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Photo du rédacteurGabrielle Lisowski

La Cape bleue

Écrire une microfiction à partir de l’affiche “Ils ont vu cela !” du premier numéro de la revue L’amour, dirigée par Frédéric Pajak (consigne de Mme Milena Mikhaïlova)



Cela faisait quelques heures que Joseph était dans la lune. Il attendait que la séance soit ouverte, c’était sa troisième au Club. Le Club était formé de l’élite culturelle d’Arkhane City, un petit groupe qui prenait bien soin de se cacher pour éviter les soupçons. En effet, ce qu’ils faisaient n’était pas vraiment entendable pour le grand public, il valait mieux rester discret.


Cette nuit, ils allaient l’invoquer. Ils allaient invoquer la Cape bleue, Gogokhoth’Amrultokha. De ce que Joseph en savait, il s’agissait d’une créature cosmique unique en son genre, un être qui résidait au plus profond de l’océan Pacifique, dans sa cité engloutie de Traolda. Le Club allait le faire venir grâce à un rituel très précis, et lui, Joseph, allait avoir le droit de contempler cet être hors du commun, en dehors du temps et de l’espace. Un être qui allait choisir quelqu’un pour partager son immense savoir… s’il se sentait d’humeur généreuse.


Au bout de plusieurs minutes, les autres membres du club arrivèrent. Ils avaient sur le visage un masque noir, pour se cacher du regard de la Cape bleue. Le nouveau enfila le sien, et se mit avec les autres en cercle autour d’une sorte de pentacle dessiné à la craie au sol. Tous ensembles, ils entonnèrent un chant liturgique, « Dyxhur Traolda na dandre dyxhur ».

Le chant dura plusieurs minutes, tous les participants étaient concentrés à réciter les paroles apprises par cœur. Ils espéraient tous au fond de leur âme que cet exercice allait porter ses fruits. Ils allaient bientôt être fixés.


Une forte odeur de marée se fit soudainement sentir alors que le chœur venait de terminer de réciter son texte. S’ajoutait à cela une déformation subite du pentacle, qui prit en taille et se transformait progressivement en quelques signes incompréhensibles.


« Ils ont vu cela », dit très clairement une voix d’outre-tombe, une voix qui venait de partout et de nulle part en même temps. C’était en vérité un entremêlement de sons, couplés à des visions de bâtiments aux angles improbables changeant indéfiniment. Ce n’était que par pur hasard que les membres du Club avaient compris ce qu’ils avaient compris, « Ils ont vu cela ».


Certains s’évanouirent d’un coup, mais ce n’était pas le cas de Joseph. Il vit de l’eau sortir des symboles tracés au sol, et avec elle, des sortes de filaments de brume qui se tordaient en tous sens. Et une paire d’yeux jaunes, à la pupille fendue, s’éleva lentement, le fixant du regard.


Aussitôt, Joseph se sentit transpercé de part en part, comme si ces yeux étaient des fers de lance. Il s’écroula en arrière, et tomba dans quelques centimètres d’eau en haletant. Il s’évanouit, sans comprendre ce qui lui arrivait.


A son réveil, il était entouré de ses camarades, inconscients pour la plupart. Le sol était parfaitement sec, et le pentacle avait retrouvé sa forme originelle.


Mais l’odeur de marée subsistait.


Le jeune homme remarqua une marque à son bras droit, et sans vraiment savoir ni comment ni pourquoi, il n’avait qu’une envie, se jeter à l’océan, et rejoindre Traolda.


La Cape bleue l’avait choisie pour partager ses connaissances mystiques.



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