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Photo du rédacteurMorgane Sarmiento

« Les formes du vrai » Parabole d'un monde

Réécrire la microfiction Bienfaisante censure de Régis Jauffret. (consigne de Milena Mikhaïlova)


… Pourquoi ? Parce que je veux croire que trois mots qui balaient une vie ne devraient pas être écrits. Et que si ils l’ont été, alors pourquoi serais-je de ceux qui les trouveraient ? Voici une question qui ne doit être posée, et voici qu’adviennent des temps où les paroles vraies se chevauchent.


En ces lieux, tout ce qui s’élève ferme les yeux à la couleur. L’univers est de graal et de cristal, les contours se facettent à la paupière close du ciel. Dans cette allée sans but, ils reflètent ce qu’ils récoltent de lumière — les arbres, les pierres-forêt, les gemmes, fougères. Tout s’éclipse au simple regard, me semble que les mots fuient dans l’air. Le temps figé. Au pas qui tinte sur la rosée, au silence qui semble lui sourire. Loin de tous et près de tout, ceci j’appellerai Dieu.


Une silhouette d’encre jetée apparaît, une tâche qui s’immisce comme une larme dans les chairs du papier. Le noir volute dans le bleu-monde et forme ces yeux… ses yeux qui traversent l’air comme ils traversent la pierre, me trouvent en tout lieu où je demeure et me transpercent. L’encre s’invite à mon visage et y expose mes entrailles, à vif. J’agrippe un tronc, les écailles de mon bras réfléchissent l’écorce cristallisée, puis s’évaporent. Ses yeux sont rivés en moi, tout mon être frisonne. En un instant-figé, je me vois courir et voler par-dessus les feuilles chantantes, mais je sais que son regard s’est logé dans le mien. Ce n’est pas une malédiction, c’est un jugement. Une vérité entrée par effraction d’encre, de pulpe à éclat d’âme. Ma force s’émiette avec cet arbre que ma main et mon cœur tiennent encore. Le monde entier, de ses veines saphirs à son arche d’émeraudes-feuilles, m’observe. Vois, il se sait dissipé à ces yeux qui ne sont que regard.


La silhouette d’encre parle ainsi à son coeur : « Serais-ce possible… » Le vent se lève pour couvrir sa voix, le monde a compris que je ne peux pas l’entendre… Tandis que je m’enveloppe dans le carillon des oiseaux, lui s’arrête et reprend : « Serais-ce possible ! ce vieux saint dans sa forêt n’a pas encore entendu dire que… » À ce figé-instant le cri vrombit à mes oreilles, le sang dedans me soulève dans son roulis et j’agrippe les bordures encore fraîches de mon monde. De toutes mes forces. Dans mes mains, réduire, ne pas entendre… Je le ploie en cristal, je le reforme en diamant pour chasser de moi la crainte de la poussière : non, pas poussière, cristal ; et bien distinctement depuis l’autre bout du monde, avec ses yeux qui me percent et me condamnent, il parle ainsi : « … que Dieu est mort ? »


Le monde s’en est retourné à la poussière. Le souffle du ciel entre les monticules grisants d’une sphère de sable. J’ai ri, car rire et pleurer se rejoignaient en ces temps-là. À mon tour j’ai parlé ainsi à mon cœur : « Même si l’encre, ici aussi, s’infiltrera, comment pourrais-je vivre sans cœur ? » Tout cela est le propre des vérités qui se chevauchent avec les vérités d’une nuit ou d’une vie, portant toutes le masque du monde. J’ai pris mon rêve, l’ai enterré, et suis parti dans une nouvelle forêt où j’ai prononcé : « Ceci j’appellerai Harmonie. »



« Serais-ce possible (…) » tiré du prologue d’Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche



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