ACTE II
Scène 1
Après quelques jours de voyage, Bulmur et Olympe arrivent au cap Ténare en Laconie, aux portes des Enfers. Mais devant ces dernières, Cerbère, le chien à trois têtes, dort paisiblement. Comme promis à Olympe, Bulmur entonne un chant qui ensorcèle Cerbère et permet aux deux voyageurs d’entrer. L’oiseau répète l’opération devant Charon, passeur des âmes, et les trois Érinyes, juges des âmes. Bulmur sur son épaule, Olympe s’engage dans le royaume des Morts mais un garde et une servante d’Hadès accourent déjà vers eux.
SERVANTE. (À Bulmur) Toi, ici ?! Tu n’es plus le bienvenu, démon !
OLYMPE. Bulgur, de quoi parle-t-elle ?
BULGUR. Je t’assure, cela doit être une erreur...
SERVANTE. Il n’y a pas d’erreur possible, Bulgur ! Mon maître t’a banni des Enfers il y a des siècles !
OLYMPE. Bulgur, explique-toi ! Comment te connait-elle ? Qu’as-tu fait ?
SERVANTE. Garde ! Emmène cet oiseau hors de ma vue et qu’on ne le revoit plus !
Le garde réussit à attraper l’oiseau et s’éloigne avec Bulgur en train de se débattre.
SERVANTE. (Remet ses cheveux en place) À nous, dame des Vivants. Le roi Hadès désire te voir et connaître la raison de ta présence aux Enfers sur-le-champ ! Suis-moi, s’il te plaît !
La servante guide Olympe à travers le royaume des Morts jusqu’à la demeure d’Hadès et Perséphone. Elle la conduit ensuite dans une grande salle dans laquelle Hadès est assis sur un grand et luxueux canapé.
SERVANTE. (Fait une révérence) Votre Majesté, la jeune femme des Vivants qui s’est introduite dans les Enfers sans autorisation : Olympe.
HADÈS. Intéressant. Et comment cette jeune femme s’y est-elle prise ?
SERVANTE. Elle était avec Bulgur, votre Majesté !
HADÈS. Laisse-la parler d’elle-même ! Que fait un démon banni des Enfers avec toi, Olympe ? Parle !
Olympe lui raconte sa rencontre avec Bulgur et ce qu’il s’est passé jusqu’à maintenant.
HADÈS. Je vois. Je ne sais pas ce qu’il a derrière la tête, et à vrai dire ce n’est plus mon problème. Passons : c’est bien ta mère que tu es venue chercher, n’est-il pas ?
OLYMPE. Oui, votre Majesté. Comment le savez-vous ?
HADÈS. Je suis un dieu, mon enfant... Depuis combien de temps est-elle ici ?
OLYMPE. C’est le premier anniversaire de sa mort, votre Majesté. Peut-elle repartir avec moi ?
HADÈS. L’Amour plus fort que tout, n’est-ce pas ? (Ricane) Soit. Gaïa peut retourner sur terre avec toi, mais sous certaines conditions. Vois lesquelles avec mes ensorceleuses personnelles : tu as deux possibilités. (À la servante) Lucia, mène-la dans la salle des sorts, je te prie.
La servante fait la révérence avant de conduire Olympe dans la salle des sorts.
Scène 2
Olympe entre dans la salle des sorts pendant que la servante part chercher Gaïa. À l’intérieur, Caloxis et Selkyra sont en train de concocter une potion quand Caloxis s’arrête.
CALOXIS. Entre mon enfant, n’aies pas peur. Tu es donc celle qui souhaite ramener une Morte sur la terre des Vivants... T’a-t-on expliqué comment ce pacte fonctionne ?
OLYMPE. Non.
CALOXIS. Bien, dans ce cas assieds-toi. (Olympe s’exécute) Pour qu’un Mort puisse revivre parmi les Vivants, son absence doit être comblée aux Enfers jusqu’à qu’il revienne. Pour cela, tu as deux options au pacte, dont je vais t’expliquer la première...
SELKYRA. ... et moi la seconde.
CALOXIS. Si tu choisis ma proposition, Gaïa pourra rejoindre ton foyer pendant que tu resteras m’aider à résoudre un problème. Si tu trouves une solution qui fonctionne, alors tu pourras toi aussi rejoindre ton foyer.
OLYMPE. Quel est ce problème ?
CALOXIS. Eh bien, tu n’es pas sans savoir que les Enfers sont traversés par plusieurs fleuves, dont le Léthé, qui encercle une île. Sur cette île vit le peuple des Délaissés, des Vivants qui ont été exclus de ton monde il y a fort longtemps. Le royaume des Morts ne pouvant les accueillir parce qu’ils étaient encore en vie, ils ont dû construire leur propre communauté sur l’île. Le problème, c’est que les eaux du Léthé engloutissent tous leurs souvenirs à chaque fois qu’ils en boivent et ne recrachent que leur identité. Ton rôle, si tu me choisis, sera donc simple : remédier aux pertes de mémoire fréquentes des Délaissés.
OLYMPE. Mais... Cela prendrait des mois, voire des années ! Aurai-je vraiment le temps de profiter du retour de ma mère ?
SELKYRA. Moi, je peux te faire profiter de son retour dans l’immédiat... Tu rentreras avec elle, mais elle devra laisser six parties d’elle dans les Enfers : les souvenirs qu’elle a de vous et cinq malédictions qui t’affecteront toi ou ton père. Elle ne pourra plus vous toucher, vous voir, vous entendre, rire avec vous et ressentir ce que vous appelez l’Amour pour l’un de vous. À toi de choisir quelles malédictions s’abattront sur qui.
OLYMPE. (À part) Si je comprends bien, j’ai le choix entre ne plus revoir ma mère du tout et la revoir mais avec des handicaps... Je me demande si cela vaut vraiment le coup, en fin de compte... (Elle réfléchit) Non, je ne peux pas faire ça à mon père. Il souffre tant et je suis incapable d’alléger sa douleur... Quel genre de fille cela ferait de moi si je lui amputais ce plaisir ? Il a le droit de la revoir... et moi aussi. Il me faut choisir Selkyra. Mais dans ce cas, de quels sens dois-je me priver et lesquels dois-je enlever à mon père ? Il mourra de chagrin si ma mère ne peut l’aimer et le toucher à nouveau, c’est certain... Et puis, comment lui dira-t-il son amour si elle ne peut l’entendre ? Je dois abandonner ces sens. Si cela peut redonner le sourire à mon père, alors je m’en passerai.
CALOXIS. As-tu pris ta décision, jeune Vivante ?
OLYMPE. Absolument. La proposition de Selkyra me paraît plus juste.
SELKYRA. Bien, alors je t’écoute. À qui attribues-tu les malédictions dont je t’ai parlé ?
OLYMPE. Je voudrais que ma mère puisse toucher, entendre et aimer mon père. Je souhaiterais par conséquent qu’elle me voie et qu’elle rie avec moi.
SELKYRA. Ce qui signifie qu’elle ne pourra ni t’entendre, ni t’aimer, ni te toucher et qu’elle ne rira pas en présence de ton père, qu’elle ne verra plus. C’est ton dernier mot ? (Olympe hoche la tête) Alors que Gaïa vienne !
Gaïa et la servante entrent dans la pièce. En la voyant, Olympe se jette dans les bras de sa mère avant même que Selkyra ne puisse agir.
OLYMPE. (Désespérée, en pleurs) Maman, je t’aimerai pour toujours !
GAÏA. Olym...
La magie de Selkyra brise ces courtes représailles et extrait de la femme cinq sphères lumineuses qui se répartissent dans deux boites : trois dans l’une, deux dans l’autre. Gaïa repousse violemment Olympe et des marques de brûlures apparaissent aux endroits où Olympe l’a tenue. Elle regarde sa fille d’un air désolé tandis que Selkyra ouvre un placard, prend un verre d’eau et le lui fait avaler.
SELKYRA. C’est un échantillon du Léthé que je gardais pour ce genre de pacte. Comme Caloxis te l’a expliqué, ses eaux font perdre la mémoire à ceux qui les boivent. Si par malheur l’un de vous révèle à Gaïa ce qu’elle a oublié, je le saurai et l’autre devra en payer les conséquences. Est-ce clair ?
Les larmes aux yeux, Olympe acquiesce sans un mot.
SELKYRA. Maintenant retournez sur la terre des Vivants !
La servante raccompagne Gaïa et Olympe jusqu’à l’extrémité du royaume des Morts et les deux femmes rentrent chez elles.
Scène 3
Quelques jours plus tard, Olympe glisse sa clé dans la porte d’entrée du foyer, l’ouvre et y rentre, suivie de Gaïa.
OLYMPE. Ne bouge pas d’un iota, je vais chercher papa.
Ne l’entendant pas, Gaïa suit Olympe alors qu’elle s’enfonce dans le foyer.
OLYMPE. (À part) Mince, il faut que je m’habitude... (À Atrée) Papa ? Je suis rentrée ! Et j’ai une surprise...
ATRÉE. (Apparaissant au bout d’un couloir) Ah ma chérie, tu m’as manqu...
Lorsqu’il aperçoit sa femme, Atrée ne finit pas sa phrase et se fige sur place.
ATRÉE. Ga... Gaïa ? C’est bien toi ?
GAÏA. Mon amour ? Où es-tu ?
ATRÉE. Je suis là, devant toi ! Olympe, comment...
OLYMPE. J’ai voyagé jusqu’aux Enfers et Hadès m’a permis de ramener maman à la maison, sous conditions...
ATRÉE. Lesquelles ?
OLYMPE. Elle ne peut ni te voir, ni rire avec toi. Mais va la serrer dans tes bras... Elle saura que tu es là.
Atrée se précipite vers sa femme et l’étreint de toutes ses forces. Olympe sourit avant de commencer à partir.
ATRÉE. Tu ne viens pas nous rejoindre ?
OLYMPE. Non papa, je n’ai pas le droit. Elle ne peut pas m’entendre, me toucher... ou m’aimer.
ATRÉE. Comment ? Mais c’est horrible !
OLYMPE. Ce sont les conditions que l’on m’a imposées aux Enfers.
ATRÉE. (À Gaïa) Mon amour, dis-moi que ce n’est pas vrai ! Dis-moi que tu l’aimes, notre...
OLYMPE. Non ! Elle ne sait pas qui je suis, elle n’a plus de souvenirs ! Elle... ne se souvient même pas de toi, papa. Elle sait juste qu’elle t’aime...
ATRÉE. Ne t’en fais pas, je lui raconterai tout. J’y passerai des nuits entières, s’il le faut !
OLYMPE. Surtout pas ! Tu ne dois jamais lui rappeler quelque chose de son passé, tu m’entends ?! JAMAIS !
ATRÉE. C’est injuste !
OLYMPE. Écoute, c’est comme ça que j’ai pu ramener maman ! C’est le pacte ! Vois ça comme un retour à zéro... On pourra toujours recréer des souvenirs avec elle, mais on ne doit plus évoquer les vestiges du passé. Je peux compter sur toi ?
ATRÉE. Oui... C’est d’accord.
OLYMPE. Alors, si tu veux bien, je vais me reposer dans le jardin.
Olympe prend congé, laissant ses parents seuls.
ATRÉE. (L’embrasse) Mon amour, tu m’as manquée...
GAÏA. Là où j’étais, il me manquait une partie de moi, mais je ne savais pas laquelle. Maintenant que je l’ai trouvée... (L’embrasse à son tour) Je veux en profiter.
Atrée la prend par la main et l’entraîne vers leur chambre.
Scène 4
Alors que Gaïa et Atrée pénètrent dans la chambre, Bulgur, qui avait réussi à s’échapper des Enfers et s’était caché dans la chambre d’Atrée en attendant le retour des deux femmes, sort de sa cachette.
BULGUR. Enfin je te retrouve, Gaïa !
ATRÉE. Odieuse créature ! Comment oses-tu revenir ici après ce que tu lui as fait ?!
BULGUR. Ne crois que je me montre par plaisir, mais ta jolie petite femme m’a volé quelque chose ! (À Gaïa) Rends-la moi !
GAÏA. Mais... Qu’ai-je donc volé ? Et qui est cet oiseau, mon amour ?
ATRÉE. Je ne peux rien te dire...
BULGUR. Si, tu vas lui dire ! Puisqu’à l’évidence madame a perdu la mémoire...
Bulgur s’apprête à entonner son chant charmeur, mais il n’en a pas le temps. Le désir de retrouver son épouse telle qu’elle l’a été fait céder Atrée à la tentation.
ATRÉE. (Se tourne vers Gaïa) Mon amour... Nous avions une si belle vie de couple... L’oiseau que tu vois est le démon qui l’a gâchée ! Il t’a envoyée dans le royaume des Morts ! Le bocal dans lequel il dormait a explosé quand tu l’as ouvert, tu es morte sur le coup... Mais je ne comprends toujours pas ce qu’il cherche !
GAÏA. Moi je le sais... Je me souviens. (Fouille dans sa poche et en sort une plume) Ça !
BULGUR. Enfin ! Ma plume de sommeil...
Gaïa regarde Atrée. D’un coup, elle lâche la plume de sommeil et s’enfuit de la chambre. Bulgur se précipite sur sa relique et disparaît.
Scène 5
Dans le jardin du foyer. Olympe est assise sur l’herbe et n’a pas entendu l’altercation qui vient de se dérouler. Gaïa entre, bouleversée.
OLYMPE. Maman... Tu vas bien ?
GAÏA. Oui ne t’en fais pas, ma chérie. Et... moi aussi je t’aimerai pour toujours.
OLYMPE. Quoi, tu peux m’entendre ?! (À part) Non... Il n’aurait pas...
Elle s’approche de sa mère et l’enlace pour la calmer. Rien ne se passe. Gaïa accepte l’étreinte
OLYMPE. Maman... Tu sais ce qu’un cyclope répond à un autre qui pleure à cause de son maquillage raté ?
GAÏA. Que personne va le remarquer ?
Olympe hoche tristement la tête, sachant que le rire de sa mère ne viendra jamais.
OLYMPE. Exact... (À part) Mais alors... C’était cela que voulait dire Saga aux mots sages ? Que peu importe qui profite des parties manquantes de maman, rien ne sera jamais plus comme avant ? Ou bien que maman ne peut être heureuse si l’un de nous manque... ? (Elle sert sa mère plus fort) Maman, je t’aime. Et parce que je t’aime, je ne peux pas te laisser vivre ainsi. Tu n’es plus vraiment toi-même, de toute façon... Alors à quoi bon forcer le destin ? (Se détache d’elle) Viens, je te ramène aux Enfers.
GAÏA. D’accord...
Atrée entre dans le jardin.
ATRÉE. Il n’en est pas question ! Je te l’interdis, Olympe !
OLYMPE. Tu me l’interdis ? Alors que tu as toi-même précipité maman dans sa seconde mort ? Allez, ôte-toi de notre chemin !
ATRÉE. Je ne te laisserais pas emmener l’amour de ma vie. Pas quand je viens de la retrouver !
OLYMPE. Elle n’est plus l’amour de ta vie ! Et ce par ta faute ! (Sanglote) À cause de toi, Selkyra va venir chercher maman et l’arracher loin de nous...
Trois coups retentissent à la porte d’entrée.
OLYMPE. Quand on parle du diable.
ATRÉE. Non !
OLYMPE. Il faut que j’aille ouvrir, papa. Je n’ai pas le choix. C’étaient les conditions du pacte, et tu ne les as pas respectées...
Olympe quitte le jardin pour aller ouvrir. Atrée et Gaïa la suivent.
Scène 6
ATRÉE. (Lui attrape le poignet) Je t’en supplie, ma chérie ! Faisons comme s’il ne s’était rien passé ! Ignorons cette nouvelle venue !
OLYMPE. On ne peut pas, et tu le sais ! Lâche-moi !
Gaïa se précipite vers Atrée et Olympe. Elle fait tout pour qu’Atrée la lâche.
GAÏA. Laisse ma fille tranquille !
ATRÉE. Mais mon amour...
SELKYRA. Silence, tous ! Gaïa, il est l’heure.
GAÏA. (À Olympe) Adieu, mon trésor... Je t’aimerai pour toujours.
OLYMPE. Adieu, maman... Je t’aimerai pour toujours aussi.
SELKYRA. Olympe... Tu sembles avoir oublié que si toi ou ton père lui remémorait ses souvenirs, l’autre paierait.
OLYMPE. (En colère) Et alors ? Quelle sera cette sentence plus terrible que de perdre à nouveau ma mère ?
SELKYRA. Ta punition sera de nous suivre (lui tend une obole) jusqu’aux Enfers.
GAÏA. Elle dit !
Les trois femmes disparaissent en un clin d’œil, laissant Atrée, triste et seul.
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