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Photo du rédacteurMarie Pompier

Un va et vient

Écrire une microfiction à partir du tableau de David Hockney Le Parc des Sources, 1970. (consigne de Mme Milena Mikhaïlova)



Parfois les silences pèsent. Et je sais de quoi je parle, je les remarque immédiatement, ces silences qui vous tendent, qui rendent votre chaise inconfortable ; ils inclinent votre dossier vers l’avant, lancent une horde de fourmis le long de vos mollets et me font parler. Parler sans plus pouvoir m’arrêter. Mes mots veulent remplir tout cet espace, ces silences sont des vides et je m’improvise architecte. Un goût prononcé pour un kitch très anglais. Je comble de bibelots vocaux, je déballe tout mais surtout rien d’intéressant. Plus je parle, plus mon interlocuteur se tait et plus j’entends qu’il se tait. Alors j’accélère le débit pour m’assourdir de banalités mais l’effet rate, tant pis je continue. Peut-être que ce sera la prochaine phrase ou celle d’après, qui déliera enfin sa langue. La langue de l’autre qui me regarde m’agiter sans bouger. Traître. Ma stratégie a beau ne pas fonctionner, je persévère, refusant de céder au silence, à une absence de bruit menaçante.

Mais avec elle, ça va. Quand on s’assoit comme ça, le silence se radoucit, les fourmis se changent en une brise agréable, je me coule dans ma chaise et même mes paupières ralentissent. Je me calme tout entier, m’accorde le temps de savourer, d’apprécier à chaque nouveau regard ce parc qu’on observe ensemble. Je suis si bien que jamais je n’ai pensé à lui parler. Maintenant je m’en rends compte mais une fois face aux parterres, quand je la sens sur la chaise à côté, plus rien, l’encéphalogramme plat, les autres sens prennent le contrôle de la machine. Elle me change en brin d’herbe. Je me délecte du soleil et même la pluie me comble, les gouttes me chatouillent et tant qu’elle ne fuit pas moi non plus. Je ne suis jamais parti avant elle. L’herbe ça n’a pas de jambe. L’herbe c’est au milieu d’une pelouse et moi je suis au milieu de tout, les contours se brouillent. Puis elle part et je retrouve mes pieds. Je retrouve le froid et réalise que j’aurais dû prendre un gilet, ça m’ennuie mais je finis toujours par rentrer. J’aimerais rester là au milieu des autres pousses, mais quand elle part tout s’arrête, ou plutôt tout reprend, le monde réaccélère et je crains les bruits à nouveau. Je reviendrai au parc, ma femme arbre m’ensorcellera à nouveau.



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