Écrire (au plus) une page (A4) en commençant par la formule empruntée à André Breton : "il me fait jouer de mon vivant le rôle d’un fantôme" (dans "Nadja"). (consigne de Jean-Michel Devésa)
Il me fait jouer de mon vivant le rôle d’un fantôme.
Glissant sans un bruit parmi l’existence fourmillante des âmes bruyantes et colorées autour de moi. Un égaré parmi les vivants. Perdu dans le tumulte de vie, des rires, des voix. Étouffant moi-même mes bruits, mes voix, ma vie, au profit des autres. Tout résonne en moi, comme un carillon d’argent ou, au contraire, comme un gong qui fracasse le sol.
Écouter la vie se dérouler autour de soi peut être effrayant, étourdissant de vertige comme apaisant. Entendre les autres veut dire que l’on est vivant. On renvoie comme un miroir, comme une caisse de résonance.
L’écho. Comme une écholalie du vivant.
Répétant, quelquefois à outrance, les sons entendus, les couleurs perçues, les gestes vus, la vie en face de moi.
Nous sommes les fantômes du futur, et pourtant nous sommes hantés par les fantômes du passé que nous avons incarnés. Les souvenirs sont tel un carrousel qui tourne au-dessus de nos têtes, renvoyant sur fond de mélodie ce que nous avons vécu, ce qui nous a fait, dessiné, créé, marqué.
L’image drapée des fantômes n’est pas uniforme et unicolore. Elle est faite de retouche, patchwork des expériences passées. Cicatrices, physiques mais surtout psychologiques, du vécu, qui marque comme une chute marque un pantalon, comme de la peinture marque les vêtements. Comme une blessure marque la peau, la première peau.
Il me fait jouer de mon vivant le rôle d’un fantôme, l’autre moi. Celui qui existe en même temps, en décalé. Ni lui, ni moi, ni les autres, nous ne nous sentons à notre place, parmi ce tumulte de vie des âmes alentours. Nous mimons, imitons, analysons, sans vivre, bouillonnant de vie et de vide. Tel un drapé fantomatique, physiquement présent mais vide et volatile. Tel une coquille inhabitée au sein d’une fourmilière, ballottée par les flots de marée humaine, renvoyant les bruits et gestes de ceux qui vivent.
Avons-nous même une place ?
Nous, les fantômes du passé, les fantômes présents, le regard tourné quelques fois vers ce brouillard qu’est le futur.
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