top of page
Photo du rédacteurMorgane Sarmiento

D'or ou de mots

Dernière mise à jour : 29 mars 2022

"Carnation". Écrire au maximum une page A4 “inspirée” par La Grande Odalisque d’Ingres. (consigne de Jean-Michel Devésa)



« Dans leur palais, des volutes, de l’or, du bois ciselé. Partout où j’avance, des dalles recouvrent la terre battue. L’étoffe blanche de ma chemise s’amuse du peu d’air amené par les passants… du reste, la lumière est douce, filtrée ; feutrée. Je presse ma paume contre une porte en bois de rose. L’encens serpente dans la pièce, je clos la porte derrière moi. Un voile de soie rouge préserve ma vue, je m’arrête un instant, inspire, le soulève. Elle est là.

— Il vient d’entrer, attend quelques instants avant d’entrer. Je réajuste ma coiffure, pose mon regard… il me voit.

— Aurais-je dû être surpris ? Je savais que je ne rejoignais pas un ange. Ses yeux sont dévorés, son corps lacéré d’ongles invisibles… Elle est déjà sur le lit, elle y a ses marques. Je ne suis pas le premier homme qu’elle voit. Nous verrons ce qu’il adviendra.

— Il s’avance d’un pas, son regard embrasse la pièce, survole mon corps et se plante dans mes yeux. Il y reste de longues secondes. À son âge, pourrais-je être la première femme qu’il rencontre ? Pour l’inviter, je fais rouler mon pied le long de ma jambe, je laisse ma peau me caresser, une mèche de cheveu tomber de mon épaule… je baisse les yeux, déclenche un rire timide, les relève : je guette en lui une étincelle de désir. Il est de marbre.

— Je m’assieds sur le bord du lit, la forçant à me faire une place. Sa moue enjouée se teint d’un air altier : elle cherche à cerner mes envies. Face au mur d’entrée, je décide de ne pas esquisser un geste. Elle s’impatiente.

— Allons, laisse-moi te guider… au fil de mon inspiration, « au temps où les poètes étaient rois », je laisse venir mes mots… mes doigts remontent le long de son épaule, « était une jeune fille à la peau de porcelaine », s’aventurent au-dessus de sa chemise, « dont on disait que les caresses étaient de nacre », je sens… La porte est presque arrachée par des poings qui la martèlent. On frappe, fort. Je retiens mon geste dans cette peur archaïque qui me parcourt…

— Voici donc l’issue… la diplomatie a échoué.

— C’est la première fois que j’entends sa voix. Il se tourne vers moi, ma main est toujours posée sur son buste, il me demande : ‘Tu peux me faire sortir ?’. Il ne me supplie pas, ne joue pas non plus. Des cris nous intiment d’ouvrir, je dois agir. J’ouvre la porte dérobée, mène l’inconnu dans le couloir sombre en priant pour ne pas être suivie. J’entends le verrou sauter derrière nous, je presse le pas. Le combat dans ma poitrine couvre le son des bottes contre les dalles.

— L’humidité des parois assaille doucement le corps. Elle n’a même pas réfléchi avant de me guider. Il a fallu qu’ils arrivent maintenant… je l’aurais éloignée, pour l’écouter mener son histoire. Un cadre de lumière se découpe enfin, elle l’ouvre. Je suis plongé dans la clarté d’un vestibule inconnu, elle ouvre aussitôt une deuxième porte. Avant même de l’avoir compris, je suis encerclé par les roses de la cour intérieure. Elle me désigne le bout de la grille jouxtant le muret, fait volte-face, se précipite pour rentrer. Elle ne me donne pas une parole ni un geste de plus.

— Je ne crois pas mon poignet lorsque je le sens retenu. Je dois me retourner, voir sa main au-dessus de la mienne pour le croire : il me touche enfin. J’ai l’impression de plonger dans un lac givré. D’un souffle haché, il me dessine ses alliances politiques et son espoir de retour, loin d’ici. Pourquoi me raconte-il cela ?

— Je ne vais pas te laisser ici, dans les dorures et les pierres, si ce n’est pas la vie que tu souhaites.

— Il me libère, monte sur le muret, escalade la moitié de la herse et se tient là debout, au mépris des gardes qui affluent au bout de l’allée. Sur son visage grave, un sourire s’esquisse.

— Je viens d’un pays, loin d’ici… si tu le souhaites, tu peux venir le découvrir avec moi… c’est un pays où un poète est devenu roi.

— Il me tend la main, et tandis que les lames reflètent la morsure du soleil près de nos corps, il s'enquiert : ‘Tu viens ?’ »


3 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


​Envie d'en lire plus ?

Cliquez sur les mots-clés à la fin de l'article...
bottom of page