Ôhó résonne en moi comme un écho à la fois lointain mais si proche. Je me lève le lendemain matin de la lecture à la fois vivante et vibrante du fantastique chant d’adieu Ôhó à Vicq-sur-Breuilh rendue ce jeudi 17 mars à 19h00 dans le cadre des Zébrures de Printemps, et je revois le visage plein de vie de Kouam Tawa. Il me fait face et me répète inlassablement les mêmes mots :Ôhó ! Ôhó ! Ou plutôt il me les chuchote à l’oreille. Je lui fais Ôhó moi aussi en retour, mais de loin, en lui faisant un bref signe de la main. Sur le rivage d’un bien mauvais rêve. Distanciation sociale oblige.
À mi-chemin entre rêve et réalité, je plisse les yeux un bref instant puis je les rouvre, il n’est plus là. Comme un Djinn sorti tout droit d’un conte étrange, il a disparu. Ou plutôt c’est moi qui ne suis plus là puisque je suis rentré chez moi, et puisque toute bonne chose a une fin.
Je paye mon écot à tout ça, à tous ces ancêtres blancs esclavagistes que j’ai probablement eus longtemps avant moi et qui se sont fait de l’argent sur le dos de pauvres gens. Ou bien sans doute étaient-ce eux aussi des hommes réduits en esclavage ? Qui sait. Seulement parfois, ma couleur de peau me donne des nausées et je paie sans doute pour tous les autres. À me sentir coupable d’un crime que je n’ai pas moi-même commis.
Ôhó le monde d’avant, Ôhó l’ami ! Quoi de plus bel hommage que d’écrire un texte en l’honneur de celui-ci. Hélas parti trop tôt et emporté l’été dernier par une maladie invisible rendue paradoxalement trop visible par des masques dénués de toute humanité. Larvatus prodeo mais piano ! Piano ! Car qui va doucement va sûrement. Ôhó le chant du coq au petit matin. Ôhó la musique lancinante qui accompagne la parole et les mélopées qui crépitent et s’envolent en particules de fumée au-dessus du feu.
Il ne faisait pas chaud il est vrai mais au moins nous nous tenions chauds, serrés les uns contre les autres. Épaules contre épaules. À hauteur d’homme. Nous étions en communion et tout ouïe devant la lecture passionnée et passionnante de l’auteur camerounais Kouam Tawa, invité spécialement pour l’occasion et accompagné par Mangane avec quelques instruments du pays (ndlr le Cameroun). Pour sublimer le texte par ses notes, espacer et meubler les silences. Quand les mots ne veulent plus rien dire et sont dépossédés de leur réalité propre.
Une très jolie soirée en vérité au coin d’un feu qui nous réchauffait un peu moins que les paroles chaleureuses d’un adieu. Avec ses notes d’humour et d’espoir. Un bel hommage rendu à l’Afrique tout entière et un bel Ôhó multiple au pays, à une histoire commune, à l’ami. Mais plus que tout une ode à la vie, car après tout, que nous reste-t-il sinon des pleurs, des souvenirs et des sourires de notre passage ici, sur cette terre nourricière, et notre devoir d’honorer les morts ? Afin qu’ils survivent malgré tout et malgré nous.
Un beau texte tout en retenue et en pudeur. Avec de l’humour également, pour repousser un peu plus le moment de nous dire Ôhó mutuellement. Ôhó le frère tombé, Ôhó l’ami envolé. Ôhó l’Afrique et son histoire agitée, Ôhó le pays, Ôhó la vie, Ôhó la nuit ! Et mille fois merci Monsieur Tawa pour ce très beau texte et votre prestation qui étaient somme toute au diapason. Mis en musique et sublimés par les notes aiguës et cristallines de Mangane. Comme un cri déchirant dans la nuit froide.
La salle était comblée, et les spectateurs venus en grand nombre sont passés par toutes les émotions. Nous nous sommes tous retrouvés ensuite autour d’un buffet dans une autre aile du château, un peu moins soumise aux courants d’air et aux aléas du vent. J’ai pu échanger quelques mots avec vous. Et puis vint le moment fatidique de nous dire Ôhó mutuellement. Je suis rentré chez moi, des images plein les yeux, et des sonorités plein la tête. La nuit venue, j’ai dormi d’une seule traite, une nuit blanche sans rêve, et au réveil encore ces Ôhó obsédants qui résonnaient dans ma tête comme un écho, et bien entendu votre visage bienveillant.
Ce texte est pour vous M. Kouam Tawa. Merci à vous pour cette magnifique prestation ! Ainsi qu’aux organisateurs de cette rencontre des Zébrures de Printemps sans qui cette belle rencontre n’aurait pu être possible.
XK (Limoges, le 21.03.22)
Crédits : image tirée du site tourisme de Haute Vienne
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