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Photo du rédacteurKillian Carlu

Injustices


Injustice

Une grande aire verte où ont poussé des pistes de décollage, des tornades et des lianes-de-la-jungle-comme-il-fait-Tarzan. C’est là que joue ma Eva et son frère. Ils jouent ensemble à glisser sur la piste, sauter de la liane pour aller gratter les nuages ou faire tourner la tornade toujours plus vite.

Elle s’amuse toujours bien, ici, ma Eva. Avec Capitaine M’man et Papa de Contrôle, toujours aux aguets, elle et moi, on est toujours sûrs que rien ne peut nous arriver.

Vas-y ma Eva, piste de décollage !

C’est une vraie pilote, prête à découvrir le monde. Son buste avancé, ses coudes pliés et les mains fixées aux poignets de lancement, elle est à deux orteils de se lancer.


– Bouge, Aydan !


Aydan, son frère. Il l’embête toujours. Ils adorent se chamailler, ça les rapproche. Ils ont ce jeu du « puninnocent » : à celui qui fera une bêtise en faisant punir l’autre. Ils y jouent souvent, mais Aydan gagnait tout le temps.


– Allez, Aydan … ! Je suis prête à décoller !

– Papa, il dit qu’on doit pas décoller si un autre avion stationne devant, alors tu restes là.

– Stationne ailleurs, Aydan !


Mais il bouge pas. Il bouge jamais. Mais c’en est trop, je la connais, ma Eva. Une grande respiration, les jambes tendues comme des super-réacteurs et elle se lance.


– Aïeuh !


Ça sent pas bon, ça.

Capitaine M’man est témoin de l’explosion.


– Eva ! Fais attention à ton frère ! Tu sais ce que Papa a dit.


Ils sont tellement adorables, la tête baissée et leurs moues coupables que Capitaine M’man les a laissés s’en tirer sans contraventions.

Les tours de pistes suivants se sont échangés sans aucun conflit que Papa de contrôle n’a dû relever.

Eva, viens me chercher !

Et elle vient, me serrer dans ses bras et me propulser haut dans le ciel.


– Viens Dibou, faut que tu voles toi aussi. Avec moi ! Houhou ! Dibou le super-hibou ! Ho ! Viens, Dibou, on va dans la tornade !


Oui, dans la tornade !

Elle attrape une des barres de fer, commence à la faire tourner puis me lance dedans.


– Ça tourne trop vite, saute Eva !


Elle court encore un peu, entre dans la tornade et me sert très fort contre elle.

Le monde tourne tout autour de nous, si vite, tellement vite que je ne sais pas si on survivra à la tornade. Mais c’est pas grave, c’était drôle ! J’aurais vécu dans les bras d’Eva dans une tornade de stade beaucoup beaucoup ! Tous les Dibou ne peuvent pas en dire autant !

Je vois Aydan, il a arrêté de jouer à la piste, et des quatre Aydan qui nous tournent autour, aucun n’a de bonne idée.

Je le vois, il se prépare à sauter.


– Ralentis ma chérie !


Il court un peu partout, il prend de l’élan.

Oh, non. Il va sauter.

Il arrive ! Non, Aydan, laisse-nous, Eva et moi !

Il arrive Eva !

Il saute, rate la barre, m’attrape, boum la barre ratée, crac ma couture, aïe Aydan, Dibou perd Eva.

Je me souviens d’avoir vu Capitaine M’man et Papa de contrôle reprendre leurs visages de Mamécontente et Papascontent.


– Je t’avais dit de ralentir, Eva. Il faut que tu sois plus attentive... lui dit Papascontent.

– Mais...

– Pas de mais, jeune fille, lui rétorque Mamécontente.

– Mais, maman, essaye Aydan.

– Ça va aller, tu es fort mon chéri, ça va passer, le rassure-t-elle. Ils se sont tous les deux regardés, Eva portant mon corps et Aydan ma tête.


Il est fort. Elle est attentive. Je suis perdu.


Apprentissage

On est tous les trois dans la chambre d’Eva : Papa, elle et moi. On regarde les étoiles que la veilleuse-ours projette. Papa nous tient dans ses bras, et il nous lit un conte de son enfance.


– La Belle, prise d’un maléfice, s’endormit profondément.


Il tourne la page.


– Papa... ? Pourquoi on l’appelle la Belle ?

– Parce que c’est une princesse, et qu’elle est belle.

– Mais elle a pas de nom ?


Si, sûrement... tiens. Aurore, elle s’appelle Aurore. Aurore s’endormit profondément, jusqu’à ce que le vaillant prince charmant arrive, épée au poing et bénédictions féeriques à la cape, afin de terrasser le terrible dragon, gardien du sort de l’enchanteresse. Deux coups d’épée, un bond et une dernière estocade, la bête fut neutralisée. Le prince monta alors trois par trois les 666 marches de la Tour d’épines et trouva finalement la princesse endormie. Il s’approcha et admira la femme de ses rêves, espérant pouvoir la sortie de ce maléfice. Il caressa ses cheveux, sa joue et ses lèvres, avant d’aller déposer un baiser d’un amour qu’il dira sincère, sans même lui demander son consentement, alors qu’il ne la connaît pas et ne l’aime que pour son apparence.

Hein ? Mais... Pourquoi il fait ça à chaque conte ?


– De quoi, Papa ?

– Eva. Aujourd’hui, tu sais ce que je vais t’apprendre ?

– Non.

– Exactement, à dire non. Ce conte-là, il ne te l’apprendra pas. Quelqu’un qui t’embrasse dans ton sommeil ou sans ton accord, c’est mal. Eva, si tu ne veux pas faire de câlin à tonton, si tu ne veux pas faire la bise à papy, parce qu’il pique ou parce que tu n’en as pas envie, ou que tu ne veux pas attraper la main, tu sais ce que tu peux dire ? Tu peux, tu te dois de dire non !

– Même si c’est tata Rosie ?

– Même si c’est maman ou moi. Eva, tu n’as pas besoin d’un prince pour te sauver. Tu as Dibou, et surtout, tu t’as toi, pour toujours. Si tu ressens quelque chose que tu ne veux pas ressentir, dis non. Et si tu veux t’échapper de quelque chose ou quelqu’un qui te fait mal, dis non, ou enfuis-toi de la tour. Je veux qu’à chaque fois qu’on te lit cette histoire, ou n’importe quelle autre, ce soit le droit de la changer qui te revienne. Tu peux changer les histoires, et la tienne. D’accord ?

– Oui, papa.

– Je t’aime, princesse guerrière. Bonne nuit Eva.

– Bonne nuit.


Bonne nuit, Eva et Papa.


Marque

14h30. La cloche sonne, c’est enfin l’heure de la récréation. Après une heure intensive d’anglais, je sais que tous voudront se défouler, s’arracher des ballons, se disputer des cordes à sauter et se crier les règles bafouées. Soudain, le signal.

« Attrapez-les ! » hurle Eva

Toutes les filles se positionnent. 3,2,1... Sprint ! Elles se mettent toutes à courir après les garçons, qui pour beaucoup n’atteignent même pas le camp, pris au dépourvus.

Eva s’est placée en Gardienne, juste à côté de la « prison » et prête à capturer tout être masculin trop fou ou désespéré pour tenter de libérer ses congénères. Une cheffe de guerre.

Ethan arrive !

Et je vois son sourire en coin, son regard fixé droit devant elle, prête à briser ses espoirs.

Ethan, suffisamment proche, se met à courir, bras tendus devant lui, comme un brise-chaîne...


– Touché ! Ethan, en prison !


Il grommelle et s’accroche aux autres garçons en chaîne humaine autour de l’arbre.

Bientôt, Benjamin, le dernier garçon, est attrapé par Lily.

Première manche gagnée !

Seconde manche... Go !

Toutes se sont mises à courir jusqu’au camp, et aucune n’est capturée avant d’être en sûreté.


– Allez, sortez !

– On a 20 secondes, on reste !, crie Lily

– 1... 2... 3...


Deux filles sortent et réussissent à échapper au filet masculin. Deux maillons partent en chasse.


– 4... 5... 6 …

– Ethan, tu nous auras pas. Laisse tomber.

– Et vous ne m’échapperez pas, Eva.

– 9... 10... 11...


Trois filles sortent et réussissent à esquiver habilement les mains des garçons.


– 12... 13... 14...

– Tu sais, Ethan. Tu manques de détermination, et t’es lent.


Vas-y Eva !


– Ha oui ? Et bah, toi, d’abord, tu cours comme une fille !


Eva et les trois dernières filles sautent et foncent dans des directions différentes. Elles gravitent autour de la prison, jusqu’à ce qu’Eva tente une percée, se plie au dernier moment, évite la prise de Benjamin, et parvient à taper dans la main de Léa.


– Oui, plus vite que toi !


Ethan crie, accélère. Il ne s’arrêtera pas avant d’avoir repris le dessus ! Cours, Eva !

Elle fait deux sauts à droite qu’Ethan n’a pas prévus. Il glisse, manque de tomber tête la première mais réussit à se rattraper. Sa colère est définitivement à son apogée. Cours, Eva !

Toutes les filles sont arrivées au camp, il ne reste plus qu’Eva pour leur assurer la double victoire.

Les garçons se placent en éventail et Ethan la mène vers le piège. Elle vire encore une fois à droite, mais cette fois, Ethan s’en doutait et il gagne de l’avance sur elle.

Les filles tapotent les épaules des garçons, tentent de détourner leur attention de la fugitive. Lily feint de sortir d’un côté et sort de l’autre. Les huit garçons se tournent vers elle, sans bouger, leur position stratégique ne devant pas être ébranlée.

Mais Eva profite de la brèche et fonce.

Cinq mètres.

Les garçons ne regardent pas.

Quatre mètres, Ethan s’est rapproché d’une main. Cours, Eva !

Trois mètres. Ethan se tend encore plus, atteint presque ses cheveux.

Deux, elle s’apprête à sauter.

Un, elle saute, attrape la grille du camp, les filles tiennent ses bras mais Ethan s’accroche à ses cheveux et tire un bon coup en arrière, la faisant presque tomber.


– Lâche-la, Ethan !

– Non, je l’ai attrapée avant. Sors. Tout de suite.

– Non... tu me fais mal, Ethan

– C’est ta faute, tu m’as provoqué ! Sors du camp !, dit-il en tirant plus fort.

– Non ! J’ai dit non, Ethan, alors tu dois me lâcher !

– Maîtresse !, crie Lily.


Au nom de la Police, Ethan s’éloigne et abandonne son emprise, revenant vers les garçons, d’un air totalement innocent. Maîtresse arrive et les filles rapportent les faits, avec pour preuves les pleurs d’Eva.


– Ethan ? Qu’as-tu à dire pour ta défense ?

– On jouait juste., dit Benjamin

– C’est vrai ça, les garçons ?


Tous acquiescent.


– Je suis désolée, les filles... Je n’ai pas vu, je ne peux pas. C’est votre parole contre la leur... Je suis désolée, Eva. Tu as encore mal ?

– C’est ça qui fait mal.


Elle part vers les toilettes, vite rejointe par Lily et Léa.


Non, parler ne suffit pas... Ça ne suffit jamais.


Libération

C’était une guerre séculaire, une boucle temporelle éternelle.

Dans cette plaine, sous le ciel rouge sang, la bataille faisait encore rage. Au centre, les deux Immortels, chefs de deux factions ennemies et frères nés rivaux se livraient un combat sans merci à coup d’épées enchantées et de lances soumettant les éléments. Tous ces combats se résumaient sous un seul but : déterminer qui épousera la belle Hélène, prisonnière de la Tour du Marais.


« Pourquoi n’y-a-t-il jamais de femme-chevalier pour libérer la princesse de la tour ? Pourquoi la princesse même aurait besoin d’être sauvée, surtout par le prince charmant ?

C’est de lui qu’on doit se sauver. Le prince charmant. Venu nous délivrer, sans nous connaître pour accomplir une mission sacrée ou gagner en rang. Venu sacrifier sa vie pour une femme qu’il ne connaît pas, et qu’il épousera sans qu’elle ne puisse mot dire.

C’est de lui qu’on doit se sauver. Pas de vie forcée, pas de Grand Chevalier Blanc complexé. Juste notre acceptation de soi. Juste la princesse et moi.

Emprisonnée, non pas pour sa beauté, mais parce qu’elle était une brigande, une voleuse, une justicière, l’héroïne masquée au milieu de la nuit, sauvant le veuf et l’orpheline du village voisin.

J’attendrais qu’elle se libère de ses liens, puis on partirait ensemble, régler la justice là où ils ne la font pas appliquer.

Mais tout ça, personne ne le raconte. Seulement parce que « Chevalière », c’est un objet, une bague.

Un trophée, un trésor à garder sous clé, comme ces princesses. »


C’était toujours une guerre séculaire. Une boucle temporelle éternelle. Dans cette plaine, sous le ciel rouge sang, la bataille faisait rage.

« Brutes. Tout régler à coup d’épées. Pas de diplomatie, juste des bêtes comparant la taille de leurs poings et de leurs bravoures. Rien d’important. Les hommes ne comparent jamais rien d’important. »


Eva regarde son livre, déchire la page puis le ferme. Elle regarde quelques instants le soleil s’éteindre derrière les vagues, m’éblouissant de ses teintes enflammées. Elle s’approche du précipice, surplombant la mer agitée, prend une profonde inspiration, le parfum des arômes alentour réconfortent son nez.


« Autant écrire mon histoire. »


Elle lance le livre et sa page déchirée, puis observe les vagues engloutir le premier, l’écume le couler dans l’oubli.

Elle inspire plus profondément encore, cette fois l’odeur de la liberté mène l’appel, celui de la fin d’un été, du début de l’effondrement d’un cycle.

Et celui-ci ne se répétera pas. La boucle est brisée.

Vestige de l’ancienne Eva, le vent dépose à ses pieds la page déchirée. Un souvenir, la ruine d’un temps ancien pour ne pas oublier d’où l’on vient.

Eva attrape la page, un stylo de sa poche. Elle la griffonne, pose ces symboles devant moi, puis s’assoit. Le dernier rayon orangé illumine son écriture alors qu’elle admire un avenir radieux.

Immortelle


Rébellion

– Ça fait si longtemps que tu les as pas vus, tu tiendras le coup ? … Hé, hey ! Nonononon, laisse ça, tu vas te faire mal.


Ben lui arrache des mains le sac rempli de boîtes rouges, vertes et dorées ornées de sapins et de nœuds papillons et lui prend le sac à dos débordant d’affaires en tout genre.


– Ben...


Il la regarde et ferme la portière. Alors qu’elle s’apprête à prendre son sac à main, il plonge ses yeux désapprobateurs dans le sien et l’attrape.


– Même celui-là ?


Il ne lâche pas, lui sourit, l’embrasse. Elle s’apprête à le sermonner.

Il l’embrasse une fois encore, un peu plus longtemps et lui esquisse un sourire espiègle. Elle soupire, lâche le sac à main et se dirige vers la porte d’entrée, son compagnon la talonnant alors qu’il porte vaillamment la responsabilité de sa paternité à venir.


– J’espère juste avoir la paix ce soir...


Elle sonne. En attendant qu’on vienne lui ouvrir, Eva regarde autour d’elle et à travers les fenêtres du haut. Elle me voit, perché sur le rebord de l’une d’elles.

Bonsoir, Eva.

Soudain, la porte claque et une armée de quatre enfants saute dans les bras de leur tata adorée, éliminant toute chance de riposte de leur cible. La petite dernière, pour le coup fatal, grimpe sur ses frères et sœurs afin d’arriver à hauteur d’Eva et de se poster dans ses bras, qui l’enlacent joyeusement et la parsèment de chatouilles.


– Claire, descends tout de suite.


Au son de la voix du tonton, portant toujours raison, la petite baisse la tête et redescend. Sa compagne le sermonne du regard.


– Ça fait au moins super longtemps qu’on t’a pas vue ! Tu joues avec nous ? Hein, dit ?

– Laissez votre tata respirer et se poser d’abord, elle viendra jouer si elle en a envie, d’accord ?


Les quatre enfants acquiescent timidement et les tirent à l’intérieur jusqu’à leurs parents et grands-parents. Le pavillon, dont l’intérieur est d’ordinaire composé de teintes monotones grises et beiges, porte aujourd’hui une heureuse nouvelle : au milieu des guirlandes et des tapisseries rouges et vertes brillent des boules de Noël bleues et roses, des hochets, des petites statuettes de filles et de garçons jouant à une bataille de boules de neige.

Tommy vient me chercher.

À peine sa belle-fille arrivée que Karen s’approche, main prête à analyser le bébé déjà trop sollicité, comme un piège qui venait de se refermer.


– Alors ? Garçon ? Fille ? Ben refuse de me le dire !

– Bonjour, Karen.

– Oui, bonjour. Alors, cet enfant ? Dites-moi, il faudra bien savoir quels cadeaux vous offrir !


Eva serre les dents.


– Tu auras la surprise à la naissance, maman.

– Que de surprises et de cachotteries ! Est-ce que vous vous rendez-compte de l’attente ?

– Je crois que si quelqu’un a une notion du temps ici, c’est Eva.

– Les hormones la travaillent ?

– Eva peut parler pour elle-même... Et elle a besoin de respirer.


Sur ses mots, elle s’éloigne et va pour s’asseoir à la table, là où l’attend Mathilde, la belle-sœur de Ben. Elle profite du calme avant la tempête pour la rassurer. Après tout, elle l'avait traversée quatre fois. Mais comment ? Mathilde hausse les épaules. Elle y est arrivée, c’est tout.

Tous s’assoient à table, autour de petits fours, tandis que les enfants viennent et repartent, des plateaux de nourriture en main, incapables de tenir en place alors qu’ils sont si proches de la venue du Père Noël. Par soucis de limite de charge manuelle, Tommy décide de me poser entre deux allers, afin de porter plus efficacement les ravitaillements.


– Tata... Tu viens jouer avec nous ?

– Claire, va jouer avec tes frères et sœurs, c’est mieux pour votre pauvre tante de rester assise, lui dit Karen.

– Je viendrai après.


Eva lui fait un clin d’œil, la petite sourit et part en criant sur ses camarades de jeu. Le repas continue. Les plats traditionnels à base de fruits de mer défilent sous son nez, lui causant des nausées de plus en plus insistantes. Entre deux haut-le-cœur, Eva se risque à une messe basse :

– Pourquoi ils appellent ça des fruits de mer ? Il me semble pas avoir besoin de tuer un animal pour manger une pomme ?

– Ho vous allez pas encore nous embêter avec ça !

– C’est une question de vocabulaire... C’était juste...

– Vous le savez, c’est très dangereux pour votre enfant de ne pas manger de viande, de poisson ou de produits laitiers d’ailleurs ! Regardez, des crevettes, du foie gras, des huîtres, du saucisson, tout ce qu’il faut !

– C’est d’ailleurs pour ça que les médecins nous préconisent de ne pas manger de charcuterie, de poisson et de produits laitiers non cuits, marmonne-t-elle.

– Ho bah ! Avec toutes les âneries que vous gobez des médecins de nos jours, ce ne sont pas trois tranches de saumon et un pauvre saucisson qui tueront votre bébé. Vous savez, moi, je mangeais de tout et mes fils vont très bien. On ne sait pas si vous pourrez en dire autant !

– Maman, ça va maintenant. On fait du mieux avec ce qu’on a, d’accord ?


Un grand vide a suivi, seuls des petits « ce vin a une belle robe » ou « comment va le petit ? » : « Oh bah l’école tu sais... les enfants sont cruels ». Des discussions classiques de parents impliqués, seules contre le « No Words Land ».


– Tata … ?

– Ho mais c’est pas possible, allez jouer ailleurs !, s'écrie le grand-père.

– Oui, Tommy ?

– Je devais te rendre Dibou, merci de me l’avoir prêté, mais j’en veux plus.


Nous y voilà. Ses yeux noirs transplantent en moi les souvenirs d’une enfance à refaire. Eva...


– Pourquoi tu ne veux pas le garder ?


Un classique du virilisme. Le grand et fort Papy et son immense sagesse mal placée.


– Pour être un grand garçon, faut pas avoir de doudou... Je peux plus l’emmener avec moi à l’école, et je suis trop triste quand je le laisse, alors je veux te le donner, il sera plus seul.

– Tommy... J’ai gardé Dibou jusqu’à 26 ans, tu sais ? Et (elle chuchote) tonton a toujours son Tigrou au lit. Et c’est un grand garçon ! Je sais qu’il sera toujours là pour te protéger, comme il l’a fait pour moi. Et tu le donneras toi aussi, à ton tour, quand quelqu’un d’autre en aura besoin, d’accord ?


Tommy me reprend entre ses petites mains tremblotantes. Il a les mêmes yeux qu’Eva à l’époque.


– Et Tommy. Joue avec ce que tu veux et porte ce que tu veux. Trucs de filles ou de garçons. Ça, c’est être toi, et c’est tout ce qui compte. Pas ce que pensent les autres, d’accord ?


Tommy secoue vivement la tête et serre sa tata dans ses petits bras, lance un rapide regard pour vérifier l’approbation de son tonton et de ses parents, sans l’attendre, puis repart en me serrant contre lui. Par-dessus son épaule, je vois Mathilde adresser un sourire entendu à Eva et Ben. Eva se retourne, me transmet l’avenir d’une enfance à protéger.

Au revoir, Eva, et je te le promets,

Il est entre de bonnes plumes.



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