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Amour et Mésaimé

Longtemps dans les parages d’Amour, Mésaimé se comparait chaque jour à son ami érigé en un idéal glorieux. Mésaimé était jaloux de sa viscéralité et confronté à la réalité de son inconsistance, il ne supportait plus de travailler avec Amour.

Pourtant il se devait de répondre à ses obligations sous peine d’être renvoyé au poste des sentiments secondaires, tertiaires et oubliables. En effet, après avoir discuté avec le chef de la palette, le régisseur fut contrarié par l’insubordination de son salarié et le força à passer une semaine au contact des oubliés. Mais Mésaimé ne supporta pas l’inefficience de ses nouveaux collègues. À ce titre il revint sur sa décision et le régisseur accepta de le renvoyer à son poste.

Mésaimé à l’inverse des autres émotions n’était pas réceptif au charme d’Amour. À ses côtés, plutôt que de voir la vie en rose, ses contusions lui paraissaient être des déchirures et ses erreurs des défauts. Toutefois Amour lui rappelait chaque soir son importance. Il lui disait qu’auprès de lui, il gagnait en puissance. Il lui rappelait qu’ils n’avaient pas besoin d’être complémentaires pour former un équilibre. Il lui disait que grâce à lui, il n’était plus soumis à un irrépressible pas de valse. Mais Mésaimé ne reconnaissait pas cette complémentarité sinon au prix de son inconsistance.

C’est ainsi qu’un jour Désamour passa le pas de leur porte. Alors qu’Amour effusait ses charmes et que Mésaimé passait après lui pour les stabiliser, Désamour fractura l’atmosphère. Tout à coup, les envoûtements d’Amour devinrent de simples agréments, son magnétisme un caprice et sa magie une distraction.

Au moment où la chaleur d’Amour pâlit, Mésaimé se sentit quant à lui gagner en puissance. Ses interventions prirent en matière et n’apparurent bientôt plus comme des détails. Ses opérations gagnèrent en précision. Plutôt qu’infirmier, Mésaimé se sentit l’âme d’un chirurgien. Ses toiles devinrent plus spongieuses et sa soie plus résistante.

Électrisé par les possibilités que Désamour lui offrait, Mésaimé abandonna son poste pour le rejoindre dans sa maraude. Ils rencontrèrent des couples. À sa grande joie c’était maintenant au tour de Mésaimé de donner l’impulsion. Il fragilisait tour à tour les sortilèges d’Amour, étouffait minutieusement ses charmes puis dissolvait ses promesses avant que Désamour rentre dans la valse et finisse d’achever ses enchantements.

Mésaimé et Désamour formaient un duo imbattable.

Auprès de lui, Mésaimé réalisa les conséquences directes de ses actions et découvrit le potentiel de sa puissance. Ainsi galvanisé par ces possibilités nouvelles, Mésaimé fit un bout de chemin avec ce nouvel ami.

Toutefois les deux compagnons dépassèrent les limites de leur fonction. L’équilibre avait été rompu à cause de leur aveuglement. Ils pensaient avoir trouvé l’harmonie puisque l’un comme l’autre formait une ligne contingente.

Ils faillirent commettre l’irréparable lorsque épuisés par la divergence d’Amour, ils le rejetèrent. Car bientôt à court de nouvelles sources à épuiser, ils devinrent les seigneurs d’une contrée où faute de matière ils ne pouvaient régner. Alors désemparés, ils réalisèrent que sans Amour ils n’avaient plus de puissance.

Le duo s’empressa donc de retrouver le disparu mais ils n’y trouvèrent que des cendres. Ainsi, ils débutèrent une introspection et revinrent sur l’étendue de leurs pouvoirs respectifs. Mésaimé se souvint des paroles de son défunt ami : « À tes côtés je gagne en puissance. » Et soigné de son orgueil, il réalisa la portée de ces mots. Peut-être que Mésaimé n’était pas l’antonyme d’Amour et que lui aussi détenait certains de ses sortilèges. De cette façon, il s’évertua à reprendre un à un les charmes qu’il l’avait si longtemps vu réaliser, et découvrit qu’à défaut de détenir la puissance du fleuve, il donnait naissance à sa source.

Mésaimé fit donc germer chaque graine, avant de réussir à soigner chaque racine et d’apprendre à faire fleurir toute plante. C’est ainsi que Mésaimé prit la place de son défunt Amour.


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