Écrire (au plus) une page (A4) en commençant par la formule empruntée à André Breton : "il me fait jouer de mon vivant le rôle d’un fantôme" (dans "Nadja"). (consigne de Jean-Michel Devésa)
Il me fait jouer de mon vivant le rôle d’un fantôme. À cause de lui, j’ai eu l’impression d’être devenue inexistante aux yeux de tous, sans intérêt. Oui, à cette époque, j’étais comme un fantôme : invisible, transparente… et pourtant bien réelle.
Lorsque j’ai fait sa connaissance lors de mon premier jour au collège, j’ai peu à peu changé : moi qui était si sociable et enjouée, je me suis peu à peu refermée sur moi-même. Bientôt, j’ai eu l’impression de hanter les autres élèves de ma présence, avec mon teint pâle et mon visage en permanence tordu par un masque de tristesse impossible à cacher.
Qu’est-ce que j’y pouvais si je n’arrivais pas à cacher la souffrance qui me tordait le ventre, chaque fois que j’allais en cours ? Qu’est-ce que j’y pouvais de me démarquer des autres avec ma peau très pâle contrastant violemment avec mes cheveux noirs ? Qu’est-ce que j’y pouvais si Fady, mon camarade de classe, avait décidé de me prendre pour cible privilégiée avec ses insultes permanentes, méchantes et gratuites ?
Oui, Fady me tourmentait de son harcèlement. J’ai d’abord essayé de me défendre, puis d’en parler autour de moi… mais personne ne m’a écoutée. Ni ma famille, ni mes amis.
Personne ne m’a prise au sérieux, pensant que j’exagérais ma douleur. Personne ne s’est rendu compte que lentement mais sûrement, je me transformais en une espèce de fantôme vivant, hantant silencieusement les couloirs du collège dans l’unique but d’échapper à Fady… Le responsable de ce nouveau rôle que je n’ai jamais voulu jouer.
Je n’ai jamais voulu me transformer en la victime de quelqu’un, de devenir le souffre-douleur de quelqu’un… Mais parce que j’avais bien trop peur de Fady pour pouvoir sérieusement espérer m’opposer à lui et parce que personne ne prenait mon cas au sérieux, je l’ai laissé continuer sa manipulation… Je l’ai laissé continuer à me transformer en une espèce de spectre sans défense et sans importance.
Une année s’est écoulée comme ça. Puis une autre. Puis encore une autre… Au final, j’ai passé mes quatres années de collège à permettre à Fady de continuer ainsi son petit jeu pervers qu’il semblait trouver si amusant… Je crois qu’il aimait voir la souffrance progressive qu’il instillait en moi, voir mon état physique se dégrader peu à peu, devenir de plus en plus pâle et maigre…
Et puis vers la fin, il est devenu plus violent avec moi : avec les mots, mais aussi avec les gestes, lui qui jusque-là, ne m’avait encore jamais frappée…
Cette pression-là, redouter les coups extrêmement douloureux de Fady, je n'ai pas pu la supporter : déjà que je ne pouvais plus regarder l’image spectrale et effrayante que me renvoyait mon reflet dans le miroir, je ne pouvais pas accepter de me laisser dominer par la violence physique d’un garçon.
Alors, peu avant les vacances de Noël, je me suis défenestrée d’une des fenêtres d’une salle de classe, au quatrième étage.
J’ai fini totalement désarticulée sur le sol de la cour de récré… Et même si les secours ont tenté de me réanimer, mon cœur n’a pas résisté : j’étais trop mal en point…
Oui, Fady avait fini par me tuer. De mon vivant, il m’a fait jouer le rôle d’un fantôme. Mais morte, le fantôme a fini par disparaître pour à nouveau laisser place à la fille joyeuse et insouciante que j’étais autrefois.
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