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Photo du rédacteurKama Datsiottié

Théorie de l'échec

Dernière mise à jour : 29 mars 2022

Écrire une microfiction se terminant par “c’est tout ce qu’il voulait savoir”. (consigne de Milena Mikhaïlova)


Toute sa vie avait été une succession d’échecs qu’il portait désormais sur ses épaules comme un indécrottable fardeau. Il ne voyait pas vraiment où le Destin voulait en venir ni quel plaisir il prenait à jouer ainsi avec lui. C’était un véritable acharnement ! Oui décidément, Mallaury se faisait l’impression d’être la tête de turc de ce dernier ou bien une tête d’ampoule dont on maltraitait l’existence dans la cour de récré.

Aussi, et pour ne pas mourir idiot, il décida alors de casser son cochon rose porcelaine pour rassembler illico presto ses maigres économies. Il en avait marre il faut dire, d’avancer à tâtons dans le noir dans un interminable entonnoir, sans jamais vraiment savoir où aller, en se prenant les pieds à intervalles réguliers dans le tapis ou bien dans des obstacles douloureux que des sadiques avaient pris soin de déposer devant lui. C’était comme si par avance, on lui avait savonné la planche.

Ce jour-là, Mallaury avait pris la décision irrévocable de prendre son destin en main, à défaut de gamelles. Son corps avait dit stop, il voulait savoir maintenant où toute cette chienlit le menait. Avec son lot de croûtes, de cicatrices, de coups de blues et de mercurochrome… Sauf qu’il n’avait rien du héros mais plutôt tout de l’anti-héros. Il avait soufflé ses bougies tristement, pour pas changer, seul dans son appartement le mois dernier. Aucun ami ne gravitait autour de lui, ni aucun collègue, non, pour cela il aurait fallu avoir un job, et Mallaury était depuis toujours allergique à la servitude volontaire.

Il vivotait du subside des aides sociales versées conjointement par la CAF et le Pôle Emploi mais aussi d’aides alimentaires. D’amour et d’eau fraîche autrement dit et de sa passion pour l’écriture, sauf que sa carrière d’écrivain avait toutes les peines du monde à décoller… C’était lettres de refus catégoriques sur lettres de refus types, ce qui était d’autant plus désespérant. Si bien qu’à force, Mallaury s’était pris pour Jésus et avait du jour au lendemain décidé de changer l’eau en vin et le pain en bière afin de lui procurer un semblant de génie dans son écriture par trop stéréotypée et je cite : « dénuée de toute originalité et donc d’intérêt ».

Bref, Mallaury était devenu un ours renfrogné vivant dans une grotte sombre en marge de la société et il se demandait quand cela allait bien se terminer. Niveau sentimental ce n’était pas mieux, sa dernière relation avec une fille datait de Mathusalem, et encore elle était tarifée, puisque dans ce bas-monde hélas tout se paie… Son chat avait même décidé de se jeter par la fenêtre l’autre soir en rejoignant la longue liste des chats de gouttière qui avaient mal tourné. Aussi Mallaury avait décidé de ne plus jouer au bon Samaritain et recueillir dans la rue ces pauvres bon Dieu d’animaux, car il fallait croire qu’il n’avait pas la main verte avec eux.

Depuis tout petit, Mallaury avait l’impression de faire du sur-place, de ne pas y arriver. C’était un effet d’optique car même en restant immobile, la Terre nous faisait avancer, c’était juste nous qui n’en avions pas conscience… Il écrivait jour et nuit, la chance allait bien lui sourire à force, sur un malentendu sans doute ou pour récompenser son acharnement. Après tout c’est à la fin de la foire que l’on compte les bouses. Ses étrons littéraires finiraient bien par trouver preneur, ce n’était qu’une question de temps.

Mallaury sentit alors son cœur se gonfler d’espoir, lorsqu’il vit une petite caravane rose bonbon garée sur le parking abandonné en face de sa tour de béton. Sa tirelire brisée en mille morceaux, il descendit les treize étages à grandes enjambées. Son cœur palpitait, devant la porte de la roulotte, il hésita un instant. En tout et pour tout, il n’avait pu rassembler qu’une vingtaine d’euros, il espérait néanmoins que cela suffirait. Il en avait une telle envie !

La bougie sur le tableau de bord de l’utilitaire était allumée. Les rideaux étaient tirés. Il prit alors son courage à deux mains et toqua deux fois. _ « Entrez ! » fit une voix à la fois suave et autoritaire. Il pénétra alors les lieux en prenant grand soin de refermer la porte derrière lui tout en priant pour que personne ne l’ait vu. « Asseyez-vous » qu’elle lui fit, « mettez-vous à l’aise ». Silence pesant, elle le dévisagea alors de haut en bas : « et pour ce monsieur qu’est-ce que ce sera ? L’amour, l’argent, la santé ? ». « Non, non qu’il lui répondit en balbutiant, rien de tout ça, juste dites-moi madame, quand est-ce que ma chance tournera ? » car finalement c’est tout ce qu’il voulait savoir…


XK (Limoges, le 14.02.22)




(Crédits : Claude Bonnefond (1796-1860), La diseuse de bonne aventure (1830), huile sur toile, 64 x 76 cm, Musée national du château de Compiègne)



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