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La Course

Elle courait. Théo courait derrière elle. Plus vite, se dit-elle, et de ses talons surgirent des ailes qui la portèrent de plus en plus vite, de plus en plus loin. Il perdait de la distance. Elle rit de bon cœur, son frère avait toujours été mauvais à la course. Elle entendit ses cris au loin :

─ Lucile ! Lucile, attends-moi !

Emportée par l’adrénaline, elle courait toujours plus vite, toujours plus loin.

Courir lui donnait de l’élan, courir la faisait vivre, courir lui donnait l’impression que rien ne pouvait arriver. Elle ferma les yeux. Elle sentait le vent dans ses cheveux.

Ses petites sandales rouges n’étaient pas faites pour la course. Tant pis, de toute manière elle ne les aimait pas, ses sandales rouges. Elles lui faisaient mal aux pieds, mais sa maman avait dit qu’il fallait être jolie aujourd’hui.

Elle courait toujours. Elle entendit au loin derrière elle une voix étouffée, essoufflée :

─ Lucile… attend… moi…

Et elle courait toujours, toujours plus vite, toujours plus loin.

Elle était si loin maintenant, mais elle pouvait courir encore. Le chemin de cailloux poussiéreux semblait sans fin. L’infinité de la course. Elle était essoufflée maintenant, mais elle courait toujours. Elle n’entendait plus son frère. À vrai dire, elle n’entendait plus rien. Le temps semblait s’être arrêté. Le vent ne soufflait plus. L’infinité de la course.

Le sol se déroba sous ses pieds. Elle ne volait plus. La chute fut douloureuse, elle s’écorcha le coude et le genou. Elle était sonnée. Elle s’assit. Autour d’elle, tout n’était que pierres grises poussiéreuses.

Au-dessus d’elle, le chemin avait fait place à la crevasse où elle se trouvait.

Elle ne l’avait pas vu.

La douleur s’échappa de ses yeux en lourdes larmes. Elle souffla délicatement sur son genou écorché. Sa robe noire était couverte de poussière grise.

Elle avait mal. La course était finie.


Un grognement survint dans le silence.


Elle releva la tête. Face à elle, un chien noir montrait les dents. Elle était tétanisée. Le chien s’approchait, pas après pas. Souffle coupé, elle le fixait dans les yeux. Elle y voyait quelque chose d’étrange, une lueur…

Le chien avait cessé de grogner. Il s’approchait toujours. Lui aussi, sa fourrure était couverte de poussière grise, fantomatique. Elle tendit la main. Elle allait le toucher…

─ Elle est là !

C’était son frère.

En haut du chemin, elle le vit cherchant derrière lui. Elle regarda de nouveau vers le chien noir. Évidemment, il avait disparu.

Des mains d’adultes l’attrapèrent et la relevèrent. Elles tapotèrent sa robe et inspectèrent ses blessures.

─ Ça va mon ange ? Tu n’as rien ?

Elle ne répondit pas. Elle était sonnée. Sa mère la prit dans ses bras et lui caressa le dos en lui chuchotant des mots doux.

Agrippant la manche noire, au-dessus de l’épaule de sa mère, elle tenta de revoir le chien.


Rien n’apparut sur le chemin.


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