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Photo du rédacteurKama Datsiottié

Douche froide

Dernière mise à jour : 29 mars 2022

Une ville de bord de mer dans le sud de la France à la saison estivale, mise en exergue par une chaleur étouffante et un soleil de plomb. Aucun nuage dans un ciel étrange d’un bleu jaune enflammé. Une forêt de pinèdes qui ne demande qu’à prendre feu. Une route étroite serpentant sur les pans escarpés d’une montagne. Nulle voiture à l’horizon, ni aucun cyclotouriste assez fou pour risquer l’insolation. Des pins de bonne taille faisant tant bien que mal de l’ombre au bitume brûlant de la route. Plus près encore, un hameau de petites maisons de vacances toutes plus charmantes les unes que les autres. Il est midi, tout le monde est parti manger ou bien se terre chez soi, volets fermés dans la fraîcheur accueillante de leur maison. En définitive, c’est l’heure du déjeuner ou bien celle de la sieste et du farniente. Même les cigales sont parties manger, on les entend distinctement chanter à table la bouche pleine dans un vacarme ahurissant, à nous en saturer les tympans.

Au numéro 13 de la rue Bel Air, une allée bordée de palmiers. Des gravillons crissant sous les roues d’une voiture s’y engageant à faible allure et sous les pas d’un homme qui en descend et qui prend grand soin de ne pas faire claquer sa portière en la refermant. Une façade d’une maison blanche aux volets bleus, avec des faux airs de maison grecque ou marocaine, mais à coup sûr méditerranéenne. Zoom avant. Une fenêtre ou plutôt une petite lucarne entrouverte. Une voix de femme chantant. Elle a l’air heureuse et enjouée. Deux yeux somme toute indiscrets en empruntant la pelouse nettement moins bruyante que les graviers et en contournant les rosiers rouges.

Elle était là à prendre une douche revigorante, les cheveux mouillés et l’eau qui dégoulinait suavement sur son corps nu et blanc, comme une caresse de haut en bas jusqu’au siphon. Sa peau laiteuse comme de l’onguent, ou comme si elle avait passé de la crème solaire sur son bronzage invisible. De toute façon cet été elle ne bronzerait évidemment pas, ce n’était pas encore pour cette fois-ci. Tout au plus elle rougirait comme une écrevisse trop tôt plongée dans le court bouillon ou bien dans le grand bain. Crabe ou homard que l’on dégusterait avec de la mayonnaise et du pain avec du beurre dans les restaurants huppés du bord de mer. Le regard vide et perdu devant l’horizon infini de l’océan. Ou bien encore des coups de soleil mais sans les coups d’amour et de je t’aime qui vont avec, il ne faisait désormais plus aucun doute que Richard Cocciante avait menti. Le disque de ce dernier qu’elle écoutait tournait en boucle et faisait office de méthode Coué. Sauf que cela ne marchait pas vraiment...

Elle pencha sa tête en arrière et se remit du shampoing dans les cheveux. De la marque Ushuaïa, cela la détendit et la consola un peu. Il fallait se faire une raison. Jamais elle ne serait la pétillante petite brune incendiaire qu’elle avait toujours rêvé d’être, la peau brunie par le soleil, les cheveux raides et les yeux noirs comme des ailes de corbeaux. Elle ne serait ni Penélope Cruz, ni Eva Longoria, tout au plus serait-elle Cameron Diaz et c’était déjà pas si mal... Sauf qu’elle en avait marre de jouer à la bimbo blonde platine avec le QI d’une huître, elle en avait marre de tous ses gens qui la dévisageaient dans la rue et qui semblaient lui mettre une étiquette dessus.

Pour le coup elle maudit ses parents et ses impeccables cheveux blonds, pourquoi diable Dieu l’avait-elle faite si blonde et désirable avec son joli minois et ses yeux bleus comme la profondeur de l’océan dans lequel elle aimait pourtant souvent se baigner. S’y sentant comme dans son élément puisque ses parents semble-t-il l’avaient faite sirène. Mais là encore ni rousse ni brune, ni Ariel ou bien Méduse, mais bel et bien blonde comme les blés. Autrement dit rattachée à la terre. Les garçons forcément depuis très tôt lui tournaient autour, sans doute même un peu trop tôt, et à force elle était devenue lasse de refuser leurs avances. Si bien que désormais elle n’avait plus la force de dire non… Elle leur disait ainsi oui avec ses yeux résignés même si son cœur dégoûté disait non.

Soudain elle eut comme l’impression que quelqu’un l’observait de loin. À la dérobée. Un vieux pervers en manque sans doute qui se rinçait l’œil. C’est vrai qu’elle n’était pas dégueu à regarder, mais de là à se laisser mater par tout le monde et surtout par le premier venu il y avait une sacrée différence. Par instinct, elle éteignit l’eau, et tendit l’oreille. Elle entendit les propres battements de son cœur qui tapait à tout rompre, le sang affluait dangereusement à ses tempes, l’empêchant de penser et la livrant progressivement à la panique. Ne pas paniquer justement, garder la tête froide et toutes ses idées. Elle essaya alors de reprendre le contrôle de son corps, en le saisissant par la bride comme on arrête un cheval lancé à plein galop. Elle entendit alors son souffle chaud. Elle haletait littéralement, là encore elle fit un effort sur elle-même pour l’espacer de plus en plus et le faire moins sonore. Ses cours de yoga et de reiki finissaient par payer finalement, cela avait du bon, cela lui permettait de réguler ses émotions.

Sauf que, sauf que l’angoisse reprenait le-dessus. Elle entendit le bruit sourd d’un pas. Et un souffle qui n’était pas le sien. Comme un râle, et un peu plus rauque que sa respiration fragile de jeune femme asthmatique. « Y a quelqu’un ? » qu’elle lança alors comme pour mieux chasser les intrus ou bien encore les rôdeurs hors de sa maison. Nulle réponse cependant, juste l’écho de sa propre voix qui lui revenait entre les murs dissonants, humides et froids de sa salle de bain. Quelqu’un ! Un ! Un… Il est vrai que la maison de vacances qu’elle avait louée sur internet était relativement vide, et meublée à la mode zen. Si bien que les voix résonnaient et se répercutaient sur un mur ou bien sur un autre comme si chacun d’eux se renvoyait la balle jaune de l’inquiétude lors d’une partie de tennis. Elle se tut alors. Tendant l’oreille à qui mieux-mieux. Elle entendit alors le ploc-ploc d’un robinet qui faisait du goutte à goutte, sans doute celui de la cuisine qu’elle avait dû mal fermer.

Un bruit de verre cassé la saisit alors d’un terrible frisson et lui coupa littéralement le souffle. Comme un vase que l’on fait tomber au sol et qui se brise en mille morceaux. Il ne faisait aucun doute qu’il y avait quelqu’un chez elle. Le rideau de sa douche était tiré. Elle n’osait l’ouvrir de peur que ne surgisse de derrière un ogre affamé qui se jetterait sur elle pour mieux la dévorer. Elle regrettait alors de ne pas être dans le creux des vagues et dans son élément maritime, fluide de sel et d’eau perdue parmi des fluides aux compositions semblables. Au moins là, elle aurait toutes ses chances. Ici elle était livrée à elle-même et comme dans une impasse, comme si, petite souris, un méchant chat sadique l’avait acculée dans une souricière et s’apprêtait à lui donner le coup de griffe fatal après avoir pris plaisir à jouer avec elle ainsi qu’avec ses nerfs. Tout s’affola autour d’elle, elle perdit alors totalement les pédales. Elle semblait percevoir derrière le rideau de douche les contours obscurs et inquiétants d’une ombre de grande taille. Un violeur de passage ou bien sans doute un serial killer ! Son sang ne fit qu’un tour ! Ses idées s’embrouillaient bel et bien et étaient reparties au galop à crue sur le cheval sauvage et fougueux qu’elle avait pourtant réussi à retenir auparavant, sauf que la bride et la longe lui avaient glissé des mains. Ses mains tremblantes ne trouvaient devant elles plus que les crins invisibles de l’angoisse en se tendant avec peur et lenteur vers le rideau.

Un coup sourd maintenant comme si on tapait sur un carreau avec quelque chose de dur. Sans doute la lame affûtée et froide d’un long couteau. Elle en avait vu plusieurs dans les films de Hitchcock. Ça lui avait d’ailleurs glacé le sang et elle n’avait pu s’empêcher de fermer les yeux. Sauf que son petit copain de l’époque l’avait prise dans ses bras et ça l’avait rassurée. Elle se sentait protégée. Mais maintenant qu’elle était seule, sans défense et totalement nue dans sa salle de bain, elle regrettait amèrement d’avoir rompu avec tous les autres. Il était clair désormais que personne ne viendrait la sauver, ni aucun chevalier servant ni aucun bras musclé ! Au contraire, un bras velu comme une araignée allait s’apprêter à la dépecer. Dans le salon, elle entendit la voix de Cocciante avoir des haut-le-cœur lui-même sous l’effet de la tension. Ou bien sans doute le disque était-il rayé. Mais la musique tournait en boucle sur deux notes et dans une tonalité horriblement aiguë, à la limite de l’audible. N’en pouvant plus et fermant les yeux, terrifiée, elle ouvrit le rideau d’un coup sec. Elle les rouvrit et vit avec soulagement un corbeau tapoter avec son bec sur la vitre sur le rebord de la fenêtre de la salle de bain qu’elle avait laissée entrouverte. Elle était sauvée !


THE END…


> Inspiré par Alfred Hitchcock et plus particulièrement par Psychose et les Oiseaux...

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