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Lecture vagabonde

Dernière mise à jour : 9 mai 2022

Écrire une page (au maximum) à partir (ou contre) ce syntagme : « Ne vous est-il jamais arrivé, lisant un livre, de vous arrêter sans cesse dans votre lecture, non par désintérêt, mais au contraire par afflux d’idées, d’excitations, d’associations ? En un mot, ne vous est-il pas arrivé de lire en levant la tête ? » Cette formule est tirée de Roland Barthes, « Écrire la lecture », in Le Bruissement de la langue, Essais critiques IV, (1984), Paris, Seuil, coll. « Points Essais », n° 258, 2015, p. 33. (consigne de Jean-Michel Devésa)


« Mais dis-moi, ta fille… là… elle est punie ? »


Il avait suffi d’un soupir de la petite tête blonde, d’un hochement presque imperceptible, si ce n’était que le petit palmier que formait une partie de ses cheveux attachés ne trahissaient, pour que l’invité de La Mère ne pose cette question. Il avait aussi suffi qu’un épais dictionnaire et une tripoté d'encyclopédies, plus ou moins vieilles pour la plupart, ne soient ouvertes à ses côtés et sur la petite table basse du salon.

La petite était à moitié assise sur un coussin de sol vert, une veste presque de la même couleur sur les épaules.

Sur un mouvement plus décisif du palmier d’or maintenu en place par un petit chouchou rouge, les bras s’agitèrent à leur tour, attrapant des crayons d’un côté, et une feuille de l’autre. On entendit plus que les grattements des couleurs glissant et recouvrant la blancheur d’une ancienne feuille de compte, qui servait maintenant de brouillon.

Et puis, de nouveau, le cinéma. Les crayons et la feuille de côté, le petit palmier au garde à vous, penché selon le bon vouloir de la petite tête, toute sage.

- Oh non non, s’empressa de dire La Mère, tournant le dos au tableau qui se dressait ainsi, et servant un café à L’Invitée. Elle lit.

- Elle lit ? Dans cette position ? En bougeant autant ?

- Oui oui. Elle n’arrêtait pas de nous demander la signification de certains mots, alors on lui a donné un dictionnaire. Elle se débrouille maintenant, dit La Mère pour clôturer cette conversation qui ne l’intéressait guère.

L’Invitée n’insista pas, hochant doucement la tête, observant simplement le petit manège, sa tasse dans une main, son café rejoignant quelques fois ses lèvres. Et la petite fille, qui avait eu du mal à apprendre à lire en CP, était maintenant en 6e et servait de petit cobaye pour une de ses tantes qui lui donnait des lectures de 3e. Et elle lisait, lisait, lisait, lisait, tout ce qui lui tombait sous la main. Et quand elle ne savait pas, quand un nouveau mot faisait son apparition, elle cherchait dans les outils qu’on lui avait mis à disposition. Quelques fois, assez souvent à vrai dire, elle n’avait pas très envie de s’enquiquiner à chercher. Alors, elle continuait sa lecture, et soit elle comprenait par celle-ci, soit elle demandait, prétextant que le dictionnaire était rangé, et quelques fois les parents lui répondaient sans que cela soit le mot ‘‘dictionnaire’’ qui franchisse leurs lèvres.

Il lui arrivait de rêver, à un passage particulier, de la suite, de ce qu’elle aurait fait, elle, dans cette situation. Il lui arrivait de remettre en doute la parole des personnages et l’écrit de l’auteur, de revenir à un chapitre antérieur pour vérifier, d’aller voir à la fin si un de ses personnages allaient survivre ou non. Il lui arrivait d’imaginer des choses plus complexes et de se poser des questions techniques. « Combien pèse un dragon ? Si les ailes des chauves-souris et des oiseaux sont proportionnelles à leur taille de corps, combien pour un dragon ? Et combien pour une vouivre ? Et si on installe une selle sur le dos d’un dragon, comment on le sangle ? Et les écailles ? Sont-elles coupées ? Comment un dragon peut-il cracher ou souffler du feu ? »

En grandissant, toujours par ses lectures, ses pensées menaient la danse. Posant toujours plus de questions techniques, posant des calculs mathématiques ou astrophysiques digne d’un scientifique, et ainsi, elle s’interrompait dans sa lecture, cherchant sur internet, se perdant dans cet amas d’information, voulant à tout prix une réponse à ses questions en suspens. Y passant des heures, oubliant momentanément ce qu’elle lisait, pour se concentrer en biais à une autre lecture.

« Notre corps se décompose-t-il dans le vide de l’espace ? Si oui, comment ? Puisqu’il n’y a que nos bactéries propres et pas les bactéries et insectes qui peuvent se développer en temps normal dans un cadavre en pleine nature. Que se passerait-il si on enterrait quelqu’un sur la lune ? »

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