Réécrire la microfiction Bienfaisante censure de Régis Jauffret. (consigne de Milena Mikhaïlova)
C’est un enfant très sage, très calme. Il s’occupe tout seul pendant des heures, enfermé dans sa chambre ou dans son coin. C’est à peine si l’on entend les pages de son livre se détacher d’un bord pour s’amarrer à l’autre ou le grésillement des mines de graphite qui se frottent contre le papier. Il parle peu, n’est bavard que dans ses cahiers à spirales. Je peux l’emmener partout avec moi, faire des courses ou en visite à des amies, comme maintenant avec toi. Et comme maintenant, il me suit sans caprice, un carnet et un crayon qui passent de sa poche à ses mains et pendant ce temps, je sais que je n’ai pas besoin de le surveiller de près.
C’est vrai qu’il n’est pas comme les autres enfants si turbulents qui hurlent, pleurent, jouent, courent et reviennent plein de boue, perdent leurs joujoux et s’écorchent les genoux sur des cailloux. Il est à part et à l’écart, de la timidité à n’en pas douter. Il ne s’aventure pas à parler à ses camarades, peut-être pour le mieux, et ceux-là le laissent tranquille dans sa bulle de coton. Non, décidément, il ne leur ressemble en rien.
Parfois il a de drôles d’idées, décide de brûler du papier ou d’observer une araignée tisser sa toile, rien de bien méchant. Il s’amuse d’un rien mais sans rire comme s’il avait peur d’étirer ses lèvres. Sans pleurer non plus, vraiment très sage mon petit. Il a un don certain pour les mots. L’autre jour, il est revenu avec Baudelaire et Michaux dans le cerveau et a appelé leurs recueils des cercueils de maux. Je ne sais où il trouve ces inventions. Son goût pour les poètes maudits, ce n’est pas de moi qu’il le tient. Je sais à peine de quoi retourne sa poésie ; les Fleurs du Mal ne m’intéresse pas.
Je me demande à quoi tout cela lui servira. Quel avenir existe-t-il pour un écrivaillon talentueux ou non ? Il lui faut un vrai métier, de quoi gagner dignement sa vie. J’aimerais qu’il s’oriente dans la chimie comme son père, ou bien qu’il s’engage dans l’armée pour défendre son pays. Enfin, si cela fait le bonheur de quelques lecteurs… Tu veux vraiment le lire ? Mon chéri, viens ici. Dis-nous, qu’est-ce que tu écris ?
– Du poison, maman.
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