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Photo du rédacteurMarion Daure

La lie de l'humanité

Écrire une microfiction à partir de l’affiche “Ils ont vu cela !” du premier numéro de la revue L’amour, dirigée par Frédéric Pajak (consigne de Mme Milena Mikhaïlova)




C'est un bel après-midi du mois de juin. Dans la partie ombragée de la grande place, la terrasse du café est bondée. Grenadines à l'eau, Perriers citron et bières se sirotent mollement à l'abri des tilleuls. Les conversations vont bon train, elles sont sucrées, animées et légères comme les premiers jours d'été.

Soudain, quelques sourcils se froncent. Puis toutes les têtes se tournent dans une vague qui déferle vers celui qui ose troubler la douce quiétude de ce temps suspendu. Passablement imbibé, l'étrange individu va de table en table et vocifère à tort et à travers des ta gueule fils de pute et autres nique ta mère. Les conversations se taisent, les regards évitent celui de l'homme dégueulant sa colère et s'orientent vers le serveur sauveur qui menace d'appeler les flics s'il refuse de déguerpir. L'incident est clos, chacun respire de nouveau et observe le poivrot qui s'éloigne et se traîne, démarche chancelante dans ses fringues de crevard. Les discussions reprennent, les verres se soulèvent et tous le regardent, maintenant qu'il est de dos, maintenant qu'il est trop loin pour les prendre à parti.

Il s'arrête à une dizaine de mètres à la hauteur d'un porche. Là, étendue à même le sol, une SDF dort, sa compagne de misère. Il s'allonge à côté d'elle et lui caresse le visage qu'elle secoue, engluée de sommeil, comme une vache qui cherche à se débarrasser de mouches. Il se met en cuillère contre elle et, sur la place, la rumeur monte puis la clameur s'élève devant les va-et-vient que l'homme insuffle aux corps, mais ils baisent ! À la terrasse du café, les yeux s'affolent mais ne cessent de rejoindre le porche, scotchés devant le spectacle bestial de ce couple dégueulasse. Quelques minutes plus tard, quand l'homme se relève avec la bite à l'air, les regards se croisent et ceux qui pourtant ne se connaissent pas, rient à l'unisson dans une belle communion. Et tous imaginent l'histoire qu'ils vont pouvoir raconter à la maison ce soir. Cet après-midi, alors qu'ils buvaient tranquillement une grenadine, un perrier ou une bière sur une terrasse ombragée, ils ont vu cela !


Ce vendredi 23 juin 2019 à 16h47, sur une place très fréquentée d'une métropole française, Ophélie Garnier, 27 ans, a été violée devant quarante personnes. Parmi elles, des professeurs, des médecins, des étudiants en sciences humaines, des féministes, de bons pères et bons maris, de bonnes mères et bonnes épouses, de bons amis, de bons voisins..., beaucoup de gens très bien.



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