"Écrire (au plus) une page (A4) en commençant par la formule empruntée à André Breton : "il me fait jouer de mon vivant le rôle d’un fantôme" (dans "Nadja")." (consigne de Jean-Michel Devésa)
« Il me fait jouer de mon vivant le rôle d’un fantôme » songeai-je alors que je sortais du cabinet de notariat Perry. L’oncle dont j'avais hérité avait eu un goût des plus singuliers en ordonnant que celui – ou celle à tout hasard – qui voudrait obtenir ce qu’il restait de sa fortune s’enferme dans son caveau, à ses côtés, pour une durée de trois-cents jours. Sans doute craignait-il la solitude qui lui était réservée.
Je n’ignorais pas qu’un tel procédé, aussi macabre fut-il, relevait de la parfaite légalité, et qu’il me faudrait en conséquence jouer au jeu de Nataniel Winters. Cela me parut dans un premier temps des plus surréalistes, aussi niai-je cette idée farfelue. Mais, devant la grande et impérieuse nécessité de me soulager de mes quelques dettes de jeu mal venues, je finissais par lâcher prise, d’accepter de me prêter au défi malencontreux de mon oncle.
De ce que je savais, la procédure était simple : sa domesticité venait ouvrir le caveau deux fois par jour, pour apporter de quoi boire et manger, ainsi qu’un seau destiné aux commodités -ledit caveau se trouvait sur le domaine familial- et apporter régulièrement de quoi se raser et changer ses vêtements. Cela me parut tout à la fois étrange et pratique, aussi fermai-je les yeux sur ces étonnantes façons d’agir.
Je postulai dès le lendemain de mon entretien avec le notaire et fus infiniment soulagé de constater que personne ne m’avait devancé, alors même qu’une annonce au sujet de cette affaire avait été rendue publique par un des journaux locaux, le Daily Motion. Cela me procura quelques joies et soulagements bienvenus.
Le notaire, Henry Perry, signa le contrat que nous avions alors établi au sujet de l’héritage et des trois-cents jours de simili-prison, et mon rôle de spectre débuta l’après-midi même. J’eus le loisir d’observer la demeure familiale un court instant, ce qui me conforta dans mon désir d’hériter : jamais je n’aurais pu rêver pareil logement de ma vie. L’autre logement, celui dans lequel j’allais bientôt être enfermé, me plût déjà moins bien. Bas de plafond, et d’une superficie de dix mètres carrés, l’attente qui n’allait pas tarder me parut déjà insurmontable. Aussitôt, mes dettes revinrent hanter mon esprit, et la peur naissante mourut, pour un temps du moins.
Je m’allongeai sur une couverture adossée au socle de granit qui soulevait le cercueil de verre de Nataniel Winters. Je me soulageai l’esprit en songeant qu’au moins, le dernier lit de mon oncle était recouvert d’un large drap noir, qui ne laissait rien voir. On m’avait assuré qu’à cause de la nature spéciale du cercueil, ainsi que du traitement particulier du corps, aucune odeur ne s’en échapperait, ni du mobilier, ni de l’objet funeste qui s’y trouvait.
J’attendis longtemps, très longtemps. Alors que je regardais le cercueil, une pensée froide me traversa l’esprit : et si on m’avait oublié ? J’attendis, encore et encore, passivement, dans une crainte mêlée d'appréhension. Cela me parut d’une longueur invraisemblable, les murs se rétrécissaient à vive allure, le socle de granit à l’inverse enflait comme un bouton d’adolescent, et le cercueil de verre se rapprochait dangereusement de moi, me confinant dans un espace de plus en plus étroit.
J’allais attendre bien longtemps : la domesticité avait été renvoyée sur ordre du maître de maison, sans que personne ne soit au courant. Prisonnier d’un caveau de pierre sans personne pour venir me nourrir et me faire boire, j’en fus désormais réduit à la nature même de spectre, parcourant de mes yeux vides les lignes de mon cadavre tordu par la faim et la soif. Nataniel Winters avait gagné : il ne serait pas seul dans sa dernière demeure.
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