Métagramme. Écrire une page (au maximum un feuillet A4) en usant du procédé décrit par Raymond Roussel dans Comment j’ai écrit certains de mes livres. Rédiger un texte incluant deux phrases identiques à l’exception d'un paronyme qui en change le sens. Puis "les deux phrases trouvées, il s’agissait d’écrire un conte pouvant commencer par la première et finir par la seconde." (consigne de Jean-Michel Devésa)
Recroquevillé près du galet qu’il vient de tailler, il observe le plateau inexploré. La terre aride à perte de vue inconnue, le laissant s’imaginer le nouveau monde, un ciel de possibilités et un océan de perles de vie, de bulles-univers. Plus que le rêver, il veut l’explorer, le monde. À travers ses yeux, à travers ses mains, ses pieds, chaque cellule de son corps cherche l’appel de la forêt.
Le jeune garçon lit, ça oui. Depuis tout petit. Des contes, des encyclopédies, des récits de voyages, des rapports, des carnets de bord, des romans de remords. C’est un nom que son plus proche ami, John, donne aux écrits d’univers inaccessibles, de vies irréalisées et irréalisables.
John, il en sait des choses sur la Terre ! Ça fait plusieurs décennies qu’il sert sa famille, alors forcément, il connaît tout. Et John, il l’a toujours dit. Ces livres, ce sont des foutaises. Ils racontent des fantaisies, des mondes fantastiques, recherchent des fantômes, c’est du vent. Il l’a souvent dit, que rien de tout ça ne dirait jamais la vérité, qu’ils remplissaient les enfants de rêves irréalisables, pour quelques sombres desseins.
John n’en parle jamais de ça. De ces sombres desseins. Il en regarde, des lettres, il en porte toujours une sur lui. Avec un galet gravé. Deux petites lettres, qu’il garde précieusement tout près de son vieux petit cœur. Tous ces écrits seraient faux ? Ces nouvelles terres de l’ouest, plus grandes que la vie seraient le fruit d’un remord inoubliable ? Une sublimation égoïste par l’abus de la plume à travers un papier qui n’avait rien demandé ?
Le jeune garçon se lève, prend son galet et se dirige vers le palais. À plonger toujours plus loin dans la mer d’encre, il finirait par démêler les fantaisies des vrais récits. À la vue du petit prince, les valets ouvrent grand la porte et l’accompagnent jusqu’à son but. Dix mètres tout droit, cinq à droite, traverser le corridor et deuxième porte à gauche, voilà la bibliothèque.
Les étagères à échelles lui ont toujours donné le vertige. Comment lire en une vie ce que les dynasties ont écrit dans plusieurs pays en mille et une nuits ? Mais il lui en a fallu moins d’une pour explorer les Indes, les nouveaux territoires de l’Ouest, les grandes terres d’Afrique et les îles d’Océanie.
C’est dans la bibliothèque qu’il a trouvé le livre d’un explorateur, une dédicace accompagnée d’un galet taillé:
«À mon père John, qui voit dans le départ de son fils l’échec d’un père. A toi papa, sans qui mon existence n’aurait pas ce goût de destinée. Merci »
Il remet en place la pierre, sur laquelle il grave son propre nom.
« Monsieur … ?... Vous voilà. Votre repas »
John se tient là, tout droit comme la justesse, plateau d’argent en main et assiettes de légumes accompagnés de pièce de bœuf. Il pose le repas à côté du livre et s’imprègne subitement des mots que son jeune maître a découvert.
La parole de l’enfant se délie pour la première fois. Angoisses, colères, peines, trahison, incompréhension, remords et espoirs y sont tous passés, tant que le vieil homme ne répondra plus jamais. Ils sont restés là, plusieurs jours. Le petit prince n’écouterait plus jamais les paroles de cet homme.
Recroquevillé près du valet qu’il venait de tailler, il observait le plateau inexploré.
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