Mystique
Pour croire les choses il faut déjà les avoir vues. Moi je suis comme Saint Thomas, je ne crois que ce que je vois, c’est vous dire pas grand-chose. Car à part les horreurs diffusées en boucle à la télé je n’ai absolument rien vu. Mais alors rien du tout ! Ou alors à force de voir les choses, on ne les perçoit plus ; c’est comme la violence du reste, on s’y habitue. Non moi je n’ai rien vu et surtout pas les choses venir. Je n’ai rien vu de l’Amour, ni de la Terre promise ni encore moins du Paradis et des rêves que l’on nous a vendus. La retraite méritée, le havre de paix et la félicité dont on nous vante à longueur de journée les mérites semblent une utopie bêtement perdue.
À force d’y croire les choses finissent par disparaître d’elles-mêmes il semblerait. S’estomper pour de bon dans les limbes. Je suis comme un ange déchu à qui l’on aurait arraché les ailes et que l’on aurait placé entre les pattes d’un enfant sadique juste pour le plaisir de nous faire (et nous voir) souffrir.
L’homme est un loup pour l’homme et surtout pour lui-même, je ne fais que répéter ce que d’autres ont pensé avant moi, je ne fais qu’avaliser cette idée, bien à ma place dans la toute puissante matrice. Quand on voit toutes les horreurs dont il est capable et dont il se rend coupable, toute cette cruauté qui bien souvent atteint des proportions inimaginables, comment penser autrement ? C’est à chaque fois une surenchère ! Cet homme soi-disant doué de parole et de raison, descendrait du singe en une version améliorée 5.0 et qui se dresserait fièrement et marcherait sur ses deux pattes postérieures, la tête droite ? C'est-à-dire sans rien avoir à se reprocher ? Laissez-moi rire !
Je n’ai du reste aucune confiance en l’être humain ni non plus en notre soi-disant humanité. Pour ne pas dire je suis dubitatif, je demande à voir. Prouvez-moi le contraire et alors vous prêcherez un (nouveau) converti ! Le ver est dans le fruit, il faudrait pour cela tout déshumaniser, dératiser, désinsectiser, tout brûler et tout noyer pour repartir de zéro... Ou sans doute une bonne troisième guerre mondiale pour éradiquer tout ça, un bon coup de pied dans la fourmilière ou alors une attaque de zombies sortie de nulle part (et qui du reste, vous verrez dans quelques temps, nous pend forcément au nez). Seulement Dieu avant nous a essayé et il n’en est rien ressorti.
Pour ainsi dire, presque aussitôt après nous avoir créés (je veux dire Adam et Eve mais surtout leurs descendants), il a regretté : « mon Dieu (quoiqu’il doive user d’un autre qualificatif en parlant de lui) quelle erreur j’ai encore faite » s’est-il sans doute dit, ou quelque chose s’en approchant. Il fallait nous détruire une bonne fois pour toute, ne pas faire les choses qu’à moitié. Alors pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Pour tout dire, il n'en est pas à son premier galon d’essai. Les sept plaies d’Égypte, l’Atlantide, la tour de Babel, Babylone, le Déluge, l’Arche de Noé, les Cavaliers de l’Apocalypse, la peste, les deux guerres mondiales, l’Holocauste, Hiroshima et Nagasaki ; ça n’a rien changé. L’humanité s’est reconstruite sur des bases pourries et il ne peut sans doute en être autrement. Puisque le seul dénominateur commun c’est nous.
Il faudrait pouvoir nous enlever de l’équation pour résoudre le problème. La solution est en nous. C’est une sorte de solution finale à toutes nos interrogations. L’humanité doit disparaître et ne jamais renaître, vous savez, un peu comme les dinosaures avant nous. De toute façon je n’ai jamais vu un être vivant aussi inadapté. Alors à quoi bon continuer ? C’est une attitude sadomasochiste que de vouloir le faire puisque vivre c’est souffrir, puisque respirer c’est douloureux ; d’ailleurs l’enfant nouveau-né pleure en respirant notre air pour la première fois et nous voilà pour de bon rassurés ! Bienvenue parmi nous mon enfant ! Dans notre monde où tout n’est que douleur, souffrance et surtout un immense regret : de ne pas pouvoir retourner dans le ventre de notre mère. Après je ne dis pas, peut-être qu’en grandissant on peut atteindre un certain stade d’autosatisfaction. Mais à quel prix ?
Les expériences de la vie, c’est cela qui nous forge réellement. Les voyages, les claques dans la gueule que l’on se prend. Les désillusions, les séparations, les échecs scolaires ou sentimentaux… Les voyages forment la jeunesse dit-on bien souvent. Pour ma part je n’ai pas beaucoup voyagé mais j’ai pourtant l’impression d’avoir vécu mille vies et d’être lessivé par le tambour de la grande essoreuse, usé complètement jusqu’à la corde. Vidé de toute substance intrinsèque. Je ne transpire pas ma pensée, mes idées ; je les dégouline… Il faudrait pour me sécher m’étendre entièrement nu sur une corde à linge. Puisque toute vie ne tient qu’à un fil, et donc a fortiori à quelques épingles près… Il faut savoir s’y accrocher comme on s’accroche à une conviction, à une religion ou bien à un courant de pensée.
Alors pour nous donner une raison supplémentaire de vivre on se crée notre propre religion, notre propre perception du réel. On se raccroche à Bouddha, à Jésus, à Mahomet etc. et aux gens qui ont souffert avant nous sur la croix. On se réfugie alors au choix dans le silence, la solitude, le travail, la famille ou bien la nature pour y trouver des explications rationnelles. Chacun d’entre nous pense par lui-même. Plus que tout au monde, moi je crois en la Lune et en ma bonne étoile placée là-haut dans le ciel et qui veille sur moi. J’ai une foi absolue en tout ça. Sinon pourquoi serais-je là ? Je ne vois pas d’autres explications à tout ce cirque, à cette grande comédie que l’on appelle la vie. Mes parents m’ont baptisé (bien que là encore ils ne m’aient pas laissé le choix ni demandé mon avis car j’étais bien trop petit pour décider de quoi que ce soit), je suis donc de fait catholique. J’ai suivi la catéchèse (en prenant ça et là quelques idées et passages intéressants dans la Bible ou bien en en empruntant à d’autres), je me suis penché un peu sur la question (sans pour autant avoir la prétention d’être un spécialiste), j’ai effectué ma première communion, je suis allé de temps à autres à la messe du dimanche matin bien que je n’y trouvais aucun plaisir, aucune joie. Après j’ai préféré laissé tomber. Je me dis que plus tard sans doute j’y retournerai.
La religion, la Foi, ça doit être comme le bon vin, ou le whisky, on ne doit pouvoir l’apprécier qu’une fois plus grand, pour en percevoir le sens et toutes les subtilités. Avant ça le palais n’est pas encore formé, la barbe n’a pas encore poussé… De plus je n’avais vraiment pas envie de ressembler moi aussi à une grenouille de bénitier. Enfant de chœur à l’église ? Et puis quoi encore ? Ho grands dieux jamais je n’enfilerai une robe ! Je suis un homme (et donc de fait un humble pécheur) intègre et honnête ! Pourtant plus tard, j’ai rompu ma promesse, je me suis marié devant Dieu pour ses beaux yeux à elle, pour le meilleur et pour le pire (ceci dit en passant ils sont gentils de prévenir). J’aurais sans doute dû me douter de quelque chose à ce moment-là surtout que plusieurs fois Dieu m’avait envoyé des signes que je n’ai su lire que bien plus tard comme un AVC qui semblait vouloir dire : « cours pauvre fou ! Et surtout ne te retourne pas ! »
Mes grands-parents étaient catholiques pratiquants. Ils allaient chaque week-end à la messe et se comportaient en bons chrétiens. Le jeûne, le Carême, Noël, les fêtes consacrées, tout y passait. Ça ne leur a pas empêché pourtant de passer de l’autre côté en faisant un long détour par la case souffrance aux allures de purgatoire plus que de prison (et sans toucher les 20 000 francs). J’ai d’ailleurs écrit et lu un joli poème à l’occasion… Pour l’enterrement de ma grand-mère surtout. Pour mon grand-père plusieurs années plus tard je n’y suis même pas allé, honte à moi. J’en avais sans doute assez de toute cette souffrance et de cet état transitoire qui caractérise tant l’être humain. Je crois qu’aujourd’hui elle me manque, je veux dire ma grand-mère et non pas cette foutue mort qui me l’a enlevée ; elle et ses souvenirs.
Elle avait les cheveux comme les blés délavés. Couleur gris poivre. Je l’aimais bien ma grand-mère, elle me faisait rire et me sentir moi-même. Pour ainsi dire elle a fait les joies de mon enfance à quasiment elle seule. Maintenant cette époque est hélas révolue. Je n’ai plus que mes yeux pour pleurer, il faudrait le voir pour le croire, moi qui ai le cœur désormais insensible comme de la pierre (et du même nom que l’Apôtre bien évidemment). Je me surprends moi-même.
Une sale maladie l’avait touchée, elle ne se rappelait plus qui nous étions, c’était dur quand nous allions la voir. Elle était comme un légume sur sa chaise, l’odeur de la mort et de l’hôpital avec des relents de matières fécales. Elle ne parlait plus beaucoup, et quand elle parlait c’était pour dire des choses sans queue ni tête qui s’étaient passées il y a bien longtemps. Bref nous étions auprès d’elle comme absents. La maladie d’Alzheimer fait perdre toute dignité… J’adorais lui rendre visite enfant (elle était tout pour moi, joie, sourire et bonheur), adolescent il en était tout autrement… C’était une corvée encore pire que d’aller à la messe, mais je me devais de le faire pour tout ce qu’elle avait été pour moi avant.
C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me poser des questions existentielles sur la raison de notre présence ici. Sans pour autant y trouver de réponses. Je m’assombrissais jour après jour, nuit d’insomnie après nuit d’insomnie. Je me sentais tout petit et démuni, définitivement perdu dans un univers démesurément grand. Je me représentais tout petit allongé dans un lit aux draps blancs et dans une grande pièce absolument silencieuse et sombre qui devenait à vue d'œil de plus en plus grande. Avec le temps j’alimentais ce chaos qui vivait en moi. Au collège je dessinais des corbeaux, des pendus, mes dessins avaient perdu de leurs couleurs et de leur magie (mais la faute à qui ?). Je me demandais Diable ce qu’il pouvait y avoir après la mort. Ce grand mystère qu’est l’après, oui très sérieusement ça me tarabiscotait, pour ne pas dire ça me minait l’esprit. C’est sans doute de là que viennent mes cernes et ma calvitie. À force de trop y penser…
Ne pas tomber dans l’oubli, surtout ne pas plonger dans la Nuit. La vie, la mort et après plus rien ? Définitivement ? La science et la religion bien souvent entraient en contradiction et me confortaient dans l’idée qu’après il n’y avait plus rien, que c’était bel et bien fini… Comment vouloir vivre après un tel constat ? Surtout lorsqu’on est encore qu’un enfant… Je décidais alors de ne plus grandir, à la façon d’un Peter Pan. De rester cet enfant heureux d’autrefois qui faisait la joie de mes parents. Ou bien de toujours garder cette part de lui en moi. Le monde des adultes et le monde réel pourtant ont brisé tous mes rêves. Je suis passé directement de la case enfant à la case adulte sans aucune transition. Le choc a été brutal. Le retour sur terre douloureux… Les ailes définitivement brisées, l'œil hagard et perdu.
Mon adolescence justement, ou plutôt son absence, c’est ce qui a fait de moi une fois adulte un être mélancolique et désenchanté qui ne croit plus en rien. Pas même en lui-même… A quoi bon vivre cette vie si elle n’est parsemée que de décès et chagrin ? Je les ai tous vu partir un à un. Mes proches (ma tendre sœur Marguerite qui faisait office de professeur, mes grands-parents), mes amis (bien qu’avec le temps je n’en eus plus beaucoup), et même les voisins, bientôt viendra mon tour je le sais ; la petite aiguille trotte sur l’horloge du salon et le tic-tac du pendule troue le silence de la nuit. À chaque décès on arrête le balancement des horloges, c’est plus qu’une superstition ça doit vouloir dire quelque chose. Et puis on leur ferme les yeux, on leur glisse un bisou humide et chaud sur le front ridé qu’ils ont déjà glacé. C’est le baiser de la mort et rien que d’y penser ça me glace le sang. Moi qui pourtant n’ai plus rien de vraiment vivant à l’intérieur.
Je hais les cabinets de médecins, les blouses blanches, les hôpitaux, les maisons de retraite, les décors aseptisés, les cimetières. Ils ont plongé ma joie et mes rêves six pieds sous terre en me laissant en tête-à-tête avec ma folie. Je refuse de m’y rendre à nouveau, à chaque fois ça ne coupe pas, c’est pour nous une mauvaise nouvelle. Un décès, une maladie qui nous laisse en sursis. Ils nous enlèvent toujours injustement ceux que l’on aime. La mort ce n’est pas juste, la vie quant à elle est terriblement injuste...
Il faut s’endurcir, se préparer à voir les autres partir avant soi. J’aurais pourtant souhaité être le premier à tirer ma révérence pour n’avoir aucun chagrin en moi. Sentir aucune douleur profonde. Ne laisser couler aucune larme à mes yeux. Seulement c’est une pensée égoïste car ce chagrin on le reporte sur les autres. Aussi me dis-je que le chagrin c’est comme une maladie ou une sorte de flambeau qu’on se passe de main en main. Tout au plus on retarde l’échéance. Le cœur endurcit, je dirais même qu’arrivé à un moment on ne doit plus pouvoir supporter tout ça. qu’on ne doit plus pouvoir supporter aucune mort supplémentaire sinon la sienne.
À vrai dire, la seule croyance et certitude que j’ai, c’est que je ne crois en rien. Mais ce n’est en aucun cas de l’athéisme, du pédantisme ou quoi que ce soit. C’est ma conception de la vie bien à moi. Ni politique ni religion ni appartenance à aucun pays, je suis un être magnifiquement libre et apatride, doué de réflexion et tourné sur lui-même. Pas Scientologiste ni d’aucune secte mais Nombriliste profond au sein-même de notre Alma Mater et de notre propre nature. En position fœtale comme avant, à regarder de l’intérieur le nombril du monde.
Crédits : photographie d’Eugène Druet (1867-1916), Le Penseur de Rodin devant le Panthéon. Le Penseur de Rodin (1880) est une sculpture en bronze d’Auguste Rodin (1840-1917), 1,80 × 0,98 × 1,45 m, exposée au Musée Rodin à Paris
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