Réécrire la microfiction Slogans de David Thomas (consigne de Mme Milena Mikhaïlova)
Le vent souffle dans les hautes structures en béton, abandonnées depuis longtemps. Il siffle et joue avec les matériaux. Les fait résonner, tinter, vibrer, glisser.
Quelques pages d’un magazine abandonné tournent, dansent, accompagnées par la main d’Eole.
Mais en ce monde-ci, il n’y a plus de dieux, ni de Dieu. Il n’y a plus rien de saint ni de profane. Il n’y a que la voix du vent. Et ses mots silencieux sonnent dans les espaces vides.
Il n’y a plus de livres. Enfin, si, peut-être. Les vestiges du Monde d’Avant ont été éparpillés. Et puis, à part pour servir de matériel de chauffage, ou de torche cul, un livre ne sert pas à grand-chose. Le savoir et la fiction ne servent à rien dans un monde en perdition, où les gens ont faim, ont peur. Et, il remonte maintenant à loin, le temps où l’on utilisait les mots et verbes pour conter mille histoires, toutes plus fantastiques et irréelles.
Ce monde-ci pourtant est bien réel. Pas de fiction. Il n’y a plus de livre, plus d’histoire, ni même d’Histoire. C’est peut-être ce qui a brûlé en premier. Après les livres de blagues potaches, les manuels pour les nuls, les catalogues de meubles et de lingerie. Il n’y avait de tout de façon plus assez de monde pour s’opposer à leur disparition.
Les mots et images du passé se sont donc évanouis dans l’indifférence presque totale. Les bouches parlèrent, les mémoires se souvenaient. Mais le temps passa. Impitoyable. Cinquième cavalier de l’Apocalypse, raflant les langues et les cerveaux.
Les générations passèrent. Tout s’oublia. On oublia le Grand Changement, la Fin des Temps Connus, le Bug de l’An ____, le grand Blip, le Nuage Noir… Quel que soit le nom que les âmes restantes lui aient donné.
Certaines chansons persistèrent, certains secrets de papiers, certains savoirs de lettres, survivèrent. Même si rien n’était plus comme avant. Mais qui allait s’en préoccuper. Il fallait survivre dans ce monde post-apocalyptique, il fallait chasser, cultiver, construire, échapper aux dangers. Grandir dans cet environnement et dans la continuité de la lignée de survivants qui laissait des séquelles sur les mémoires, des traumatismes sur les esprits.
C’est dans ce monde qu’aucun mot de maintenant ne peut décrire, car le savoir a depuis longtemps été perdu, oublié, mâché, avalé, digéré, anéanti, que j’ai évolué. Mon petit clan vivait de peu et se faisait petit dans les sous-sols creusés. Cavités grattées par mes ancêtres et d’autres. C’est dans cette famille que l’on apprenait, le visage éclairé par des feux, le Passé. Les Légendes. Les Histoires. Effrayés d’entendre ces histoires, comme les carcasses de fer rouillées envahies de plantes grimpantes qui avançaient et faisaient du bruit et qui transportaient des gens, comme les cadres qui affichaient des dessins mais en mieux que ceux fait avec la cendre et les fleurs écrasées et qui pouvaient bouger, enfants, nous préférions les chansons. Les Anciens, descendants éloignés des Grands Anciens du Passé, ressortaient ce qu’ils appelaient instruments. Et jouaient. C’était plaisant. Plus plaisant que les contes.
Lors d’une sortie, j’étais parti plus loin que d’habitude. Le silence était de mise. Aussi bien le monde extérieur que nous. Nous chassions, pas l’inverse.
J’étais parti vers le centre. Là où le sol modifié et craquelé menait. Serpentant au milieu de tours, de métaux, de végétation engloutissant les structures. Avant, les Anciens disaient que les gangs et les mercenaires y avaient leur repaire, mais ils avaient déserté et s'étaient installés comme tout le monde pour devenir des cultivateurs et chasseurs. Pilleurs aussi quelques fois, même si l’énergie les avait désertées. Tout comme la nature, drainée jusqu’à la dernière goutte de son suc naturel et nourricier. La terre était pauvre et malade. Nous aussi.
Dans ce centre, je trouvais des trésors de papiers. J’avais eu le privilège d’apprendre à lire, savoir qui peinait à perdurer dans ma famille. Pas utile.
C’est ce jour-là que je trouvai un morceau de feuille colorée, mais déchirée, moisie sur les trois-quarts. Je pouvais lire sans comprendre les symboles délavés devant moi. J’osai un soupir, cru qu’il résonna dans la grande structure et je repartis, désintéressé du morceau d’Histoire que j’avais tenu entre mes mains. Ça ne se mangeait pas. Ce n’était donc pas important.
« When we were young we used to say
That you only hear the music when your heart begins to break »
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