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Autoportrait en Je

Il lui semblait à présent clair qu’elle était translucide. Remplie d’eau. Une forme de vie ondoyante, floue, miroitante, qui renvoyait seulement la lumière lorsqu’elle tombait sur ses parois et se diffusait au travers d’elle, illuminant un vif instant le rien aqueux qui la remplissait. La voilà qui déambulait maladroitement sur ses pieds, comme craignant de renverser le peu qu’elle était sur le carrelage. Contenue dans un écrin de verre, elle était transparente. Dans cet abject corps fenêtré au niveau de ses yeux, qui l’empêchait de se déverser sur ses feuilles et de tremper ses vêtements, se prélassait un rien insolent, un tantinet provocateur, qui aimait entretenir l’idée simpliste que, puisqu’il était là, elle ne pouvait pas se faire avaler par l’univers. Puisqu’il était là, lui, l’univers ne voudrait pas faire claquer sa grosse mâchoire sur son corps luisant comme la lune mais frêle comme le givre, pour le briser, le fracturer, boire goulûment son essence, et piler entre ses dents ses esquilles concassées. C’était ce vide, pas totalement vide – l’univers a horreur du vide -, qui prévenait son corps d’une fin certaine. De temps à autre, cependant, naissait au creux de son plexus une bulle solitaire. Furtive, distordue, agile, ses doigts ne pouvaient la saisir. Alors, vite, elle s’empressait de compresser son torse de toutes ses forces pour ne pas que cet espoir lui échappe, de garrotter son thorax, pour garder auprès d’elle ce tressaut singulier. Cette bulle apportait avec elle une myriade de sentiments nouveaux, ennemis du rien, faisait fluctuer dans son sillage des grains de curiosité, solides, tangibles, qui remuaient comme le fond d’un aquarium balayé par une main. Un sursaut de vie au sein de son échantillon placide et inerte. Elle pouvait les sentir, à présent, les fourmillements qui pointaient à l’extrémité de ses doigts, la traversaient de part en part, éveillant ses sens. Les arcs d’électricité qui frétillaient sous la coque en verre de sa peau échauffaient son esprit informe et dilué. Quand la bulle éclata, des couleurs lui vinrent, envahirent l’eau de son être, la tachèrent de pourpre, d’indigo, de vermillon, de jaune et d’ocre. D’autant de nuances qu’il lui était permis d’embrasser pleinement, d’acquérir, avec lesquelles elle peignait son rien pour le rayer, le raturer, l’intégrer et le maquiller dans son décor interne. La bulle n’était plus pour qu’elle soit. Son rien devenu fluide. Son être dont elle s’emparait cette fois, pour ne pas laisser le vide la consumer et l’éclater en petits fragments. La craquelure naquit sur son front, où l’arête de son nez se formait tout juste, bref impact venu de l’intérieur. Ainsi l’éveil commença, et je pus être.


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