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Photo du rédacteurMélissa

Banal

Ses amies et elle avaient passé la soirée à y réfléchir. Elles ne voyaient que cette solution. C’était un moment difficile, mais il le fallait. Les mains tremblantes, elle avait monté les marches qui menaient à son appartement. Le soleil froid d’après-midi d’automne se reflétait sur les rampes gelées. Elle savait qu’il l’attendait, là-haut. La porte familière se dessinait. Elle toqua, il lui ouvrit, elle entra. Chaque étape se déroulait comme au ralenti. Elle savait ce qu’elle devait faire. Elle tressaillit. Son ventre se tordait dans des relents d’angoisse.

Il l’enlaça, elle ne lui rendit pas , il le sentit. Il l’attrapa par le bras et la tira vers la chambre. Elle se retrouvait dans ce décor familier, cette odeur… L’ambiance était lourde.

Ils s’assirent sur le lit au centre de la pièce exiguë. Il lui demanda où elle en était. Elle laissa son flot de pensées s’écouler. Elle lui dit qu’elle voulait qu’ils s’arrêtent là, qu’elle méritait mieux.

Elle pleurait. Il la plaqua sur le matelas pour l’obliger à se calmer et l’écouter. Elle se débattit, elle avait la violente impression d’étouffer, que la pièce étroite se refermait sur elle. Elle finit par abandonner. Son regard croisa le plafonnier vieillot qu’elle trouvait particulièrement hideux.

Il la serra dans ses bras. Sa voix tremblait, la suppliait, lui promettait que sa vie était avec elle, qu’elle était la femme de sa vie, que c’était une erreur.

Elle l’écoutait à peine. Ses yeux errèrent vers la grande et vieille armoire de grand-mère. Du sommet dépassait l’habituel fatras d’objets en tout genre qui y prenait la poussière. Des objets de leur passé commun semblaient échoués là, dans l’attente.

Il avait fini son laïus. Elle put enfin se relever. Elle s’assit face au mur vide et blanc qui avait autrefois accueilli un tableau représentant un bateau au milieu d’une mer agitée. Elle se sentait comme ces deux éléments à la fois : agitée par la tempête de ses émotions, et froide, vide face à sa décision. Elle ne ressentait plus d’empathie pour ce jeune homme qu’elle avait aimé.

Il attendait sa réponse, son espoir suspendu au bateau du silence que les mots marins viendraient briser contre la roche. Elle ne changerait pas d’avis, c’était fini.

Le bateau avait coulé. Fracassé.

Il tenta de la retenir. Longtemps. Elle resta ferme. Il se résigna à la raccompagner. La porte claqua. Le bleu de la nuit l’accueillit. Elle se sentait lourde et légère à la fois. Elle avait enfin l’occasion de passer à autre chose.


___________________________________

La journée avait été longue et remplie. Elle n’avait pas eu le temps d’aller à la laverie avant. Son téléphone indiquait que le dernier bus était dans dix minutes, la machine indiquait quarante-deux minutes. Elle soupira et jeta un œil dehors. De grandes fenêtres aux contours noirs, sur les deux murs donnant sur la rue, permettaient de voir et d’être vu. Il faisait déjà nuit. Heureusement, la lueur des lampadaires éclairait suffisamment pour que cela ne l’effraie pas davantage.

Les murs épais composés de grosses pierres grises à l’intérieur et à l’extérieur du bâtiment trahissaient son âge et appuyaient l’aspect vieillot du lieu. Le reste était peint en vert pomme et sapin.

Elle s’installa tranquillement pour attendre. Pour s’occuper, elle ouvrit son application de podcast et s’apprêtait à relancer celui sur les tueurs en série qu’elle était en train d’écouter quand elle reçut une notification :

Je t’en prie, donne-moi une autre chance !

Elle recevait ce genre de message tous les jours. Elle soupira et répondit rapidement la même chose que d’habitude :

Tu sais très bien que c’est non.

Elle ne cherchait plus vraiment à prendre de pincettes. Elle souffla et laissa sa tête tomber vers l’arrière. Cette situation l’éprouvait.

Quand elle la releva, ses yeux se promenèrent sur le mur face à elle. C’était un pan en bois composite sur lequel étaient punaisées différentes affiches avec le mode d’emploi des machines juste en dessous. Une écriture blanche sur fond bleu. Elles étaient illustrées par un lever de soleil derrière des collines bleu foncé, des bulles et les signes nécessaires au bon emploi. Sur l’une d’elles, une femme blanche, aux longs cheveux marron, habillée en blanc, était assise en tailleur avec un air serein. Il était indiqué en rouge et en lettres capitales : « LA DIRECTION N’EST PAS RESPONSABLE » avec la liste des interdictions et autres règles d’usages. Elle trouva le contraste amusant.

La vibration lui fit retomber la tête vers son téléphone :

Tu ne peux pas effacer tout ce qu’on a vécu. Tu as besoin de moi. J’ai besoin de toi.

Laisse-moi venir chez toi !

Elle tapa rapidement, agacée :

Je ne peux pas, je suis à la laverie et je n’ai pas le temps ce soir.

Elle rééteignit l’écran. Sa jambe commença à remuer sans qu’elle y fasse attention. Le lave-linge qu’elle avait choisi tournait dans un bruit répétitif du programme de lavage qui couvrait le tic-tac de l’horloge grise à chiffres qui trônait au milieu de toutes ces informations.

À l’extrémité des machines se trouvait une porte blanche, sans poignée, mais fermée à clé. Une autre affiche, toujours une écriture blanche sur fond bleu, illustrée par l’un des modèles de machine à laver, rappelait que la marque « respecte l’environnement autant que votre linge ». Le mur perpendiculaire contenait une série de quatre petites affiches rappelant de ne pas laisser son enfant sans surveillance, le numéro d’urgence, et comment fonctionne un extincteur, celui-ci étant positionné juste en dessous. Elles étaient suivies de trois sèche-linges de grande taille.

Le bip de la machine retentit. Elle se leva pour déplacer le linge. Au bout de la rangée de sèche-linges se trouvait un petit couloir, et une autre porte. Celle-ci était du même vert que les murs : pomme. Comme l’autre, elle n’avait pas de poignée et était fermée à clé.

Elle se rassit face aux machines et s’accouda à l’une des deux grandes tables en bois. Un petit insecte rouge s’y promenait. Elle le suivit du regard jusqu’à le perdre. Il faisait chaud. Le sèche-linge signala la fin du programme.

Elle rangea les vêtements humides dans son sac. Elle était chargée. Elle rouvrit son téléphone pour consulter l’itinéraire. Elle en avait pour quinze minutes. Pas de nouvelle notification.


__________________________

Elle sortit et marcha d’un pas rapide. Son casque sur les oreilles, elle écoutait une musique entrainante.

Elle ne faisait pas vraiment attention au monde qui l’entourait.

Pourtant, quand elle vit ces deux filles devant elle, un pressentiment la fit ralentir. La première était petite et brune. Elle était sur le trottoir, regardant aux alentours, son téléphone à la main. La seconde, plus grande et blonde, se trouvait sur le seuil de ce qui devait être son logement, parcourant des yeux, elle aussi, frénétiquement autour d’elle, cachée dans l’entrebâillement de sa porte.

Son instinct ne l’avait pas trompée. La fille sur le trottoir croisa son regard et au travers de la musique elle entendit un : « Excusez-moi ». Elle enleva son casque, pensant que la jeune fille avait besoin d’un renseignement : « Faites attention, mon amie vient de voir un homme se branler devant elle. ». Choc. Elle s’obligea à réfléchir rapidement. La mélodie qu’elle n’avait pas éteinte résonnait faiblement dans ses oreilles : « Vous allez bien ? ─ Oui, oui, j’ai juste fui quand je l’ai vu et il est parti. J’ai pas vraiment fait attention à où, répondis la blonde. ─ À quoi est-ce qu’il ressemble ? ─ Un vieux avec un pull, affirma la brune. »

Le téléphone de cette dernière émit un son qui signifiait qu’on avait décroché à l’autre bout du fil et elle s’éloigna pour échanger avec la police.

« Vous êtes sûre que ça va aller ? ─ Oui, ne vous inquiétez pas. ─ Très bien, je vous laisse alors, faites attention. »

Elle reprit sa route, la peur au ventre. Elle ne remit pas son casque. À l'affût du moindre bruit. Elle croisa effectivement un vieil homme en pull. Impossible de savoir si c’était lui, elle le prit discrètement en photo. Elle se retourna plusieurs fois pour voir s’il la suivait. Elle sursauta en entendant des gens rire de l’autre côté du trottoir.

Son appartement enfin en vue, elle entra et ferma rapidement la porte dans des gestes frénétiques et guidés par la peur.

Son cœur battait sa cage thoracique avec la force d’un maelstrom. Sa main chercha l’interrupteur. Une voix sortit de la pénombre : « Je t’attendais. »

Arrêt. Elle savait à qui elle appartenait. Un clic. La lumière emplit la pièce, blafarde. Un reflet sur le mur. Un demi-tour. Un hurlement.

Trop tard.

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