Depuis l’arrivée des réseaux sociaux, les traumatismes sont devenus une compétition. On compare nos douleurs, nos peurs, comme si l’existence de l’une rendait l’autre insignifiante. Lorsqu’on ouvre son cœur en ligne, des étrangers n’hésitent pas à étaler leur propre histoire pour nous faire taire. On se renferme et on se dit que notre expérience n’est pas si grave que ça. D’autres souffrent plus que nous. Ce qu’on vit est ainsi banalisé. On se laisse marcher dessus parce que « on a encore un toit au-dessus de la tête », « on a toujours de la nourriture dans notre assiette ». Et lorsqu’on parle de nos craintes, de nos angoisses, des personnes anonymes renient nos émotions. Si nous avouons avoir peur des inconnus, surtout lorsqu’on est seul, on nous dit que nous sommes des adultes, que nous sommes puérils de garder cette peur enfantine, ou bien qu’on a aucune raison d’être sortis. Que nous devrions être plus bienveillants envers les gens que nous ne connaissons pas, que nous exagérons, que nous n’avons rien à craindre d’une personne qui nous est étrangère. Il est vrai qu’il est plus courant d’être blessé par une personne dans laquelle on place notre confiance, ajoutant à la douleur un sentiment de trahison, mais notre peur est légitime. L’homme a peur de l’inconnu car il représente une potentielle source de souffrance cachée. Un inconnu n’a pas d’attache émotionnelle avec nous, rien ne l’empêcherait de nous faire du mal. Une personne de confiance était, à un point de notre vie, un inconnu. Ainsi, on nous retire le droit d’avoir peur de quoi que ce soit et on met de côté notre état émotionnel. Les réseaux sociaux normalisent la douleur sous ses différentes formes, notre tolérance augmente et on devient aveugle à notre souffrance et à la souffrance d’autrui. On devient un rouage dans ce cercle vicieux de l’apathie numérique, et on se retrouve à participer activement à la création d’un avenir plus dangereux et toxique pour notre génération et les suivantes. On est emprisonnés dans la partie sombre du web, et on en oublie les normes du monde physique.
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