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Lettre ouverte à Monsieur M.

Dernière mise à jour : 29 mars 2022


Bonsoir M. M, je suis véritablement navré de ne pouvoir vous rendre moi-même visite pour vous dire tout le mal que je pense de vous. De même je suis déçu et quelque peu déstabilisé par la tonalité que vous donnez à votre si brillant discours faussement larmoyant. Pour information, j'ai moi-même 38 ans et je sais depuis de nombreuses années que je ne dois pas compter sur la retraite si longtemps promise comme une carotte à son âne pour mes vieux jours ou bien comme une belle promesse faite à mon âme. Enfin bref, pas de quoi se faire du mouron. Après tout, quand on n’a rien, on n’a rien à perdre. Pourtant votre allocution m'a fait sourire et je dirais même rire jaune, quoique je ne suis pas censé vous dire ça car ça risquerait de me nuire un jour ou l’autre et de me retomber dessus, mais du moins je vous le dis en toute franchise, certains ou plutôt certaines d'entre nous se prostituent volontairement pour subvenir à leurs besoins et assurer leurs études ; et ce physiquement parlant... Après tout, nous sommes tous de pauvres étudiants. Pour ma part, j'ai ma contribution apportée au lourd tribut puisque je prostitue mon corps à la science en me pliant à leurs expériences médicales pour seulement 900 euros... Me direz-vous, qu'est-ce que 900 euros ? Rien à vrai dire comparé à une vie humaine ; puisqu'au bout du compte nous mettons tous et toutes notre vie en jeu. C'est un peu le jeu de la roulette russe si vous voulez ou du chat et de la souris. Alors on joue avec notre vie à quitte ou double. Il y a deux ans, une expérience à Rennes a mal tourné et un homme comme vous et moi est mort. D'autres encore ont fini dégénérés, sans pouvoir retourner à leurs très chères études car rendus à l’état de légumes... Les médias se sont tus, sans doute que ça aussi c’était voulu. J'en ai pleinement conscience et c'est encore plus grave ! Je remets volontairement ma vie entre leurs mains et ce depuis de si longues années. J'en suis à quoi ? A huit ou neuf études, je ne sais plus. J'ai l'impression parfois d'être un simple cobaye qui tend docilement les veines de ses bras... Le cathéter comme un prolongement de moi. Un vulgaire hamster tournant dans sa roue. Ma mère se lamente sur moi et prie chaque matin. Moi-même je ne sais pas si je serai encore là demain... Après tout, qui sait ? La vie est si courte, la ligne de vie que nous tenons dans notre main si tenue... Je vous écris cette lettre alors que pourtant je devrais me coucher car demain je dois me lever à 6H00 du mat’ pour me rendre au centre médical de Rennes.. Pour prendre mon vaccin contre la rage. La rage de quoi dîtes-moi ? La rage de moi, la rage de la faim ! Je suis comme un rampant à qui l'on aurait enlevé les dents... Aussi ce soir je suis un peu désabusé et un peu aussi fort bourré... (Dédicace à Stromae) mais la réalité est toute autre. La sauvagerie aussi. Tout engloutit tout. C'est ça la nouvelle tyrannie ! A vrai dire je n'ai plus envie de me coucher... Plus envie de dormir, plus envie de rien. C'est là la triste vérité ! Celle du terrain, c'est toujours au bout du compte ce qui prime. Ma vie n'a pas de sens, la leur n'a pas plus de sens à mes yeux... L'argent c'est ce qui nous fait tenir debout, qu'importe que nous ayons des œillères aux yeux, ou des seringues enfoncées très loin dans la pisseuse. L'hémoglobine c'est ce qui nous fait couler doux et filer droit ; pour ma part je me sens comme un pantin pris dans un engrenage que j'aurais moi-même lancé. Je deviens fou... Rien ne pourra jamais arrêter cet état de fait sinon le point final que vous voudrez bien lui mettre. Je dis bien vous car il ne résulte en rien d'une volonté personnelle. Il est une heure quarante désormais et demain en me levant, ou plutôt tout à l'heure, je ne comprendrai rien à rien, comme à chaque fois. Je veux me faire le porte-parole de ceux qui n'en ont pas. De ces taiseux qui n'ouvrent jamais leur gueule et qui se la ferment bien poliment. Je ne suis pas un, je suis tout. Je n'ai pas envie de dormir voilà tout ! Si mes mots et mes doigts pianotent sur ce clavier ce n'est pas par pure provocation mais par supplication, ou plutôt par obligation. J'ai en moi ce devoir que d'autres n'ont pas... La grève illimitée, la précarité étudiante, la prostitution oui, et tout ce dont je suis une preuve vivante et détestable... Il faudrait tout abroger, ce grand Rien qui est notre grand Tout à vrai dire et qui sur Terre régit tout. Oui abroger plutôt que promulguer ! Pourquoi vouloir lutter, se battre si au bout du compte nous ne sommes jamais écoutés ? Combien de morts encore, de bouches silencieuses entrouvertes ? Comme des poissons tirés hors du filet ? Qu'est-ce qu’il vous faut de plus après tout ? A ce poisson tiré hors de son aquarium sans son oxygène : vas-y ouvre bien grand tes ouïes ! Mais agonise en silence s'il-te-plaît, pris au bout de ton hameçon... Et prie ! A cette oreille taiseuse je lui dis poliment ces quelques mots, jamais, non jamais je ne renoncerai... Quitte à en brûler mes bottes de sept lieues ! Bien détestablement M.M…


XK (27.01.21)



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