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À vendre

Écrire une microfiction à partir de l’affiche “Ils ont vu cela !” du premier numéro de la revue L’amour, dirigée par Frédéric Pajak (consigne de Mme Milena Mikhaïlova)



– Mais enfin Margaret, attendez…

– Ah non ! Je vous jure, et je le jure devant Dieu, qu’ils vont m’entendre cette fois-ci les gamins. Et hors de question que les parents les excusent !

Parce que ce n’était pas la première fois que les enfants du voisinage venaient jouer dans l’arrière-cour de la maison abandonnée, dont le panneau ‘A vendre‘ sur la devanture était mi-tagué, mi-détruit, voisine de celle de notre bonne Margaret. Phil, sa petite chienne Jocelyne dans les bras, peinait à suivre son amie de commérage, l’une des seules qu’il supportait, voire appréciait, dans ce quartier américain tranquille. Toutes les maisons étaient belles, brillaient, avaient un beau gazon bien entretenu et des parterres bien arrosés. C’était d’ailleurs ce qu’était en train de faire notre protagoniste maintenant en pétard, les pans de son gilet à motif se prenant dans les branchages décrépis des buissons morts, avant de recevoir la visite de son ami chauve qui sortait sa chienne quotidiennement. Elle arrosait, taillait, et réfléchissait à peut-être ajouter plus de rosiers, plus de jonquilles, plus de ci, plus de ça. Bref, à occuper son temps et remplir son jardin de devant, pour peut-être remporter le premier prix du plus joli jardin de la ville. Mais cette fois-ci, un cri strident avait retenti et cela avait été la goutte de trop.

Après moultes bagarres avec les hautes herbes, les branches mortes, les morceaux de ferrailles non identifiées qui parsemaient leur chemin, la petite brune qui avait bien entamé sa quarantaine, arriva enfin là où les herbes couchées témoignaient du passage des garnements.

– Vous savez, peut-être qu’un des enfants est tombé dans un trou ou que sais-je… ajouta le cinquantenaire essoufflé.

Margaret grommela quelque chose comme ‘‘bien fait’’. Margaret n’aimait pas tellement les enfants. Elle avait eu toutes les peines du monde à en avoir, plus pour son ex-mari que pour elle, parce que c’était son rôle. Mais quand elle eut vent de sa tromperie, elle imprima vite fait les papiers du divorce et acheta sa belle petite maison à l’autre bout du pays.

– Ils sont partis, remarqua Phil.

Margaret fit rapidement le tour du petit jardin, et ne trouva qu’un vieux vélo rouillé dont il manquait une roue, une vieille tondeuse à gazon toute noire et des pots de peintures éventrés. Cela faisait déjà un moment que cette maison était inoccupée et non entretenue. Margaret se souvenait peu des anciens occupants, elle venait d’arriver quand le déménagement se passa à côté de chez elle.

– Moi je vous dis, il y a des claques qui se perdent. Déjà, c’est une propriété privée, et ensuite on ne leur a pas appris que dans un tel environnement il est facile de se blesser, j’vous jure, énuméra la brune sur ses doigts.

– Il faut bien que jeunesse se fasse.

Margaret soupira bruyamment, en levant les yeux au ciel.

– De toute façon, je crois savoir quels gamins viennent ici. J’en ai déjà enguirlandé quelques-uns. Les parents vont m’entendre. Y a un parc et des jeux à 10 minutes d’ici. C’est pourtant pas si loin.

Notre Margaret était partie dans un monologue quand elle remarqua une casquette dans l’herbe couchée au pied du mur de la maison décrépite. Elle la reconnaissait. Elle était au petit Kyle qui était le plus jeune de la bande. Un petit blondinet aux cheveux longs qui lui tombaient devant les yeux quand il n’avait pas sa casquette de baseball vissée sur sa petite tête. Un gamin qu’elle arrivait à supporter car aux évènements de quartier, c’était un des seuls à ne pas crier, à ne pas faire de vague, à rester dans les jupons de ses deux mamans, et à ne pas parler. Un enfant silencieux. Si seulement ils pouvaient tous être comme ça, se disait Margaret en allant la ramasser. Puis, elle remarqua des traces de mains sur les carreaux qui donnaient sur le sous-sol, comme si on avait essayé d’essuyer la crasse et la poussière marron. Ignorant les appels et les plaintes de Phil, elle s’accroupit, posa ses mains de part et d’autre de son visage et regarda par la vitre, avant de pousser un petit cri. Phil, dans un boucan du diable d’herbes folles et de fougères, la rejoignit, inquiet.

– Quoi ? Qu’y a-t-il ?

Il posa délicatement sa petite Jocelyne dans un pot de fleur vide, lui donna l’ordre de ne pas bouger, puis se tourna vers sa complice et cette vitre franchement très très sale, qui ne lui inspira qu’une grande grimace de dégoût.

– Oh… oh mon dieu.

– Quoi ?

– Mais… C'était ça !

– De quoi ?

– Mais ça ! Ça, là ! Le pourquoi de leurs cris ! Ils ont vu cela !

À son tour, Phil prit place et mit ses mains de part et d'autre de son visage pour regarder à l’intérieur de la maison. Ce que Phil observa le laissa sans voix et transforma son dégoût en visage horrifié. Il y avait dans cette cave crasseuse et poussiéreuse un corps de femme, qui devait être là depuis un petit moment. C’était ce qu’avaient découvert les enfants en venant jouer à l’arrière d’une maison abandonnée.

Nos deux comparses se tournèrent l’un vers l’autre avec la même expression sur le visage comprenant que, bientôt, le voisinage regorgera de policiers.



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