Écrire (au plus) une page (A4) en commençant par la formule empruntée à André Breton : "il me fait jouer de mon vivant le rôle d’un fantôme" (dans "Nadja"). (consigne de Jean-Michel Devésa)
Il me fait jouer de mon vivant le rôle d’un fantôme. Ton souvenir. L’image de toi que j’ai gardé en moi. Il me contrôle, il me possède. Ton souvenir. Sans toi je n’y arrive pas. Tout ce que j’ai, je n’en veux pas, parce que toi, je ne t’ai pas. Il ne reste que ça, ton spectre qui ne me lâche pas. Je le porte en moi comme le poids lourd d’un ciel qui retient sa pluie.
Tu es la Dame Blanche de mes nuits noires, je tente de crier ton nom pour t’exorciser mais la vérité c’est que lui aussi, il reste toujours coincé. Un cauchemar qui ne s’arrête pas. Avant toi, l’occulte, je n’y croyais pas jusqu’à ce que tu reviennes me hanter. J’ai continué de marcher, d’avancer, en vain, je ne fais que sans cesse m’arrêter et me retourner. Je ne vois que par la caresse brûlante que tu as laissé sur ma joue, sur mon bras, sur mon ventre. Par le souffle que tu as glissé dans mon oreille, dans ma nuque, dans mon cœur. Je suis marquée au fer rouge de tes doigts, de tes lèvres, de tes mains qui furent jadis sur moi. Te porter en moi, c’est me donner une raison d’exister car depuis ton départ, je me languis de retrouver les jours d’été.
La rue porte ton empreinte, j’ai continué à te chercher, de sonder chaque regard dans l’espoir de t’y retrouver, de chaque parfum pour t’y respirer. Tout à coup, je te vois, là-bas, silhouette parmi les silhouettes. Je suis certaine que c’est toi, oui, c’est ça. Je cours, je cours jusqu’à te rattraper mais tu avances trop vite, tu es déjà en train de me semer. Je redouble d’effort, j’ai mal au cœur, j’ai mal au corps, je suis certaine que c’est toi. Tu lévites au-dessus du sol, tu caresses le bitume de ton passage. Ne vois-tu pas que je suis dans ton sillage ? Puis tout à coup, je m’arrête. Je t’ai perdu, tu as disparu.
Le sablier du temps égraine son sable pour t’emporter loin de moi. J’ai peur, j’ai froid. Je parcours le désert de mes pensées pour sans cesse te représenter mais tu t’évapores. J’ai soif de te retrouver mais le mirage de ton visage se dissipe jusqu’à parfois même, être remplacé. J’en oublie la couleur de tes yeux, la façon que tu avais de me regarder. Et tes cheveux ? Étaient-ils courts, longs, rasés ou frisés ? Souviens-toi. Les minutes chevauchent les secondes, le temps continue de s’écouler et moi je désespère de retrouver le fantôme de mon passé.
Et puis il y a cette voix qui me répète comme un mantra, un disque rayé, « souviens-toi ». Mais je n’y arrive pas. Souviens-toi. J’essaie, je me force à continuer de te représenter mais le temps est un joueur avide qui a gagné sans tricher, il m’est impossible de me remémorer. Ton souvenir est en train de m’échapper.
Je suis fatiguée de me rappeler, de continuer à t’aimer et de te chercher. Je ne me rappelle plus la dernière fois que j’ai mangé, la dernière fois que je me suis lavée. Ma dernière cigarette termine de se diffuser. Je suis incapable de me regarder, de m’habiller, de me lever. Je crois qu’on ne se souvient même pas de moi, en tout cas, pas de la même façon que moi, j’essaie de me souvenir de toi. Je me suis moi-même oubliée, effacée de la vie pour vivre une illusion qui prend une allure d’éternité. La personne que j’étais, la flamme qui m’animait, tout ça, ta chimère me l’a volée. Je suis le gouffre dans lequel j’ai trébuché.
C’est là que j’ai réalisé qu’il était peut-être temps de me réveiller.
Que le fantôme, ce n’est plus toi.
C’est moi.
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