Réécrire la microfiction No-kill de David Thomas. (consigne de Milena Mikhaïlova)
Au printemps, mon père a l’habitude de fabriquer des pièges à frelons pour capturer ceux qui hantent le jardin et décapitent les abeilles sur le bord du bassin. La manipulation n’a rien de bien compliqué. Il lui suffit de sortir son couteau de sa poche pour couper une bouteille à son premier tiers. J’ai toujours dans la tête l’image du plastique vert transparent de la Badoit dont l’eau pétillante, bue dans les verres de la cuisine est remplacée par un mélange de miel et de sirop à la fraise fait maison. Une fois la mixture versée dans le fond de la bouteille, papa enfonce le goulot coupé, tête en bas, pour encastrer les deux parties du piège. À l’aide d’une ficelle bleue, il l’accroche dans le lilas qui exalte déjà un parfum dont se repaissent les insectes. Attirés par l’odeur sucrée du nectar létal, les frelons s’aventurent dans l’embouchure, s’enfoncent jusqu’à traverser le point de non-retour et s’avancent dans la substance délicieuse et collante. Une fois repus de leur repas de glucides, ils cherchent le chemin du retour sur les parois de plastique mais impossible, hélas, de reprendre la voie par laquelle ils sont entrés. Les frelons, tueurs impitoyables, se débattent en vain et meurent, les sens aiguisés et rassasiés, au fond de la bouteille.
J’ai toujours eu le bec sucré. Comme les abeilles et les papillons, je poursuis l’odeur du lilas, du seringa et de la glycine et comme eux je me fais dévorer et comme les frelons, je me suis faite piéger par mon père. Papa n’a pas compris que les histoires qu’il me lisait le soir avant de m’endormir la nuit hantaient mes rêves et mon esprit la journée. Les mots sucrés des contes de fées me donnaient un avant-goût auditif des mille et une merveilles qu’il me restait à découvrir. Une fois que j’appris à lire, le piège se resserra, et se referma définitivement sur moi lorsque l’on me tendit un livre à la couverture rose bonbon. Depuis, il m’est impossible de sortir du tunnel. Une page se tourne sur une autre, un livre se referme pour s’ouvrir sur un deuxième, une étagère se remplit et appelle le début d’une pile déjà formée. Je lis sans fin les nouveautés, dévore les classiques et relis à l’infini les histoires dont je connais les moindres détails.
– Descends de là-haut. Viens t’aérer.
Mon père m’appelle. Je lui obéis, sors de ma chambre et dévale l’escalier pour le rejoindre dans le jardin. Mais impossible de redescendre sur la terre ferme, j’erre là-haut, dans ma tête qui se déploie dans des mondes de fiction, assise sous le lilas qui embaume le miel et que j’entends bourdonner et frémir d’ailes de frelons qui se dirigent vers leur mort.
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