Rédiger un monologue d’une page où le personnage tente de convaincre quelqu'un qui ne lui répond que très brièvement et à la toute fin. (consigne de Paul Francesconi)
EMMA, 25 ans
ANNE, sa sœur, 22 ans
La chambre d’Anne.
EMMA. Allez viens avec moi. Tu ne peux pas rester ici indéfiniment. Qu’as-tu à y faire, de toute manière ? C’est dehors que les choses se passent, que le monde se découvre à nos yeux. Si tu sortais, tu ne voudrais plus jamais rester là comme tu le fais, toute seule à ruminer comme une vache. Ne sois pas vache mais va les rencontrer, celles qui broutent dans leur pré… Bon, je conviens que te traiter de bovine ne va pas m’aider à te convaincre mais si tu voyais tout ce que tu manques, tu m’en voudrais de ne pas t’avoir persuadée plus tôt… Tu sais, j’aime la solitude moi aussi ; avoir du temps et de l’espace pour moi, retrouver mon intimité. Ce n’est pas pour autant que je dois me couper de la présence des autres. Tu dois partager, partager le rire et les émotions. On peut rire de quelque chose qu’on voit sur un écran ou qu’on lit, on peut surtout rire avec quelqu’un en chair et en os et c’est tellement plus réjouissant ! Tu dois créer des relations avec les gens qui sont autour de toi et avec le monde. Prends de grandes inspirations, observe les oiseaux dans les arbres, le chat qui se frotte contre tes chevilles, écoute les conversations et le bruit de l’eau qui coule. Sois attentive et tu seras plus attentionnée, avec les autres et avec toi-même. Tu vois la connexion que tu as avec ton lit et ta couette ? Je veux que tu aies la même avec la porte de la cuisine, que tu sois tout aussi contente d’y entrer que d'en sortir. Je sais que ce n’est pas facile et encore plus pour toi. Nous ne sommes pas pareilles ; cela ne me dérange pas d’aller au cinéma toute seule ou bien d’aller parler à des inconnus sans être embarrassée. C’est pour cela que je veux t’aider à sortir de ton cocon. Il faut que tu t’appuies sur mes forces et vice versa. Par exemple, je suis incapable de réaliser un travail avec patience ; tu m’impressionnes chaque fois que tu passes des heures sur ton projet. Mais c’est parce que nous sommes différentes l’une de l’autre que tu comprends que je ne serai pas toujours physiquement là pour t’encourager. Je pense à partir en Australie… ou en Chine, un endroit à découvrir ! Tu es une fleur qui doit éclore le plus tôt possible parce que après, je ne serai plus là pour te pousser à faire quelque chose. Tu vois, c’est comme la balançoire qu’il y avait dans le jardin quand nous étions petites. C’était amusant quand je te poussais pour que tu ailles le plus haut possible. Tu te souviens ? Tu disais que tu voulais rencontrer le Père Noël. La balançoire, c’est plus facile à deux mais on peut aussi en faire toute seule. Il suffit de donner l’impulsion avec ses jambes : en avant, en arrière, en avant, en arrière ; alors en avant ! Et puis tu n’as pas besoin de te jeter dans le grand bain aujourd’hui ni de gravir l’Himalaya. Nous pouvons y aller pas à pas. Que dis-tu d’aller manger une glace ? Nous pourrions y aller à vélo ! Ou bien se promener en forêt. Si nous ramassons de quoi préparer le dîner, papa et maman seront contents. Cela serait notre cueillette du jour, à défaut de cueillir le jour pour l’instant. Je préfère que tu aies des regrets de m’avoir accompagnée plutôt que des remords de ne pas être venue. Alors, qu’est-ce que tu décides ? Je ne souhaite absolument pas t’influencer mais tu remarqueras que je te fais mon plus beau sourire… Bon, moi j’y vais…
ANNE. Attends, je mets mes chaussures.
J'aime beaucoup la chute.
Pierre-Olivier Lhermite