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Photo du rédacteurMarion Daure

Une cigarette au parc un beau jour de printemps

Dernière mise à jour : 29 mars 2022

Écrire une microfiction se terminant par “c’est tout ce qu’il voulait savoir”. (consigne de Milena Mikhaïlova)


Quand le feu passa au vert, il démarra en trombe et remonta d'un trait la dernière portion du périph avant de bifurquer dans la rue Porte-Bonheur. Il se gara à la va-vite le long du square, coup d’œil furtif sur le tableau de bord, 12h10, il aura un quart d'heure de retard.

Ça faisait déjà une heure qu'il y pensait, une heure que l'envie le tenaillait et qu'il était à cran. Il ne savait pas trop au bout du compte si c'était le manque de nicotine ou les boules d'avoir repris qui lui serrait la gorge. Le voilà donc de nouveau contraint, après dix ans d'arrêt, l'âge de l'aîné, à suspendre régulièrement le cours de sa vie le temps de se griller une clope. Mais aujourd'hui, il l'avait tout de même bien méritée. Bosser le samedi matin pour clore la comptabilité puis enchaîner sur le planning serré des petits, c'était sa semaine, le grand et son match de basket, le petit à l'anniversaire d'Emile et les lessives qu'il fallait faire avant le switch de fin de week-end, ça faisait beaucoup pour un homme seul. Juste une petite pause entre deux coups de feu.

Il s'assit sur le banc sous le tilleul, juste en face du toboggan et du bac à sable où ils les emmenaient quand ils étaient plus petits et qu'elle ne l'avait pas encore quitté. Il alluma sa cigarette et tira une longue taffe, expulsant tous les nœuds du corps dans les volutes de fumée. Le square était désert. Pourtant, le printemps renaissant qui donnait des feuilles et des bourgeons aux arbres le rendait très agréable. C'était gâcher de sa beauté que de s'y retrouver dans ce contexte, la cigarette qu'il fallait fumer à la hâte et en loucedé parce qu'il ne pouvait déjà plus s'en passer et qu'il ne voulait pas que les enfants le surprennent, ils le diraient à leur mère.

Et pendant que le soleil se frayait un passage à travers les branches pour caresser son visage, les enfants commençaient à trouver le temps long, la petite aiguille qui dépasse le douze sur la pendule du salon, papa devrait déjà être là maintenant. Et alors que les feuilles frémissaient et scintillaient au gré du vent, les petits sortaient faire un basket même s'ils n'en avaient pas le droit, vous ne sortez pas avant que je revienne, leur avait dit papa. Et au moment où il écrasa sa cigarette, le ballon se coinça dans le filet et le petit, sept ans à peine, monta sur l'escalier juste à côté pour être à la hauteur du panier. Et pendant que le grand hurlait au petit de descendre, pendant que lui accélérait le pas, courant presque pour traverser le parc, le petit se hissa sur la pointe des pieds et allongea son corps trop petit pour accrocher le cercle puis bascula dans le vide, les cris du grand en bas, le bruit mat d'une tête qui tombe la première et le rouge d'une flaque de sang qui s'étale sur les dalles.

Il entra comme une bourrasque dans la maison, espérant les trouver en train de regarder tranquillement la télé dans le salon. Que cette putain de cigarette ne les avait pas tués, à cet instant, c'est tout ce qu'il voulait savoir.


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