Marc Graciano offre à la littérature contemporaine un renouveau stylistique impressionnant. Son dernier livre, Le Soufi publié au Cadran ligné, est une simple merveille de prose.
« Et le gyrovague dit qu’à son éveil, il y avait un homme accroupi à quelques pas devant lui, comme qui dirait assis sur les talons, et le gyrovague dit que c’était un très petit homme, presque nain, quoiqu’assez harmonieux de corps, avec un visage plat et un nez camus quasi inexistant, comme celui d’un félin, et le gyrovague dit… » Ainsi s’ouvre le dernier ouvrage de Marc Graciano, Le Soufi, voyage initiatique de deux personnages, un soufi et un moine errant, le « gyrovague ». Essentiellement connu pour Embrasse l’ours et porte-le dans la montagne (2017), Marc Graciano est un auteur français, mais aussi éducateur psychiatrique pour adolescents —comme il le dit lui-même, « je m’occupe d’adolescents qui ont mal à leur vie »— un soin qu’il apporte aussi à ses lecteurs, au travers des gestes du Soufi ; car si l’observation semble être le moteur du livre, il s’agit d’un livre de deuil, avec des gestes silencieux qui soignent et sauvent. Située dans un désert atemporel, la rencontre entre descriptions sans ornements et poésie des mouvements paraît aussi irréelle qu’un rêve, une fois le livre terminé ; l’impression de saisir deux vies pour quelques jours, la méconnaissance de ces personnages… trouvent sens lorsque l’auteur explique que Le soufi n’est pas une œuvre finie, mais plutôt un fragment du « Grand Poème ». Difficile, à cette annonce, d’attendre la sortie de cette œuvre majeure.
Ce qui fait la particularité de Marc Graciano est sans nul doute son écriture. À la recherche d’un renouveau du langage, il s’essaie ici à rédiger un livre en une seule phrase. Cette absence de séparation tire sa force de sa faiblesse : si la lecture ne peut être interrompue sans en perdre le fil, elle apporte fluidité et presque transe tant la vitesse de lecture n’est plus limitée par la syntaxe. Le nouveau rythme qu’il donne à son récit, est celui de la diction, à la façon d’une création divine : « le gyrovague dit ». L’autre dépaysement à la lecture est de ne savoir des personnages que ce que l’on voit : récit par une troisième personne qui ne se révèle pas, le lecteur n’a accès qu’aux paroles du gyrovague pour comprendre les gestes sans parole du « petit homme » ; en aucun cas ils ne sont nommés autrement qu’ainsi. Sans prénom donc, mais aussi sans pronom de rappel, à la façon d’un livre enfantin, démenti par l’emploi de mots oubliés, « rièble », « bluette » ou « diaphane », utilisés pour leur sens et pas pour leur son, comme le ferait Alain Damasio dans la même quête d’un nouveau langage.
L’histoire est vidée de mots, touchante et simple, à l’image de ses personnages, et si une narration traditionnelle aurait pu nous arracher des larmes en de pareilles circonstances, cette écriture nous place dans une perspective plus détachée. La lucidité qu’elle fait naître n’est que le pendant de cette transe que requiert la lecture, les yeux qu’il nous ouvre sont semblables à ce regard : « et le gyrovague dit que les yeux du petit homme le fixèrent, et que c’était un regard pur en même temps qu’éthéré, comme vague en même temps que pénétrant, un regard extatique, dit le gyrovague ». Une œuvre puissante et hypnotique.
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