qui est drôle ? Eh bien…


Il se leva brusquement, du moins tenta. La chaise à laquelle il était attaché ne bougea pas d’un centimètre, elle était boulonnée. Lui resta assis, comme un idiot. Un nouveau sourire perla.


– Faites comme si je n’avais rien fait.


Il se tut, et l’infirmier le raccompagna jusque dans sa chambre. C’était la deuxième fois qu’il faisait une connerie de ce genre. Il aurait sans doute piétiné la dame en blouse blanche s’il avait pu. Refaire de la confiture de fraise sur ses chaussures. Ça, ça aurait été bien.

Une fois dans sa chambre, Victor s’endormit paisiblement, comme si de rien n’était. Un autre jour à Sainte-Marie, asile de son cœur.



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