Écrire une microfiction à partir du poème Le Dormeur du Val d’Arthur Rimbaud, 1888. (consigne de Mme Milena Mikhaïlova)
Au sortir du gangbang d’un ours sibérien en compagnie d’Assad, Kadyrov et Loukachenko, Poutine a ordonné que l’on assassine le dormeur du val. Quand l’obus est tombé, il défendait Kharkiv à lui tout seul, planqué derrière trois sacs de sable colmatés par les restes de sa famille. Il n’a pas de trous au côté mais rougit tout entier le cratère où ses chairs se disséminent. Peu avant de s’assoupir, il a bercé à la kalash un bataillon de soldats russes, dormeurs du val de pas vingt ans, nostalgiques du temps où le petit père des peuples purgeait l’idéal soviétique de la présence de leurs aïeuls. Tous roupillent désormais sur un chemin de terre où près d’un siècle auparavant des paysans étiques se cannibalisaient, dévorés par l’Holodomor, après avoir consommé tous les chiens errants, minets, taupes et blaireaux qui trainaient dans les champs de blé saisis en prévision des lendemains qui chantent.
Après celui de Rimbaud, le dormeur du val s’est fait moutardé dans une tranchée, crachant ses poumons enflammés dans la terre glaise, plié en deux sous le ciel obscurci par le déchaînement de la Grosse Bertha. Ensuite, il a piqué du nez sur une barricade de fortune à la sortie de Barcelone, un bréviaire anarchiste en poche, un pruneau franquiste en plein front et une balle stalinienne dans le dos. Canardé sur une plage normande en 44, son corps inerte a roulé au gré du ressac, empêtré dans les algues, criblé de fientes, envahi par de petits crabes qui l’ont nettoyé jusqu’aux os. Fait prisonnier à Stalingrad, le dormeur s’est assoupi en griffant les parois de béton d’une chambre de Dachau, enfoui sous un amas d’enfants et de vieillards bleuis comme lui aux émanations de la solution finale. L’un de ses frères captifs, ayant survécu jusqu’à la victoire aux diagnostics du médecin-fossoyeur du camp — SS féru d’opéras wagnériens, spécialiste d’Heidegger et épigone de Mengele — a eu l’opportunité de revoir la mère patrie. À peine a-t-il franchi les portes de Moscou, les côtes saillantes et le teint gris, les yeux absents rouges et jaune-pus, que la foule en liesse l’arracha du sol. Incrédule, il contempla les cieux déserts où il fut projeté mille fois de suite, humant dans les hauteurs les fumées crématoires qui planaient encore sous les nuages gris. Insensible aux piquants des décorations épinglées sur sa poitrine, sourd aux vivats, les hourras nos héros de la Grande Guerre Patriotique, il n’entendit que le craquement de son ossature carencée, brisée un peu plus à chaque bond. Le sommeil l’emporta plus tard dans un goulag d’Extrême-Orient, lorsque sa rééducation, jugée plus sûre après son séjour en Allemagne, devint trop assommante.
À quatre-vingt-deux ans, le dormeur du val pionce pénard sur un transat de Copacabana. Il est mort d’une insolation, une Caipirinha dans une main l’autre glissée sous l’occiput, découvrant au creux de son bras un tatouage de groupe sanguin maquillé en smiley. En 2016, il s’est éteint d’une OD de viagra dans un bordel des faubourgs de Belgrade, fier de l’épuration pratiquée en Bosnie sur le parquet d’un gymnase de Srebrenica. Non loin de Battambang, dans sa maison bâtie sur une fosse commune où gisent dix-mille traîtres à l’Angkar, le dormeur a sombré au beau milieu d’un rêve où Pol Pot le louait pour son sens du devoir. Un autre, hanté par le regard d’une mère et de ses trois enfants l’implorant au fond d’une case en bambou de la jungle vietnamienne, repose sur le carrelage d’un fast food new yorkais, le canon de son flingue en bouche, baignant dans le ketchup des cinq clients partis avec lui ce jour-là.
Au sortir d’un match de hockey sur le permafrost craquelé d’une forêt boréale, Poutine a ordonné que l’on réchauffât la guerre froide. Craignant que sa trace ne fût pas assez visible sur le bol de l’Histoire aux chiottes, il a décidé d’exalter les lendemains qui hurlent.
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