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Photo du rédacteurLaurine

Aigal(e)

Le souvenir est esprit, la description aussi. Tout ce que je vois, entend et touche. Tout ce que je perçois. Tout est esprit. Je ne fais que survoler ces réminiscences, planer autour en descendant parfois en piqué pour m’en rapprocher et les revivre. Je parcours mon monde de l’esprit.


I want to fly but I have to walk.

- « You can be the eagle. » m’encourage une voix. C’est mon espoir.

- « No, I can’t. I will never be ». Ma raison.

J’ai fermé la fenêtre. J’ai arrêté de rêver.


J’ai toujours voulu voler, haut dans le ciel, au plus près du firmament, les plumes et le bec confrontés aux assauts du vent. J’ai toujours senti que je pourrais y arriver, faire des piqués, tout relâcher et me laisser bercer par la pesanteur et le vide. J’ai toujours espéré ressentir cela, ces sensations grisantes qui ne semblent être possibles qu’au plus près de la liberté. Comme on doit être bien, là-haut, seul parmi les nuages, seigneur des cieux ; seule parmi les nuages, dame des cieux. La liberté aux bouts des ailes.

Parfois, lorsque je ferme les yeux, je m’y revois, comme s’y je l’avais vécu ou que j’allais le vivre. Je ressens le vent me caresser et l’air froid mélangé aux rayons du soleil. Je me laisse planer et je vole au-dessus du monde. Mais mon monde à moi reste les nuages, le soleil, la lune et le vent. L’immensité et l’infini.

Et, si l’envie me prend de me remémorer, je descends pour me rapprocher de ma matérialité. Je garde toujours une certaine distance, c’est là ma façon de me protéger.

Alors je descends… je descends…

Chose étrange que le souvenir. Je me souviens d’évènements que je sais n’avoir pas vécus. Et inversement, j’ai oublié des choses que je n’aurais pas dû. Je suis parfois plus proche de cet aigle planant à travers montagnes et vallées. Je l’ai peut-être été cet aigle ou je le serai peut-être.


Le souvenir. Puzzle fragmenté. Mots morcelés. Le tout recousu en un schème qui doit sortir du bancal. Bancal comme un souvenir auquel on se raccroche, plus on essaie et plus il disparaît, c’est important de ne pas oublier. C’est important d’oublier.

Tenter de se remémorer un souvenir, lui apporter inconsciemment des modifications, finir par en oublier les détails, causer sa dégradation, ne jamais essayer de se remémorer les préférés. S’y employer et les éloigner de la réalité. SOUVENANCE unique qui décrit un repas de famille. De la joie, du soleil, des rires, un parasol, de la nourriture partagée et une serveuse dont on ne parle pas mais dont on parle donc. Acrostiche pour faire survivre cette vérité qui s’évapore à mesure que je cherche à la toucher. Se souvenir de ce dont on se souvient à peine et même parfois pas. Mais si l’on peut se souvenir qu’on ne se souvient pas alors on se souvient déjà.

Si cela se confirme, alors, ce ne peut être que la preuve que je n’ai jamais été un aigle. Mes souvenirs des cieux sont de plus en plus clairs à mesure que je cherche à me les remémorer. Nul réminiscence ici, seulement une invention créée par un profond manque d’appartenance. Si seulement je pouvais appartenir au ciel.

Je vole pourtant, là-dedans, là où aucune limite n’existe, hormis celles que je choisi de créer. Je vole. Vous verrez.


Je descends vers ces choses de son passé qu’elle veut bien me montrer, qu’elle a laissées pour que je puisse y accéder. Pour que nous restions connecté(e)s, elle, son passé, moi. Je les fais revivre une énième fois, je les fais vibrer sur mes plumes. Puis je m’en détache, et je continue de voler, d’errer jusqu’à un autre, de planer au-dessus, de l’inspecter pour voir s’il me plaît. Là, j’en tiens un, elle l’aime bien, je le sais, sans savoir comment ; sans comprendre pourquoi.

Il faisait beau, les oiseaux chantaient peut-être et les voitures roulaient, elle suppose. Qu’en pensez-vous ? Ce souvenir a-t-il une quelconque importance, à part pour elle ?

L’esprit est bien souvent énigmatique. Qu’est-ce que le souvenir d’une vue depuis une terrasse un jour ensoleillé, ou plutôt qu’est-ce que le manque autour duquel se crée ce souvenir ? D’ailleurs s’est-il créé tout seul ou l’a-t-elle aidé ?

Le doute du passé, se souvenir ce peut être compliqué. Est-ce important ? Non, et pourtant… elle l’aime lui et son manque d’informations. Pourquoi donc ? Parce qu’il est la preuve qu’elle a profité de l’instant présent, passé, à tel point qu’elle s’est fondue en lui, le laissant prendre possession de son être, glisser sur sa peau et disparaître. Elle aimerait que je ressente la même chose mais je ne suis plus celle qu’elle est, que j’étais. Cela fige son souvenir et ses perceptions du moment passé. Moi, tout ce que je fais, c’est rester détaché(e).

Je vole au-dessus des lieux qu’elle a foulés de ses pieds, que j’ai foulé de mes pieds. J’étais humaine à l’époque mais il m’arrivait de me penser autre, de me rêver autre. Pourtant, je sais que je sentais la chaleur de l’astre de feu sur mes bras, mes jambes, mon buste. Je me souviens ne pas me souvenir qu’il y ait eu du vent. Je me souviens de mes muscles qui se décontractent peu à peu, de ma respiration silencieuse, presque imperceptible, et de mes battements de cœur qui se calment. Puis, je me souviens que celle que j’étais croyait s’être assoupie, de nouveau. Je le sais car sa peau le sait, ma peau le savait. Comme je l’ai dit, elle a meilleure mémoire.


À quoi bon me remémorer que les cloches de la cathédrale viennent de sonner, qu’il est onze heures et qu’une mélodie se fraie un chemin à travers les klaxons et les bruits d’urbanité ? Aujourd’hui ces cloches ne sont plus qu’une mélodie pour moi, tout comme ces klaxons et ces bruits environnants. Aujourd’hui je me repère grâce à la position du soleil sur la ligne d’horizon et à la rondeur de la lune. Le temps n’est qu’un concept qui sert à se retrouver. J’aime être perdu(e), c’est ainsi que je découvre ce que je ne cherchais pas mais qui me manquait pourtant.

« Il est onze heures ». « Il est onze heures et quart ». « Il est onze heures et demie ».

Ceux qui foulent la Terre ont besoin de cette sureté de l’instant T. Cette instantanéité pourtant déjà passée à peine la phrase achevée. Maintenant je n’y tiens plus. Avant elle pouvait m’aider, me rassurer, mais je sais que parfois elle m’effrayait, m’enfermait jusqu’à m’étouffer. Je n’y tiens plus. Je ne tiens plus à rien lorsque je vole, je suis au-dessus de tout, seule la liberté m’importe.


Celle que j’étais ne savait pas par où commencer. « Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas quoi écrire ou ne pas écrire. Que réécrire ? Que choisir ? Par où commencer ? Par où ne pas commencer ? En vérité, ça me fait chier. Mais allez, je sais que je finirai par aimer ». Voilà ce qu’elle disait.

Elle doutait pour tout mais surtout pour rien. Elle répétait : « pour moi, tout commence par le doute ». Elle se posait des questions auxquelles elle savait pertinemment qu’elle n’obtiendrait jamais de réponse. Elle était en quête du bonheur, d’un bonheur pur et perpétuel, un bonheur qu’elle savait ne jamais pouvoir trouver. Elle cherchait mais elle savait qu’elle ne trouverait pas, elle le pressentait. Elle obstruait sa tête et pleurait de ne pas trouver son chemin, celui qui devait le menait à sa liberté. Elle était courageusement bête.

Maintenant je le vois, lorsqu’on prend de la hauteur tout devient plus net. Ceux qui sont en bas sont tels des oiseaux dans une immense cage. Ils pourraient voler mais ils ne savent pas comment s’y prendre, par où commencer, ils ne savent pas aller chercher la hauteur ou se laisser porter par les courants. Ils ne savent pas, mais comme moi ils finiront par savoir, par apprendre. Par voler.


Avec mes SOUVENANCES, je peux créer des NUANCES, de moi-même, et laisser le reste de côté. Je suis capable de me diviser, de n’être plus que ce que je suis mais bien plus ; comme un aigle, comme une jeune femme, comme une aiglonne, comme un jeune homme. Les nuances de moi, je ne les vois pas, je les sens pourtant bien sous mes doigts. Telles les cordes d’un instrument que seul(e) je perçois. Je l’entends, il guide mes pas, guide mes bras, guide ma tête et mon corps et mon bec et mes serres. Et il me chante de toujours continuer. Sous toit, sur mur, il s’écrit et se murmure : « j’ai laissé tout ça pour toi ». Sur des vitres donnant vitrine, il me renvoie mon reflet et m’affirme : « non, tu n’as pas changé ». Sur une ardoise ouvragée, un rangement en bois, il reflète les arbres, il reflète une rue, une voiture, il reflète un immeuble blanc. Il me reflète.

Je dois partir, m’élever à nouveau, changer de focale et retourner en haut. Là où il n’y a pas d’égal. Là où je connais des certitudes, ancrées et jamais remises en doute. Je dois m’y raccrocher, me les réapproprier. Je dois remonter. Battre plus fort, plus vite, des ailes. Je dois oublier que je peux à nouveau hésiter. Je dois cesser de chercher dans le passé, elle n’est plus. Je dois avancer, voler plus loin, la ligne d’horizon pour seule destination.



Je ne fais que parcourir mon monde de l’esprit, lui qui est toutes nos vies.

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