"Carnation". Écrire au maximum une page A4 “inspirée” par La Grande Odalisque d’Ingres. (consigne de Jean-Michel Devésa)
Laurent est perdu dans ses pensées. Il divague, sans trop savoir pourquoi.
Il n’aime pas la drogue. Il trouve ça sale, répugnant. Pourtant, c’est un camé pur et dur. La femme au masque vert plein d’yeux le sait bien, c’est la raison pour laquelle elle a toujours sa dose de cachets prête pour lui. Au cas où il serait affamé.
Elle est allongée à la manière d’une odalisque, sa peau sombre, douce et lisse mise en avant. Elle le regarde avec ses yeux de chasseuse, mais lui ne les voit pas derrière les lignes du masque. Cela arrange la jeune femme, elle préfère ne pas se faire comprendre quand c’est possible. Elle aime garder une part de mystère, c’est dans sa nature.
Elle repense au temps passé avec lui. Elle s’est toujours ennuyée avec Laurent, mais elle se garde bien de le lui dire. Surtout pas, il ne doit se douter de rien. Dans peu de temps l’ennui s’arrêtera, encore un peu de temps, et il sera façonné à la perfection. Encore un peu de temps.
Ethan lui manque, alors elle essaie de construire un nouvel ami. Pour l’instant les médicaments font effet, c’est le principal. D’ici peu de temps, il sera totalement à elle, et personne ne pourra s’en plaindre. Personne ne lui demandera de compte. C’est très bien.
Soudain, il réclame presque sa nouvelle dose, elle le voit dans son regard éreinté. Elle sort de sous l’oreiller un petit flacon rempli de cachets. Elle en prend deux, les lui tend. Il soulève le masque de papier kraft qui lui recouvre le visage, les avale, et remet son précieux couvre-chef sur la tête. C’est devenu une habitude pour lui de porter cette chose. Il ignore pourquoi Jessica y tient, mais elle y tient, alors il fait des efforts pour lui faire plaisir. Elle est un peu bizarre.
« Tu tuerais pour moi ? » lui demande-t-elle.
« Oui » répond-il dans un soupir. Il le pense sincèrement, cette femme est désormais toute sa vie. Le lui dira-t-il ? Possible que non, ce n’est pas son genre. La demandera-t-il en mariage ? Possible. Parfois, il lui semble que le temps s’arrête lors de ces sessions avec la femme au masque.
Il contemple cette peau délicieuse issue d’un métissage de deux cultures. Un white trash et une pauvre femme noire issue des quartiers populaires, mais lettrée. Jessica était devenue infirmière grâce aux efforts de sa mère. Il croit savoir le père absent, mais il n’est pas certain. Elle ne raconte pas souvent sa vie. Bizarre et mystérieuse qu’elle est.
Il veut épouser cette femme, avec ses si longs cheveux, héritage curieux d’une génétique hasardeuse. Il veut vivre, il veut aimer, mais c’est si dur. Sans ses cachets il ne tiendrait pas une minute. Elle les vole aux psychiatres de Sainte-Marie, et personne ne s’en aperçoit. C’est tant mieux, il ne veut pas d’ennui avec la justice, surtout en ce moment. Avec Jessica, il se sent de traverser toutes les épreuves que le monde lui inflige. Il l’avait rencontrée lors d’une fête un peu trop mouvementée, elle portait déjà ce masque vert. Il le trouvait effrayant, mais la femme dessous était si belle et intelligente…
Elle joue avec lui, mais lui ne s’en doute pas. S’il le savait, son cœur exploserait.
Il soupire longuement, elle inspire doucement.
Les deux se regardent, la femme au masque avec plein d’yeux, et l’homme au sac de papier kraft. D’un coup, sans réfléchir, la jeune femme sort son pistolet de sous la couette, et fait mine de tirer. Dans un premier temps, Laurent ne réagit même pas. Puis il rit. Il est prêt songe-t-elle.
Elle se rhabille et quitte la chambre, enjambant le cadavre du réceptionniste.
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