Un doux vent de folie s’est littéralement emparé de Limoges ce soir (ndlr le mardi 23 mars 2022), et plus précisément du Théâtre de l’Union avec la représentation de King Lear Syndrome ou les mal-élevés d’après la pièce en cinq actes de Shakespeare le Roi Lear, écrite en 1606 et quelque peu dépoussiérée par Elsa Granat.
C’était vraiment jouissif que d’assister aux 3h15 de scène, même si on avait quelque peu envie de se dégourdir les jambes à la fin du spectacle et mal au cul. Mais comme on dit, il faut souffrir pour arriver au plaisir théâtral ! Et c’est donc chose faite, après un coït informel de presque cent quatre-vingt-quinze minutes menant à l’orgasme à la fois visuel, sonore et intellectuel, nous avons eu le bonheur d’assister à un final en apothéose digne des meilleurs feux d’artifice ou concerts de rock !
Musique entraînante et dark à souhait (surtout lors de l’envolée finale et ce moment déchaîné de tempête juste avant l’accalmie), comédiens au taquet (Lucas Bonnifait, Antony Cochin, Elsa Granat, Clara Guipont, Laurent Huon, Bernadette Le Saché, Édith Proust, Hélène Rencurel), dialogues et mise en scène aux petits oignons ! Tout était réuni pour nous faire passer véritablement un délicieux moment ! D’ailleurs le public ne s’est pas trompé, et le théâtre de l’Union affichait salle comble.
Il en avait du reste pour son argent. Doux amalgame entre costumes élisabéthains et modernes. Problèmes et questions sur l’existence somme toute intemporels et problèmes de société actuels. Dialogues empruntés à la pièce originelle et langage très XXIème forcément plus léché pour ne pas dire châtié. Pour nous offrir un décalage qui n'était pas sans intérêt. À nous rappeler forcément l’excellentissime film Roméo + Juliette de Baz Luhrmann réalisé en 1996, mais pas que.
Finalement, c’est une pièce qui nous amène à réfléchir sur notre propre existence, sur la vieillesse et hélas ses maladies dégénératives, sur le sens de la vie et surtout de la fin de vie que l’on doit pourtant accueillir avec dignité. Avec des personnes âgées que l’on place dans des mouroirs et que l’on oublie pour de bon en posant dessus un mouchoir invisible, le mouchoir de la honte !
Cela bien évidemment nous interpelle. Nous amène à réfléchir et à repenser les EHPAD qui sont, “pour une question pratique il semblerait”, situés proches des cimetières (économie d’essence oblige dans un monde de plus en plus écolo) et où nos « vieux » sont traités comme des moins que rien, de façon tellement indigne et systématique même qu’à force on ne va plus les voir. Pour ne pas s’offrir la vue d’un crève-cœur. Des EHPAD où le personnel est le plus souvent débordé et trop peu nombreux (mais il en est de même de tout le personnel soignant en France hélas). Ce qui conduit à des manques cruels de soin des patients qui sont alors livrés à eux-mêmes.
C’est pourtant pour beaucoup d’entre nous l’avant dernière étape de notre existence, et malheureusement la moins excitante de notre si courte aventure sur cette Terre. En vérité, ce n’est pas seulement la personne sénile et malade ou le « mourant » qui souffrent le plus, mais bel et bien ceux qui restent et qui n’y peuvent rien (et sans doute le personnel de ce genre d’établissements en premier lieu). Car le temps est implacable comme l’action de la Grande Roue sur le cœur.
Alors, autour de nous la famille se déchire, pour une bête question d’héritage, corrompue par ce monde pourri de l’argent. Faute de temps pour s’en occuper ou bien encore de « capacité », on se déleste de nos responsabilités, on place nos « vieux » dans des maisons de retraite (qui est en soi un bien joli mot mais ô combien trompeur) ou autres établissements spécialisés. Cela nous sert bien évidemment d’excuse. Car quand on veut on trouve toujours des solutions mais quand on ne veut rien faire, c’est bien souvent une excuse que l’on trouve...
On veut aussi éloigner loin de notre vue les traces marquantes et implacables de notre propre décrépitude. Ce n’est pas seulement un parent ou un proche que l’on voit mourir progressivement. Mais c’est un peu de nous-même aussi. Car chaque pas que l’on fait nous conduit un peu plus vers la mort. L’Alzheimer de feu ma grand-mère m’en est témoin.
Pourtant ici pas d’apitoiement, pas de pathos ni d’épanchements larmoyants, tout se fait avec finesse et parfois même avec humour. Vous vous surprendrez alors à rire ! Des comédiens tout d’abord, mais aussi par effet ricochet, de nous-même.
Et c’est en cela que je ne peux que chaudement vous inviter à aller voir de toute urgence la pièce ! Pour résumer on ne peut mieux mes propos je fais sous des roulements de tambour à la fois de circonstances et tonitruants mon annonce sur la grand place du village et de cette bonne vieille ville de Limoges.
- Le roi est mort : vive le roi !
crédits : image du site du Théâtre de l’Union à Limoges https://www.theatre-union.fr/fr/show/king-lear-syndrome-ou-les-mal-eleves
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