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"arracher de son vivant sa propre vie à toutes les formes de la mort" (J.P. Sartre)

Il y avait une chose dont il était certain : il ne mourrait pas ici. Pas après tout cela. Non, bien au contraire. Son corps se ferait violence pour maintenir flamboyante la flammèche de sa vie, la nourrirait, la protégerait. Le moindre combustible se trouverait avalé par sa pulsion de survie. Ressources, flux, cellules, muscles, tissus, os, vaisseaux, muqueuses ; toutes ces merveilles du vivant s’improviseraient soldats à l’intérieur de son être. Une batterie de pulsations internes monopoliserait ses organes, ses membres, dans un unique mouvement de préservation finale. Feux d’artifices de réactions chimiques, d’actions dénuées de réflexion. Ses bras se tendraient, ses mains s’ouvriraient, ses doigts se crisperaient un à un pour capturer le vide devant lui. Ses poumons rechercheraient désespérément le soulagement de leurs échanges de convertibles intangibles, luttant pour s’enfler toujours plus. De sa gorge remonterait un râle rauque inarticulé que les suffocations n’auraient pas étouffé. Alors, sa bouche s’ouvrirait, bordée de salive, pour éructer ces gargouillis informes le plus fort possible, purger son corps de cet appel et inscrire sa marque dans le silence qui l’enveloppe. Il sentirait battre les os de ses jambes, ployer les muscles de ses chevilles, se tendre ceux de ses orteils, déployant des efforts gargantuesques pour défendre le prodige de perfectionnement évolutif de son espèce. Le battement de ces paupières ourlées de cils cesserait, les yeux révulsés, injectés de sang, pour assister à ce spectacle dément. De concert, les tissus de son myocarde accéléreraient pour répondre à l’ordre intimé par la décharge d’adrénaline de son cerveau. Ses capillaires sanguins se resserreraient, effet de la vasoconstriction salvatrice, diffuseraient dans ses organes vitaux toutes les ressources dont ils disposent pour lui assurer de le garder en vie. L’entièreté de son corps jouerait la juste symphonie orchestrée par le chef mou et spongieux de l’enchevêtrement de câblures qu’abritait sa boîte crânienne. Sur l’épiderme qui enrobe ses structures intérieures se hérisseraient des centaines de milliers de rangées de follicules pileux, dans un réflexe archaïque, pour se prévenir de la température glaciale et pousser ses muscles dans leurs derniers retranchements. Son abdomen se creuserait, assailli par les sensations extérieures, laissant apparaître les reliefs lisses de ses côtes et faisant contracter son diaphragme ; ignorerait les brûlures glaciales plus caustiques encore que la flamme pure, les ongles rendus douloureux par le froid, la pulpe des doigts exsangue, livide, fripée, les lèvres ouvertes et bleues. Ses yeux ne verraient pas danser devant lui les formes sombres et oblongues, mouvantes, statiques, floues, jusqu’à ce que le rai de lumière vers lequel il se dirigerait ne soit plus qu’une vague espérance irréaliste. Non, tout ça ne lui arriverait pas aujourd’hui. Parce que sa main avait percé l’étendue d’eau qui le noyait. Ses narines et sa bouche dressées vers le ciel pour prendre une goulée d’air à lui en faire s’éclater les poumons, exhalant un son qui aurait pu ressembler à celui qu’il a poussé quand il a vu la lumière du jour pour la première fois.

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