Je suis
Humaine, face aux tambours des guerres et leurs enfants-larmes
Humain, face à toi
Elle m’a dit qu’elle était la rencontre d’une branche de vent et d’une fleur d’étoile. Je me souviens d’elle, empoignant la force des débuts, qui étire funambule les falaises d’hommes, rigole dans le précipice. De quand elle est rentrée, le visage couvert de larmes et de cendres. Face à elle, que faire d’autre ? Je prononce l’interdit : qu’as-tu fait ? Sa voix déchire l’air pour y tailler sa place : « J’ai fait un pas. Si je ne veux pas le défaire, il va me coûter le reste de ma vie. » Son regard m’intime de laisser le sac tomber de son épaule. « Je ne reculerai pas. » La peau du sac embrasse la peau du sol. Devant moi tout entière, elle n’a pas pris racine, elle a pris bloc. Un bloc de certitudes ; elle n’a fait qu’un pas.
Je l’amène à la chambre. Pendant la route le cuir se traîne, accroché à l’angle de ce bloc de femme qui avance. L’avancée faite bloc. Son regard qui dissipe la ville est un flot de pétrole : viscéral, coulant noir, il m’englue. Je ne parle plus, de peur de craquer l’allumette, incertain au fond de savoir si c’est elle ou si c’est moi qui en finirait brûlé. La porte s’ouvre, elle pose le sac contre le radiateur, ouvre le tuyau de la douche, disparaît. Je m’assieds dans le canapé sans défaire mes chaussures. Je ne comprends plus rien. À quelques pas, le sac me dévisage. Ce sacrilège, l’ouvrir… pourrait-elle le savoir ? Il faudrait être fou. Ce serait toute la forêt qui prendrait feu… Non, le risque est trop grand.
L’eau coule sur ma peau d’humaine, ruisselle dans mes yeux d’humaine, s’infiltre dans ma bouche d’humaine, humain, et je me demande pourquoi je suis allée, humaine, humaine, derrière ce béton plâtré. Un sac, à la main, le temps, attaché ; et le soleil qui s’étirait d’un bout à l’autre des deux mondes, indéfectiblement. J’ai voulu être le soleil. J’ai porté mes tripes, mon sac, mes yeux d’humaine, et je suis partie, avançant liquide et bloc, au-devant comme le soleil. De ma peau d’humaine, d’humaine… j’ai vu des tripes, tripes de fer et des côlons, côlons d’albâtre répandus dans la poussière, poussière terre. C’était ma peau d’humaine, d’humaine où coule l’eau où ont coulé les larmes ; les miennes/les siennes. Je l’ai rencontré quelques mains après.
Jusqu’alors j’avançais comme si j’étais immortelle. J’avais l’euphorie des corps défaits, du cordon, toujours rattaché mais depuis longtemps dévoré parmi les loups. Et puis ce fut ma rencontre avec le premier corps de chair. Il reposait, rêvait là, infini, éternel, et ses rires qui ont coulé sur ma peau cachaient ses larmes d’enfant, de crocodile tapis sous la peau du fleuve, à peine écorch… et sa peau d’humain était comme ma peau d’humaine, d’ailleurs il m’a appelée « Humaine, humaine ! », alors de toute ma peau d’humaine je lui ai souri. Ses yeux étaient deux noisettes épargnées par les écureuils, il m’a sauté dans les bras et les flaques sans eau se sont mises à briller sous le soleil d’après l’albâtre ! « Humaine, humaine ! » qu’il disait avec ses mimines collées sur mon visage.
Et puis il a sauté comme un oiseau, comme s’il avait entendu une cigale le défier, alors il m’a tendu son trésor, soigneusement gardé, puis s’est mis à pépier : « ‘Vais voir maman ! ». Je l’ai laissé partir avec une larme d’humaine, humain, humaine et j’ai glissé la trousse dans mon sac, et j’ai glissé mon sac sur mon dos, et c’était tout. Même peau qui reçoit l’eau ou qui reçoit les larmes. J’ai appris à vivre pour un enfant-fleuve, noyé sous ses larmes-crocodiles. Quand je suis revenue l’homme était là, bloc troué, presque effacé et presqu’enfantin, je voulais lui demander « Qu’as-tu fait ? », mais qu’importe il m’a recueillie jusqu’à l’eau qui coule, s’écoule hommage sur l’humaine aux fleuves, rouge.
L’eau coule depuis bien vingt minutes. Le sac n’a pas bougé. Je ne tiens plus, à le fixer : il faut que je sache, que je l’ouvre. Chaque minute où j’hésite est une minute qui me rapproche de sa sortie, pourtant j’hésite. Le danger grandit avec le besoin. Je ne peux que grimacer au son que fait le canapé quand je me lève. Je suis devant le sac. La fermeture argentée est tout en bas. Je ne réalise qu’à moitié que l’eau ne coule plus. La poussière sur le sac m’agresse, j’essaie d’éclaircir ma gorge tout en tirant le minuscule zip. Le sang tambourine à mes oreilles. Je ne me rends pas compte que je n’entends pas.
Le trésor ! De ma peau d’humaine, humaine je sors de l’eau, attrape un linge bien trop blanc, blanc pour humain, rouge d’humaine. J’agrippe le sac, peau contre peau — on n’ouvre pas un enfant — et l’amène ventre contre peau au pied du lit. Dos au mur, son trésor contre moi, je le sens qui bat. Qui bat ! Sur le haut du lit, des sillons gris où se réfugier : je me regarde plonger. Le long de chaque ligne, des ronds comme des cellules d’or s’écoulent. Du sable dans un désert de temps. Ils filent leur destin en petites bulles, fleuves et circonvolutions, ils filent.
Je n’ose regarder à travers la porte entrouverte. Mes mains tremblent encore de surprise. Mais elle est bien là, dans la chambre, je ne vais pas avoir peur d’elle… Elle est recroquevillée sur la moquette, une simple cape blanche sur la peau. La couleur du tissu éponge la fait presque disparaître contre le mur ; ses yeux oscillent au-dessus du lit. Elle ne va pas bien. Je n’ai jamais été préparé pour réagir à ça.
Contre l’encoignure de la porte, il est venu m’arracher aux sillons du lit. Aux mystères de la vie qui se dessinent devant moi. Je vois les cellules couler, irisées du soleil qui n’arrive pas jusqu’ici. SOLEIL ! Il tremble. Qu’il tremble. Je ne le laisserai pas toucher aux soleils. Cette fois-ci je plonge, sans reprendre ma respiration, je plonge plus profond. Percer la peau de cette tristesse-crocodile depuis l’intérieur ; enfant-fleuve.
Elle s’est levée, d’une main elle tient le sac comme un nourrisson, de l’autre elle étend les doigts et marche, bloc terrible, jusqu’au bord de l’armoire. Elle agrippe la première pile de vêtements et l’envoie valser par terre : « Le soleil qui s’infiltre partout, et ici il n’arrive pas ? » Sa voix tremble autant de peur que de colère, elle plonge de nouveau sa main dans l’armoire, déloge la deuxième pile puis la tire, jusqu’à éparpiller les vêtements dans l’air. « On ne pense qu’à ça ! Et eux n’ont que leur peau », ses doigts s’enfoncent dans le tissu, « ILS N’ONT QUE LEUR PEAU !! » et le bruit métallique des fermetures entame le parquet. C’est une lionne qui me fixe au milieu des corps défaits. Des manches ployées, des jambes écartelées. Elle s’effondre sur le sol, et tout à coup sanglote : « Ils sont là, cigales ou écureuils, ils chantent ‘humaine, humaine’ comme le soleil… Ils chantent comme des oiseaux, qu’importe aux fleuves si les oiseaux chantent…? »
Son regard m’a laissé cloué. Elle a attrapé mon téléphone, ouvert les réseaux en tenant toujours le sac contre elle, puis elle a regardé les nouvelles du monde entier. Je n’ose pas bouger, même engourdi jusqu’au cou. Devant ses yeux en larmes défilent les tsunamis et les coulées de boue, les prises d’otages, les attentats, les appels à la haine de dirigeants lointains. Il y a les corps montrés et ceux que l’on ne montre pas, qu’elle regarde défiler tous d’une seule vague. Le pus de l’humanité. Et moi ? Moi, je suis censé l’enfermer pour qu’elle arrête de le boire ? De l’eau. Je gagne la cuisine, prends un verre. Le bruit du robinet ouvert couvre ses larmes. Mon regard s’étire vers la fenêtre : que vais-je faire d’elle ? Les minutes s’écoulent : que vais-je faire d’elle ? Un oiseau passe. Je prends conscience que je ne l’entends plus depuis un moment. L’eau, le verre, la fenêtre, le désespoir, l’oiseau. Le verre éclate sur le carrelage, je me vois courir vers la chambre : pas question qu’elle devienne un ange. Mais non, elle est assise dans la pièce, silencieuse. Elle vient d’enfiler un vieux jean avec un sweat troué : ce qu’elle imagine qui ne me manquera jamais. Sur son visage à contre-jour, elle a séché quelques larmes. Le sac attaché sur son dos, elle se lève, me contourne. Elle ne me regarde pas quand elle murmure « Enfant-fleuve », et qu’elle part.
La sidération commence à s’estomper, mais un frisson amer la remplace. Je retrouve la cuisine, le verre éclaté. Le sac a laissé une trace devant le radiateur. Peu importe vers quoi je me tourne, je ne vois que ça… tout comme je n’entends que le faible grincement de la porte de la chambre qui vient d’être fermée. J’enfile des chaussons, me sers un deuxième verre d’eau en faisant crisser celui qui est par terre. Je bois, simplement. À chaque gorgée le temps m’écrase un peu plus. Elle est partie, c’est son choix. Ce n’est plus mon problème. Je m’installe dans le canapé : ce n’est plus mon problème.
*
Les murs de brique défilent devant mon regard. Gris uniforme. Cette fois-ci le frisson vient du vent : le soleil est voilé. Je sais que je n’aurais pas dû craquer. Mais j’aurais pas pu rester dedans, faut au moins que je la cherche. Une boîte aux lettres taguée, deux rues et trois lampadaires plus loin, je refais mon lacet sur un banc. Mes pensées osent se dirent : au fond je ne crois pas que je la retrouverai. Je suis parti pour me donner bonne conscience, c’est tout. La vision du banc prend l’eau. Son regard de fauve a déchiré quelque chose en moi… peut-être l’innocence que je lui avais toujours prêtée. J’étais pas préparé. La fragilité a sorti les griffes, et moi je suis resté scié muet… Des pigeons passent. La boucle intacte de mon lacet trône sur le banc depuis trop longtemps, les gens commencent à me dévisager.
Le monde coule sur ma peau d’humaine, ruisselle sur mes mains d’humus, s’infiltrent dans mes lézardes de briques, humaines. Bloc émietté au vent. Mes pieds avalent les pas, je regarde les tâches noires envelopper les sombres gris. L’Humain a caché ses couleurs. Sur ses maisons carrées des mots placardés qui effacent d’autres mots, partant en lambeaux de papier qui ne répondent même plus au vent. Je file la route qui n’a pas de fin. Sur la boîte à mots, des gribouillis rouges et blancs. Une goutte qui tombe de la rivière des toits. Deux envolées de maisons rangées, trois arbres à lumière, je scrute les barres d’un réceptacle à corps. Il faut que je décode le message : « Pourquoi les fleuves ? ». Le faux silence du banc est tout ce qu’il me répond. Mais rien… rien ne me dit comment, comment sortir les enfants du fleuve ? Et mon cœur se serre à la barre, pour en déchiffrer tous les écrous et le métal en dedans. Déchirer les poutres et la peinture. J’ai envie d’hurler, inutile mère, le besoin de les rappeler à leurs larmes alors que les crocodiles rôdent : ENFANTS-FLEUVES !
La rue sent la sciure et le sel. Ça m’assaille les poumons. Au loin les voitures klaxonnent, les gens s’agitent devant les boutiques. Humains qui pleurent, humains qui cherchent leur genèse hors du cœur. Mélange de poussière et de pollution. La crasse accrochée aux caniveaux rabat mes semelles. Où est le pont ? Je croise deux vieilles femmes qui refont le monde en me chassant du regard. Sur le fleuve-larmes, où est le guet pour les attraper ? Cette journée est interminable. Je me retourne sur chaque bruit de pas, je guette chaque silhouette. Ils coulent, coulent s’écoulent avec l’eau. L’habitude me gagne, je sursaute chaque fois un peu moins, je ne m’attends plus à la voir. Vous les avez vus vous aussi ? Les enfants qui cachent les crocodiles sous leurs rires ? Alors où est le guet pour les rattraper ? Je ne la trouve pas. Dites, comment puis-je les aider ? Je ne la trouve pas bon sang, et ça ne m’inquiète même plus. Dites… C’est la fatigue, comment sauver c’est la fatigue qui veut ça les enfants… Tu pourrais être partout. Laissez… Une femme est là laissez-moi , on dirait qu’elle dites-moi comment s’est perdue. Elle… comment les sauver ? Un oiseau chantonne. une noisette tombe devant moi . La femme disparaît au coin de la rue que le soleil , perçant la grisaille, vient de sauver.
Tu vois comme moi ? Je saisis son tintement ricochant sur les murs. Il est là, le mur. Devant moi il se dresse, après les pas perdus, et le soleil parti se cacher. Mon cœur a envie de pleurer sous une peau de fleuve, comme l’enfant, des larmes de crocodile qui transformeraient la poussière en terreau. Et le terreau en paix comme le soleil, qui s’étirerait d’un bout à l’autre du béton. Éternel étiré. Mes pieds heurtent le sol trop parfait de la rue, les pavés bien vissés, au milieu des passants qui ne font qu’avaler. La toute-colère est retombée, je m’abrite de mon regard contre le mur, et je pleure.
Le ciel se délave jusqu’à mes pieds, je ne peux que baigner dans leur misère sans remuer. Je sens que ça me rentre par le nez, que ça inonde mes poumons, j’aimerais fermer mes yeux, mes oreilles, mes mains à cette horreur. Pas au monde qui m’entoure, mais à moi qui ne peux le changer. J’ai l’impression d’entendre ses rires qui cachent ses larmes, dans les miennes de sentir ses petites mains couler et couler sur mon visage. Comment sauver les enfants-fleuves ? Je m’avale dans mon propre gouffre. Un tambour gronde la guerre et je ne veux pas entendre. La surface est si loin maintenant que la lumière ne me parvient plus, et voici que sur mon épaule se pose sa petite main de pluie, je relève la tête et je le vois à quelques centimètres de moi, le visage barbouillé de soleil, qui me réveille doucement « humaine ? humaine ? », et le frisson qui parcourt ma peau s’étiole, ma vue s’embue avec ma tristesse, je murmure tout ce que je ressens et il m’écoute, et me prend dans ses petits bras, avec ses vibrisses de chat qui frissonnent sur mon cou. Il me laisse pleurer longtemps, le temps de vider toutes mes larmes, et lui qui est un fleuve n’ose pas même déverser une larme lorsqu’il annonce : « ‘Trouve pas maman. Humaine, ‘as vu ma maman ? » Que pouvais-je répondre à son souffle effleurant la peau du fleuve ? J’ai attrapé sa petite main et lui ai dit : « Ta maman est partie. » Il a serré ma main, et je crois qu’à ce moment-ci il a compris. Dans un dernier élan de courage, ravalant les larmes de ses deux yeux, il a lancé « On va la voir ? » Oui. On va la voir.
Alors mes larmes reviennent, je ne peux plus ne pas entendre le son des tambours qui marque ce que je ne nommerai pas. Un peu maladroitement, l’enfant écarte une mèche de mon visage sans me lâcher, puis il sourit, et cela nous rassure tous les deux. Je lui ai promis que tout allait bien se passer. J’aimerais tellement, petite noisette… mais regarde-moi. Je n’ai rien pour faire fuir les crocodiles et te ramener à ta maman. Je ne suis que moi. Je ne suis que moi. Il se met à chantonner, sans écouter le bruit des tambours, et sa voix recouvre notre peur. On se tient ensemble, il me ramène le sac devant moi et ensemble, on l’ouvre. On l’ouvre tout doucement, comme on manipulerait un nouveau-né, et on cajole notre petit frère à nous. Après le sac, la trousse. Je sens qu’il n’a pas besoin de m’appeler, je sais qu’il me parle quand il chantonne… on ouvre le trésor, un rayon de lumière se révèle un instant… il fait briller le mica d’une petite pierre tout contre les restes d’une gomme et les crayons de couleur en pagaille. Il y a un feutre, rouge, qu’il me met dans la main et doucement, il referme un à un mes doigts par-dessus. On pose la trousse, il me sourit en dévoilant son adorable trou laissé par une dent qui pousse. Il murmure « Humaine… » puis recule d’un bond, prêt à rire, et se dissipe dans un ruban de vent jusqu’aux dernières secondes de sourire. Dos au mur je sens mon cœur qui bat la chamade, la pluie encore humide sur mes joues, le tube de plastique rouge serré dans ma main et la poussière qui s’envole un peu plus terre.
Je me lève et ça vient de mes entrailles, j’élève le crayon dans les airs, puis l’appuie contre le béton du mur. Les tripes de fer et les côlons d’alb… non, se lève le soleil d’après l’albâtre. Je sens vibrer contre ma paume la dernière pulsation de l’enfant. S’élève l’hommage rouge.
Le féminin s’étire, les fibres sang s’appuient sur la peau du mur. Le ciel se met à parler. Elle dit, et le chant reprit… trace courbe, un bouillon de sang du dedans, la larme, et des tambours commencent à s’élever eux-aussi. Les tambours viennent de ce côté du mur, ils pulsent un rythme trop fou pour être lent, chacun est une déchirure, et la main contre le mur trace. Trace le crayon sur le mur au premier battement de tambour. Trouver un cœur pour le premier rêveur en paix qui cherche le repos les étoiles.
Du bout des doigts dans la poussière-terre, du ciel qui s’effile à la pointe du feutre… Et le premier cœur bat sur le mur, je le sens pulser hors du crayon, il vit là, infini, éternel ! l’infini… le tambour reprend, je me glace et trace : deuxième cœur. Les rêveurs n’ont pas d’autre nom que celui du tambour, qui se met à chanter leur chant, et je m’émerveille de voir des cils papillonner sur le mur, derrière et tout autour. L’encre coule, s’écoule rouge, donne vie aux vies perdues. Le rythme saccade, se rompt et reprend, dans ma poitrine se brise, troisième cœur sur le mur. Mur, main, mine, et danse l’encre des genèses humaines hors des corps humains. Hors des corps sous les étoiles avec le soleil. L’entends ? L’entends ? la main trace aux rires d’enfants coulant rouge. Rattrapez-les. La main s’écorche sur le mur, elle crie et je pleure, le tambour foudroie. Foudroie.
Mais la folie tambour s’écrase et s’écrase, le rythme s’effondre en précipices, je le regarde s’effondrer et ma main trace et trace, vite, plus vite, les cœurs à l’encre sur le béton. Les cœurs manquent, ceux là-bas s’effondrent, ils ne chantent plus, ne chantent plus le soleil la joie la tristesse, ils s’éteignent et cherchent un nouveau cœur où s’abriter. Protéger. Au rythme, protéger, la cadence de la foudre, des éclairs et feu. Humaines, humains. Le tambour me retourne, troue mes viscères jusqu’à ma gorge qui ploie en sanglots. Les cœurs ! faire battre les cœurs, tarir le tambour à son fleuve… je ne peux pas. Ma main tremble cette frénésie qui sait. Les cœurs s’éteignent, je ne peux pas tous les faire vivre. Je n’ai pas la force. Trop de cœurs, trop peu de murs, de mains, de mines pour tous les réfugier. Tous réfugier
)En;FA’ntS ¡FLeUvE/s !!
La mine chute dans un silence horrible. Le tambour s’est tu. Mon corps ne tient plus, la peau d’humaine caresse la peau du sol, et mon encre couleur de crayon la parsème de petites étoiles. Ma vision s’étiole, mes mains tentent d’arracher ma carcasse d’existence et je sais qu’elles ne sont qu’une caresse face à tout ce qu’ils ont connu. Et je sais que je ne sais pas à quel point ils ont connu des mains plus douces que les caresses les cueillir. Je ne sais pas, je n’entends que ce tambour qui ne se bat plus en moi, ce tambour des cœurs perdus, des encres vidées, des sacs ouverts. Il se met à pleuvoir…
Je revois son regard, l’enfant rêveur qui m’a caché ses crocodiles sous ses larmes. Ses yeux étaient deux noisettes épargnées par les écureuils, il cherchait sa mam… Écureuil. Bonjour, écureuil. Alors ça y est, tu es venu ramasser ses yeux-noisettes ? ne me le dis pas, viens mon ami. Tu sais, ce sont peut-être tous déjà des étoiles… Le ciel se met à chanter avec moi, tu les entends hurler aussi ? Si tu savais comme j’ai envie de les retrouver. De te chasser, leur dire que ce n’est pas vrai, les secouer et les réveiller tous. Ce n’était qu’un drôle de rêve ! tu peux venir, écureuil. Tu peux, regarde-les… in(fin:is,, im’mor!tels….
C’est fini. Il pleut ? Le noisetier perd une feuille encore verte. La météo se détraque. Non, l’orage arrive. Le vent est plus fort depuis tout à l’heure. Elle a disparu. Je vais faire autre chose. Je m’en vais, ailleurs… non, soleil ! Attends !… Me voilà qui parle au soleil. C’est ce qu’elle, elle ferait. Fini les « je dois », si je vais la chercher, c’est parce que je le choisis. Je suis mes choix. Dans mes tympans, ça pulse fort. Lentement, mais pas comme le sang. Je sais pas, c’est comme plus… caché au fond. Les gouttes s’écrasent sur les tuiles sans grand bruit, je me sens brouillé. Enivré, mais je sens surtout que je perds pied. Le noisetier sous le rayon de soleil, la pile de corps de tissus, son regard de fauve. Tout se mélange, ma tête ne pense plus clair. J’entends juste le tambour battre fort et vite, pulse rouge. J’ai peur de la trouver elle. De ce fond qu’elle excave sans fatigue de moi. Qu’elle me dérobe encore mon sol bien certain d’un seul regard de lumière.
Je blottis ma chair contre ma chair, lovée contre le mur râpeux, je laisse le fleuve couler. Sur tout mon corps, par tous mes yeux et toutes mes bouches, je laisse couler le fleuve dans les larmes crocodile. Humaine, je suis humaine. Le bruit me transperce les oreilles, Humaine, je suis humaine. Je tremble de la trouver, je n’ai pas de solution à sa détresse. Ni à la leur. Je ne peux pas lui dire quoi faire, je l’ignore. Je l’ignore, je n’ai pas ta solution ! Je t’en prie, apparais. Apparais ! Oublie ce que tu as vu, reviens. Repasse le mur, défais ton pas, reviens avec moi… Qu’est-ce que… Humaine, je suis humaine. Un écureuil ? Il s’enfuit et je m’élance ; le soleil, la pluie, quelques grains de béton, et les tambours qui me rendent fou s’arrêtent enfin. Mes yeux s’accoutument, il n’y a pas d’écureuil, juste la ville, et pourtant. Acouphènes ; je la vois.
Le fracas des Hommes au son des tambours
Celle qui dit être née d’une branche de vent et d’une fleur d’étoile
Irréel du feu des cœurs qui s’étiole, et s’étoile
Femme qui tend l’hommage
L’écureuil grimpe sur mes genoux et me fixe de ses deux grandes billes noires éclatantes de vie. Il semble me sourire, alors dans toutes mes larmes je lui souris aussi. Il fait quelques bonds en arrière puis passe dans une lézarde vers l’autre moitié du mur. Sous les cœurs sur le mur. La pluie cède au silence. Même mon cœur ne veut plus battre l’air. Les perles de lumière ruissellent le long de la route, et je sais que là-bas le cercle de peau est encore tanné sous les coups. Mais mes mains ne peuvent pas recueillir tous les espoirs naufragés. Le fleuve qui passe par mon corps ne s’est pas tari, je ne cherche pas à le cacher sous les rires ; ce n’est plus important. Acouphènes ; je la vois. Elle est roulée brouillée contre ce grand mur béton. Des dizaines et des dizaines de cœurs rouges se tapissent sur le mur et sous sa peau. Elle pleure des larmes qui ne lui appartiennent pas.
L’homme est arrivé. Il s’approche de moi, ne me rassure pas, ne me parle pas. Il ne me console pas car il sait le fleuve aussi fort que les enfants. Il défait sa veste et m’enveloppe à l’intérieur, il saisit la trousse et la glisse contre moi. Puis il ramasse le crayon. La dernière pulsation de l’enfant. Il l’étend dans les airs vers le mur, et alors que ni lui ni moi ne sommes capables de suivre le rythme du tambour, j’entends la mine dessiner sur le mur la trace courbe en bouillons de sang. Mon corps a pris le dessus. La femme est là, elle relève la tête et me voit. Ses yeux-larmes semblent avoir trouvé leurs irisations de soleil. Sur le mur il trace un cœur plus grand que tous les autres, un cœur de la taille réunie d’une poitrine d’hum… Il referme le cœur afin que la vie s’écoule à l’intérieur, puis inscrit dans le cœur : « Ceci est un cœur servant de cœur à tous ceux qui en cherchent un nouveau. » J’entends son cœur qui se remet à pulser sous le torrent de larmes. Le pont. Le pont du fleuve loin des crocodiles. Finis les pleurs sous les rires. C’est le guet. Le crayon dans la main, il se retourne et me sourit : « Tu appelles ça comment ? » Ses lèvres tremblantes dévoilent un sourire, ses deux mains serrent la trousse comme une bouée, elle me répond de sa voix couleur soleil : « L’hommage rouge ». Je rebouche le crayon et le glisse dans la trousse d’enfant. Juste l’accueillir. Branche de vent et fleur d’étoile. L’homme a rendu le rouge aux couleurs de l’arc-en-ciel. Il inspire l’air frais à pleins poumons, les yeux bercés dans l’horizon, puis il atterrit à côté de moi. Avec chaleur il me tend sa main rougie par l’encre, et c’est son cœur qui parle à mon cœur quand il demande : « Tu viens ? »
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