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Photo du rédacteurMarion Daure

L'amour de jeunesse

Écrire une microfiction à partir de la chanson Le Soleil et la Lune (version live) de Charles Trenet. (consigne de Mme Milena Mikhaïlova)


Tu as vingt ans. Tu es devant chez toi dans sa voiture. Il pleut et Julien t'a proposé de te ramener. Tu réunis tes affaires, ton sac, tes clés et le livre qu'il t'a prêté puis tu poses le tout sur tes genoux, tu regardes tes pieds et tu restes immobile. Il te demande ce qui t'arrive, l'air est lourd et le silence épais. Toi et moi, on en est où ?, t'entends-tu lui demander d'une voix étranglée. Il reprend sa respiration et regarde droit devant lui, à travers les gouttes qui frappent le pare-brise. On en est nulle part, il te répond, il n'y a pas de "toi et moi". Tu es sonnée. Tu avais compris qu'il ne quitterait pas Lucie, tu avais senti qu'il s'était éloigné, tu avais juste besoin de te l'entendre dire. Mais qu'il puisse te balancer que rien n'avait jamais existé, tu ne l'avais pas anticipé. Tu lui parles d'amour, il te parle d'amitié. Peut-être que les autres avaient raison, que tu t'étais raconté de jolies histoires, que tu voulais trop y croire et que tu avais tout inventé. Pourtant il te semble que c'est toi qui est dans le vrai.

Tu as vingt-cinq ans. Ta grand-mère vient de mourir et tu es seule. Tu appelles Julien qui te propose de venir. Depuis combien de temps ne vous étiez-vous pas retrouvés tous les deux ? Lucie est de garde et ton mec sur des rails à 500 kilomètres. Et de fil en aiguille, de bière en bière et d'heure en heure, au milieu de tes rires et de tes pleurs, il finit par te l'avouer. Il peut bien te le dire maintenant que tu es casée. Qu'il n'a jamais songé à quitter Lucie mais qu'il t'a désirée, qu'il t'a même peut-être aimée. Tu n'as pas affabulé. Vos éclats de rire et vos discussions à bâton rompu jusqu'au cœur de la nuit, ses mots susurrés dans ton oreille que ses lèvres touchaient dans le brouhaha des soirées arrosées, sa main qu'il avait un jour glissée dans la tienne, tout ça, tu pouvais le repeindre d'une belle couleur d'été, tu pouvais le garder.

Tu as trente ans. C'est le week-end et vous avez invité Lucie et Julien ce midi. Entre deux verres de Sauternes, ils vous annoncent une bonne nouvelle, Lucie attend un bébé. Tu les embrasses avec toute la chaleur dont tu es capable mais déjà tes yeux s'embuent de larmes. Tu pars précipitamment dans la cuisine en prétextant que les pâtes sont cuites. Julien te rejoint, il est ému que tu sois émue, il s'en amuse même. Pourtant, tu ne pleures pas de la joie de le voir devenir père. Tu pleures de l'avoir définitivement perdu.

Tu as cinquante ans. Vingt ans à se voir deux fois par an en famille, les liens se délitent, plus grand chose à se dire. Ce soir, tu le rejoins dans un café du centre-ville, celui dans lequel vous alliez quand tu lui courais après. C'est lui qui te l'a demandé, sa mère est morte et il l'enterre demain. Tu es au coca light, il enchaîne les whiskys. Il te parle de ses parents que tu as bien connus, il te parle de ses enfants que tu peines à cerner, il te parle de Lucie qui viendra à l'enterrement mais avec qui il ne vit plus. Il te dit qu'il aurait dû la quitter, qu'il aurait dû te choisir. Tu regardes cet homme courbé et amer. Tu penses à celui avec qui tu partages ta vie depuis une décennie. Tu n'as aucun regret.



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