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Photo du rédacteurMaxime Gelineau Coste

George

Dernière mise à jour : 29 mars 2022

“Lire en levant la tête” Écrire une page (au maximum) à partir (ou contre) ce syntagme : « Ne vous est-il jamais arrivé, lisant un livre, de vous arrêter sans cesse dans votre lecture, non par désintérêt, mais au contraire par afflux d’idées, d’excitations, d’associations ? En un mot, ne vous est-il pas arrivé de lire en levant la tête ? » Cette formule est tirée de Roland Barthes, « Écrire la lecture », in Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, (1984), Paris, Seuil, coll. « Points Essais », n° 258, 2015, p. 33. (consigne de Jean-Michel Devésa)


« Lire en levant la tête. C’est comme ça que tu auras des idées, que tu grandiras, que tu deviendras l’adulte voulu. La littérature est un art utilisé dans tous les arts. Tu le retrouves dans les livres certes, mais dans la musique, le cinéma et même dans tes jeux. Viens avec moi et je te montrerai. »

Ce sont les mots de mon grand-père, George. Je ne l’ai pas revu pendant six ans. A l’époque, je ne le voyais pas souvent, juste une dizaine de fois par an. On allait très souvent à la médiathèque, c’était à ce moment-là qu’il me disait de lire en levant la tête. Alors je levais la tête et voyais toutes ces étagères remplies de livres de tous genres, de films, d’albums. Les étoiles dans mes yeux brillaient de part cette beauté. Je rêvais, parlais de culture avec lui. C’était ma bulle d’air frais. Il pouvait être fier de son fils, notre séparation brutale venait de lui. Sa couardise a fini par tout réduire en cendre. Je venais de perdre ce qui était pour moi, l’être le plus cultivé de ma famille, celui qui m’a donné cet amour pour la culture en général, mon modèle. J’avais quinze ans.

Le jour de mes vingt ans, je feuilletais quelques livres dans une librairie. Tout en lisant, je levais la tête pour voir les autres potentielles acquisitions. Puis un simple mot m’intriguait. Dune. Directement je repensais à lui. Cinq ans plus tard, après m’être fait à l’idée que je ne le reverrai plus jamais, comme si le deuil avait été fait. Voilà que je repensais à lui. Pourquoi ? Il me parlait sans cesse de ce roman. Dune, science-fiction, mille pages, aventure, saga, épique. Ses mots me venaient en tête. Je me rappelais qu’il aimait bien la science-fiction et ce livre qu’il me vendait comme le meilleur livre de tous les temps, alors je décidais de me le procurer. Au fur et à mesure de ma lecture, je le comprenais. J’avais vingt ans.

La veille de mes vingt-et-un ans, j’apprenais qu’il n’avait jamais lu ce livre. Cela me brisa le cœur. Il me vendait ce livre à l’aveugle depuis le début, sans même avoir lu une page. La première de couverture avait dû l’intrigué. Ce décor rougeâtre et ces dunes de sable, cette tête humaine aux yeux entièrement bleus qui remplaçait le soleil et qui nous regardait. Il nous envoutait avec son regard. Ce regard qui nous disait « lis moi ». Je voulais y remédier. Alors c’est ainsi que j’avais décidé de lui offrir et d’aller le voir en personne, six ans après. Six ans sans de ses nouvelles, six ans sans qu’il sache ce que je suis devenu. J’avais encore vingt ans.

J’avais pris mon courage à deux mains et sonné à la porte. A quoi je pouvais m’attendre ? Serait-il content ? Voudrait-il me parler ? Peut-être qu’il n’était pas là. Toutes les questions les plus difficiles et angoissantes hantaient mon esprit et accéléraient mon rythme cardiaque. La porte s’ouvrait. Une personne courbée, tenue par une canne, paralysée de tout le long de son côté gauche. C’était lui. Il n’était plus que l’ombre de lui-même. Plus tard j’avais appris qu’en six ans, deux accidents cardio-vasculaires l’avaient impacté. Une larme coulait sur sa joue, on ne pleurait jamais dans la famille, mais ne jamais dire jamais. Une larme coulait aussi sur ma joue. Sa dégradation physique en six ans m’avait fait très mal et ses mots dits avec les sanglots. « Je pensais mourir sans jamais te revoir, sans même te parler une dernière fois ». La canne ne l’aidait plus, je le rattrapais par la main et le posait sur son fauteuil. Lui n’avait pas changé, toujours le même. Je lui offris le livre tout en expliquant la raison. Puis deux jours après, j’effectuais une autre visite. Une semaine plus tard un appel venant de lui pour me dire qu’il avait fini Dune. Puis chaque semaine un appel. Quelques visites en un laps de temps, jusqu’à récemment où nous avions vu Dune : Première partie. Première partie pour le film, mais nous grand-père/petit fils, c’était la deuxième partie.



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